3. Bael (1/4)
Il rabaisse les orgueilleux en les vouant à la dérision des démons de sa cohorte.
oOo
Cynthia s'étonne de retrouver sa boutique vidée des meubles et des articles qu'elle a toujours côtoyés. C'est un espace qui s'étend sous l'intégralité du rez-de-chaussée de ce petit immeuble à l'écart du centre-ville. Depuis l'extérieur, ses trois étages ne paient pas de mine, serrés entre deux autres résidences tout aussi dépourvues de vie. De fait, seule la vitrine sur la façade permet à la lumière d'entrer, à condition d'arracher les papiers qui recouvrent le carreau.
— C'est gigantesque ! s'écrie la jeune femme.
L'escalier au fond mène à un appartement qui s'étend sur deux niveaux. Cynthia ne s'y rend pas. Tournoyer sur le vieux parquet grinçant est bien plus amusant que d'explorer la ruine que personne ne revendique.
— Là-bas, je vois bien une grande bibliothèque.
Quelques lattes de bois gisent dans ce coin qu'elle désigne. D'un coup de magie, les planches se coordonnent en une étagère modeste, pas vraiment droite. Cyn se promet de corriger cela au plus vite.
— En attendant, ça fera l'affaire.
Elle déplace de son dos à son ventre le sac qu'elle promène avec elle. Il ne renferme que de maigres affaires, vêtements, nécessaire de toilette, ainsi qu'une pile de livres que Cynthia classe par ordre de taille. Les ouvrages n'ont pas de titre. Pas la moindre image sur les couvertures. Un seul, en cuir fatigué marron, dispose d'un symbole sur l'avant. La sorcière connaît bien ce grimoire, et l'ouvrage la connaît également. Parfois, il lui chuchote quelques mots, mais pas ce jour-là. Aujourd'hui, c'est l'Enfer régnant au delà de la porte qui s'exprime.
Cynthia va voir depuis l'entrée ce qu'il en est. Des torches illuminent un chemin qu'empruntent une ribambelle de personnes plus ou moins vêtues. Chacun a la tête baissé sur ses pieds qui traînent dans les cendres recouvrant la route. C'est le désespoir qui règne dans cette sinistre procession. Parmi les humains bondissent des créatures anthropomorphes aux yeux de braise et à la gueule enflammée. De temps en temps, les monstres violentent un individu au hasard à coup de crocs et de griffes. Quand cela se produit, des giclées de sang, de braises et de magma se répandent là où le lynchage a eut lieu.
Un gardien s'ébroue sur le corps de sa dernière victime. Lorsqu'il a le réflexe de tourner son regard assassin vers la sorcière, celle-ci claque la porte de son nouveau refuge. Ici, c'est le calme qui prospère entre les murs insalubres.
— Je pense que je vais rester là un moment, déduit Cynthia.
Elle pivote vers la pièce soudain encombrée d'une immense masse noirâtre. Décontenancée, Cyn regarde glisser entre eux des anneaux d'écailles et de poils, parfois surmontés d'un membre terminé de serres aiguisées. Le serpent ne siffle pas : il glousse.
Cynthia aimerait dénicher sa tête mais c'est peine perdue : l'entrelacement reptilien n'a ni commencement, ni fin. Il rit, grossit encore, et quelque part à l'intérieur de lui commence un feu qui le recouvre aussitôt sans le consumer.
La sorcière émerge avant que les murs ne subissent le même sort que lors de son premier cauchemar. Elle bondit de son lit trempé de sueur. Son flux agité lors du sommeil a mis sa chambre sens dessus-dessous, un souci qu'elle règle comme à son habitude à coup de magie. Le souk se range et l'affaire est conclue. Ou presque.
— Le grimoire était là, maugréé Cynthia. Il était déjà là quand j'ai fait de ce taudis mon chez-moi.
Les mains sur les hanches, elle réfléchit longuement. Dehors, le soleil se lève juste après elle. Comme c'est le cas depuis belle lurette, Cyn s'est toujours réveillée avant l'astre du jour.
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