VI. Atelier
Quelle journée de merde.
Kat avait perdu son masque enjôleur à l’instant où elle avait quitté la demeure de son client.
Elle était trempée, gelée, et furieuse.
Le commis habituel l’attendait à l’entrée de l’atelier, frêle et effacé.
Sans un regard pour lui, elle lui siffla :
- Plus jamais chez ces types.
- Ah, bon, ça ne s’est pas très bien passé, d’accord Kat... Murmura-t-il d’une voix chétive, tout en se précipitant pour lui ouvrir la porte de l’Atelier.
Kat s’engouffra, ignorant le commis.
La salle d’accueil était sobre, mais propre. Des murs blancs, des portes en bois massif, un lourd brasero de fer au centre, quelques plantes dans des pots de pierre élégamment sculptés... Bien loin du cachet dont Kat avait l’habitude chez ses clients.
L’atmosphère y était relativement douce ; pas de Veilleurs, seulement des domestiques, vifs et discrets, et divers personnages de l’Atelier vacants à leurs occupations.
Elle n’en connaissait aucun mieux que de vue, ce qui lui convenait parfaitement.
Un regard à l’intendant pour lui manifester son retour, et elle prit la porte pour l’aile où elle résidait.
Le commis, de petite taille, était contraint de trottiner pour la suivre :
- As-tu besoin que je fasse laver tes vêtements, ou que j’aille voir si une douche est libre pour toi ? Demanda-t-il avec sa nervosité habituelle.
- Les deux, répliqua-t-elle froidement.
- Bon, je vais voir pour les douches, et... Et tu me donneras tes vêtements tout à l’heure, je t’amènerai un change pour ce soir.
- Vendu, murmura Kat, alors que le commis s’arrêtait pour prendre la nouvelle direction des salles d’eaux.
*******
Katarina s’effondra sur son lit, mouillant ses draps en désordre.
Tant pis, le commis changera ça pendant ma douche.
Elle tolérait beaucoup de choses pendant ses prestations. Les avances, les gestes déplacés, les regards insistants…
Mais pas qu’on l’arrose avec de la putain de champagne.
Encore ce matin, elle ne connaissait pas le client chez qui elle se rendait. Mais sur place, elle avait reconnu la villa, bardée de grands piliers de marbre d’une autre époque, devant laquelle elle passait de temps à autre. Etant donné le vacarme qui en émanait tout au long de la journée, Kat concevait très bien le tableau : un haut responsable, abruti et dépravé, préférant consacrer sa demeure en bordel particulier plutôt que de faire son boulot.
Bilan: raison sur toute la ligne, comme d’habitude. Elle connaissait ces vieux débauchés par cœur.
Son entrée dans les lieux avait donné le ton. Elle eut tout le mal du monde à expliquer à ces gueules enfarinées son statut d’artiste, pendant que ceux-là tentaient maladroitement de la dévêtir. Le quiproquo étant levé, elle dût esquiver verres, plateaux et mains hagardes qui fusaient en toute anarchie, et se retrancher en haut d’une chaire pour réaliser sa performance.
Performance qu’elle prit la liberté d’écourter après que tous les ivrognes se soient unis pour lui offrir une douche au champagne.
Epuisée. Dormir. Oublier.
Raclement de gorge derrière la porte.
- Toujours habillée, Helius.
La porte s’ouvrit subrepticement pour laisser le commis se faufiler dans la chambre.
- J’ai réussi à te réserver une douche, Kat. Tes vêtements de repos sont dans l’alcôve, comme d’habitude, mais tu ferais mieux d’y aller maintenant, il y a de l’attente... marmonna-t-il d’un air contrarié... Voilà déjà des serviettes pour te débarbouiller un peu de... de tout ça.
- Pitié Helius, porte-moi, je n’ai pas la force de m’y rendre... minauda Kat, recroquevillée sur son lit.
- Oh, je peine déjà à porter tes vêtements seuls, alors avec toi dedans... Rigola nerveusement l’intéressé, tout en déposant la lingerie à ses pieds.
- Salaud, lâche, asséna Kat haut et sec, abandonnant son masque enjôleur.
- Allons... Katarina, je ne dépasserais même pas tes jambes les bras levés, alors comment veux-tu... répondit patiemment Helius. Ne fait pas l’enfant et va te doucher, avant que cette grosse castafiore d’Elisabeth ne te prenne la place.
- Mmmmh.
- Courage. Je repasserai tout à l’heure pour récupérer tes affaires.
- Mhd’accord. Faisons comme ça, marmonna Kat dans son oreiller.
Elle ouvrit lentement un œil, feignant de se lever. Mais à l’instant où le commis referma la porte derrière lui, Kat retomba sur son lit aussi sec, étalée de tout son long, pour sombrer dans un profond sommeil d’épuisement.
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