IV. Conseillère
Les pensionnaires étaient agglutinés dans un long couloir étriqué, lequel débouchait sur une rangée de portes closes. Enfoncées et mal dimensionnées, celles-ci laissaient filtrer une lumière bleutée dans la pénombre du corridor.
- Si dans une minute on n’a pas bougé, je tacle tous les arrivants et j’enfonce la porte, maugréa Mürad.
- Amuse-toi, on te regarde, murmura Will, soutenu par un regard approbateur de Dimitri.
Mürad fit la moue.
- C’est toujours long avec les arrivants, et comme ils se font cuisiner en premier on en a pour un moment… constata Dimitri.
La file désordonnée de pensionnaires se mit en mouvement.
- Ah! S’exclama Mürad.
Un claquement sourd retentit, suivi du noir total. Les pensionnaires s’agitèrent, se bousculant dans l’ombre.
Des cris étouffés survirent du fond du couloir. Puis, le temps d’un clin d’œil, le calme et la lumière revinrent.
- Ils ont sacrément avancé, les arrivants, non ? Murmura Dimitri en jetant des regards anxieux dans tous les coins.
Les arrivants s’étaient volatilisés, laissant Will, Mürad et Dimitri en tête de file. Au loin, des Veilleurs aux allures de colosses barraient désormais l’entrée de chaque porte.
- Mürad passe devant.
- Même pas en rêve !
- Bon, ça suffit, coupa Will avec résignation.
D’un pas décidé, il avança dans le long couloir, jusqu’à se retrouver nez à nez avec un Veilleur, quoi que celui-ci le surpasse largement de taille.
Ce dernier le dévisagea de haut, sombre et inexpressif. Will soutenu son regard un temps semblant interminable. Mettant fin au duel, le Veilleur le gratifia d’un sourire narquois, avant de lui ouvrir la porte en s’effaçant dans une courbette. S’inclinant avec sarcasme, Will s’engouffra dans la salle aux lueurs bleues sans un regard en arrière.
- Non Willy, n’y vas pas! Nous laisse pas seuls avec cette bande de connards ! Hurla Mürad d’un ton dramatique, peinant à réprimer son sourire.
Les yeux sombres des Veilleurs se braquèrent sur lui dans un silence menaçant.
******
Retour dans l’éternelle salle bleue.
Toujours aussi lugubre. Austère. Et affreusement vide.
L’habituel bloc de bois se dressait en son centre, bardé des mêmes marques et écorchures que les murs, vestiges de générations de pensionnaires successifs.
Malgré sa rusticité, son inconfort et faute d’autre utilité perceptible, le bloc avait été naturellement proclamé “Tabouret de la Salle Bleue”, ainsi que “Mobilier le plus fiable du Pensionnat”.
Aussi loin qu’il s’en rappelle, Will avait toujours fait face au même bloc difforme, sans comprendre la raison de sa présence en ce lieu.
Dans un élan routinier, il se plaça debout face au bloc, croisa les bras, et s’orna d’un rictus contrarié.
- Comment vont tes parents, Will ?
- Très bien, répliqua machinalement Will. Et les tiens ?
La voix fantomatique, semblant venir de partout à la fois, s’écrasait contre les murs en échos interminables.
- J’ai de bien mauvaises nouvelles pour toi, mon cher Will, continua la voix sur un ton voilé. Tes pauvres parents, que tu appréciais tant, ont eu quelques soucis avec le Coeur.. Je crains qu’il ne leur soit arrivé malheur.
- Autre chose ?
La salle s’assombrit brusquement. D'une voix dure et grave, la Conseillère s’insurgea :
- Tu n’as donc aucune compassion pour les êtres qui t’ont créé, ceux qui ont tout donné pour que toi, pauvre inconscient, puisse vivre ? Tes parents sont morts, Will ! Morts, pour toi et par ta faute !
Ses yeux se plissèrent :
- Conneries.
Un silence pesant emplit la salle. Puis, la Conseillère repris avec mélancolie :
- Tu dois me croire Will. Tu sais bien que tes parents n’avaient pas un comportement très... conforme. Ces choses-là ne passent pas inaperçues ici, et des personnes mal intentionnées ont fini par s’en rendre compte... Lorsque, alerté par les cris de ta mère, les Veilleurs se rendirent à leur dortoir, il était déjà trop tard...
Will se crispa.
- Et alors ? S'ils ont pas été capables de se faire discrets, c’est leur problème, coupa-t-il sèchement.
Nouveau silence.
Le regard de Will se troubla, perdu dans les volutes de lumière bleutées qui dansaient sur les murs. Reprenant conscience, il tourna les talons dans un soupir exaspéré, direction la porte.
Celle-ci demeura close.
Will se retourna, se forçant à un sourire dédaigneux.
- En avons-nous terminé ? Demanda-t-il avec lenteur.
La Conseillère ne répondit pas. Au bout d’un temps, un cliquetis sourd se fit entendre.
- Merci bien, murmura Will.
Il avait perdu son sourire. Empoignant la porte, il fusilla d’un regard haineux la salle avant de s’engouffrer vers la sortie.
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