12 - Lucy
Tw : violence
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Assise dans la voiture de Deb, je regarde le paysage défiler sous mes yeux, en silence. Je n'ai aucune envie de parler du baiser de Killian ou de ce qu'il s'est passé avec Logan. Si j'avais cru pouvoir retrouver celui qui me manque tant depuis un an, je me suis totalement plantée. Il m'a encore humiliée et cette fois devant mes amis. Comment peut-il penser une seule seconde que je peux lui pardonner à présent ? Ce n'est pas parce que mon cœur, ce traître, a battu la chamade, lorsque je me suis retrouvée collée à lui, que je ne l'en déteste pas moins. Lui et moi, c'est terminé cette fois. J'ai enfin pris conscience qu'il ne m'apportera plus jamais rien de bon. Même si c'est douloureux, c'est mieux ainsi. Pourquoi chercher à se raccrocher au passé, lorsque celui-ci ne nous veut que du mal ? Ma vie sera bien plus simple si je ne ressens que de la haine à son égard. Il n'y aura que Charlie qui pourra désormais m'atteindre. La panique me gagne en pensant à lui. Comment va-t-il réagir à mon retour ? Le maquillage refait à la va-vite sera-t-il suffisant pour lui plaire ? Du fond de mon cœur, je l'espère, car si ce n'est pas le cas, je ne suis pas certaine d'être assez forte après cette maudite journée pour encaisser ses foudres.
— Quelle heure est-il ? demandé-je à Deb.
Il ne faut pas non plus, que je sois en retard. La moindre minute pourrait se révéler fatale.
Deb jette un rapide coup d'oeil à sa montre, avant de me répondre.
— Presque dix-neuf heures,
Nerveuse à l'idée de ne pas rentrer à temps, je triture mes doigts.
— Si tu veux vraiment que je sois précise, il est dix-huit heures cinquante-six.
Rassurée, un léger sourire s'esquisse sur mes lèvres. Vu l'endroit où nous sommes, je devrais franchir la porte à dix-neuf heures pile. Il ne pourra rien me dire.
— Comment tu te sens ? Tu veux me parler de ce qu'il s'est passé avec Logan ?
— Non. Je préfère laisser ton frère où il se trouve.
Elle gare la voiture devant chez moi, avant de reprendre la parole.
— Je pense que mes parents vont lui passer un sacré savon. Tu ne devrais plus t'en inquiéter pour les jours à venir. Je te récupère demain matin devant chez toi, d'accord ? Et on fait, comme convenu, tu viens à la maison, tu te changes et on part ensemble au bahut. Je suis désolée, j'aurais aimé avoir fait tout ça avant.
Sa sollicitude me touche beaucoup et me réchauffe de l'intérieur. Je suis vraiment chanceuse de l'avoir. Sans elle, je n'aurais certainement pas supporté l'année précédente.
Je pose ma main sur la sienne pour lui faire comprendre que jamais je ne lui en voudrais de ne pas avoir pu me venir en aide plus tôt. De toute façon, je ne lui ai jamais demandé de le faire. C'est ma galère, pas la sienne. Ce qu'elle a fait aujourd'hui pour moi est déjà énorme. Je n'arrive même pas à comprendre, comment elle a réussi à convaincre sa mère de m'offrir autant de fringues. J'espère juste qu'elle ne lui a rien dit concernant la vie que je mène.
— Parfois, je m'en veux, ajoute-t-elle. J'aurais pu dire à ma mère que tu avais besoin de fringues depuis un moment, mais j'avais la trouille de ne pas savoir comment répondre à toutes ses questions. Je t'ai promis de ne rien dire et je tiens parole. Je lui ai juste dit que ton travail ne te permettait pas d'avoir assez de vêtements potables pour te rendre au bahut et que la plupart du temps, tu devais emprunter ceux de ta mère….
Quand elle se lance dans un monologue, il est difficile de l'arrêter. Elle peut parler des heures sans s'interrompre. Je me demande comment elle fait pour ne jamais avoir plus soif que la moyenne.
— On en reparle demain, d'accord ? l'interromps-je. Là, il faut vraiment que j'y aille.
Je ne sais pas ce qui l'alerte le plus : que je lui coupe la parole ou mon ton légèrement angoissé.
Elle opine du chef, la mine inquiète, avant que je n'ouvre la portière. Je suis sur le point de sortir lorsqu'elle attrape ma main dans la sienne.
— Tu devrais vraiment en parler à mon père, tu sais. J'ai peur qu'un jour cet homme aille trop loin avec toi et que tu ne puisses plus te relever.
Si tu savais ce que j'ai déjà subi, je pense que tu te précipiterais vers ton père et que tu le supplierais de me sortir des griffes de ce montre.
Je garde ces paroles pour moi. Je n'ai pas envie qu'elle en sache davantage sur le calvaire que je vis au quotidien.
— Tout va bien, Deb, d'accord ?
Elle inspire profondément.
— Fais juste gaffe. Le moindre problème, tu viens chez moi. Tu sais que mon père et ma mère t'aime, tu es comme leur deuxième fille. Et si c'est mon frère qui te dérange, on le remettra à sa place.
Je pose une bise amicale sur sa joue, histoire de la rassurer un peu. Puis, je quitte sa voiture et me rue vers la porte de mon domicile, la frousse au ventre d'avoir dépassé le temps imparti. La main sur la poignée, je tente de rassembler mon courage pour affronter le roi des enfers qui partage ma vie. Lorsque je parviens enfin à la pousser, il est la première chose que je vois. Droit comme un "I". Figé dans une attitude terrifiante. Il regarde les minutes s'écouler sur l'horloge murale, tel un métronome. Un dégoût farouche s'empare de moi alors que de légers tremblements parcourent mon corps. Je tente de me faire toute petite pour traverser le salon, tout en priant qu'il ne m'ait pas remarquée.
— Cinq minutes de retard ! tonne-t-il de sa grosse voix qui me cloue sur place.
Le sang afflue dans mes tempes bien trop rapidement. L'air semble avoir disparu, si bien que je ne parviens plus à respirer convenablement. Je suffoque sous son aura. L'angoisse qu'il fait ressurgir chaque fois qu'il me parle ainsi me noue la gorge. Pétrifiée, je ne parviens plus à avancer.
Lorsque j'entends ses pas se diriger vers moi, je ferme les yeux, priant encore plus fort.
Faîtes qu'il ne me fasse pas de mal ! Pitié, faîtes qu'il ne me touche pas.
— Où étais-tu, sale petite garce ?
Son haleine dégage des relents d'alcool. Il a dû passer l'après-midi à boire en attendant mon retour.
Il est proche de moi. Bien trop proche.
— Et ouvre les yeux quand je te parle !
Effrayée comme un animal blessé, mes mains tremblent de plus bel.
— Tu vas m'obéir, oui, sale pute !
Je m'efforce à ouvrir les yeux pour ne pas subir plus ses foudres.
— Maintenant, tu vas peut-être pouvoir me répondre !
— Je...Je…
Je n'y arrive pas. Cet homme m'effraie trop pour que je puisse dire quoi que ce soit. Son humeur s'assombrit encore plus en voyant que je suis incapable de lui avouer que j'ai passé mon après-midi avec mes amis. Il marche de long en large devant moi. J'ai l'impression qu'il tente de ravaler un peu de colère. A tort, car la seconde suivante, il se jette sur moi.
Affolée, je recule pour tenter de lui échapper. À l'instant où je me retrouve acculée au mur, je réalise que je ne peux pas m'enfuir. En deux enjambées, il est sur moi. Il attrape mon bras avec une telle force qu'une horrible brûlure en surgit.
— Tu me fais mal !
Je tente de me débattre pour lui faire lâcher prise, mais il resserre un peu plus sa prise sur mon bras. Un cri de douleur s'échappe de ma gorge.
— Aurais-tu des choses à cacher pour réagir de la sorte ?
Je secoue la tête, en évitant de me confronter à son regard démoniaque.
— J'étais juste…. Juste au centre avec… avec Debbie et Ki…
Ma voix s'étrangle sur le nom de ma deuxième copine,
— Ki ? Comme Kylian ?
De démoniaque, son regard passe à fou.
J'aimerais tellement que quelqu'un me vienne en aide.
— Kim ! hurlé-je pour me dégager de cette situation au plus vite.
— Et c'est tout ?
Je hoche la tête, en plantant mon regard dans le sien, afin lui prouver ma sincérité. Même si ce n'est qu'un mensonge, je peux toujours essayer de le convaincre de l'inverse. Peut-être qu'il me laissera tranquille si je parviens à l'en persuader.
— Je t'ai acheté quelque chose.
Je tente de l'amadouer comme je peux.
Les mains toujours aussi tremblantes et la respiration courte, je sors le paquet en question de mon sac et le lui tend. Le cœur battant, j'attends qu'il s'éloigne de moi pour l'ouvrir. Dès qu'il sera assez loin, je partirai en courant me réfugier dans ma chambre.
Tous mes espoirs tombent à l'eau lorsqu'il déballe son cadeau sans me laisser suffisamment de marge pour fuir. Pire, il se rapproche un peu plus de moi et colle son érection contre mon ventre. Mon estomac se retrouve au bord des lèvres, écœurée par ce contact. Pour tenter de mettre un peu d'espace entre nos corps, je me raidis.
— Gentille fille, me souffle-t-il de son haleine pestilentielle. Vois à quel point ton cadeau me fait plaisir.
Comme un animal en rut, il se frotte contre moi. Je ne peux que fermer les yeux et ravaler ma bile en attendant qu'il en finisse avec moi. Quand il glisse sa main sous ma jupe, je perds pied. Mon cri retentit aussitôt dans toute la maison. Pour me faire cesser, il me gifle si fort que ma tête part sur le côté. Une douleur cuisante en ressort. C'est atroce !
Qu'ai-je fait de mal pour supporter un tel enfer ?
— C'est ce que tu veux, salope, que je te prenne contre ce mur ?
Affolée, je secoue la tête avec vigueur, en priant tous les Saints du monde qu'il n'aille pas jusque là.
— Alors, ferme-la et dégage dans ta chambre !
Je ne demande pas mon reste et cours me réfugier dans mon antre. Cependant, je n'ai pas le temps de m'y enfermer, car il bloque la porte de son pied. Je tente de la pousser, mais il est plus fort que moi. Je ne peux rien contre lui. Une sueur glacée coule le long de ma colonne vertébrale et de mon front. Je suis perdue.
— Où est le reste de l'argent ?
Abasourdie, je mets plusieurs secondes à réaliser ce qu'il me demande. Comme je ne lui réponds pas assez vite, il m'arrache le sac des mains et fait tomber le livre que je me suis offert avec ce qu'il me restait. Mais il n'y prête pas plus attention que ça. Ce qui l'intéresse, c'est un bout de papier plié en quatre qui s'est échoué au sol. Je ne sais pas ce que c'est. Un vieux ticket de caisse,sûrement. Il le ramasse, le déplie et se met à le lire. Je réalise que je suis loin du compte lorsque ses traits se décomposent. Je ne sais pas ce que ses yeux découvrent, mais ça ne semble pas lui plaire du tout. Pire, ça le rend fou. Je m'en rends compte au moment où il me terrasse de son regard aussi obscure que les ténèbres dans lesquelles je suis en train de plonger. Jamais, je n'ai eu aussi peur de ma vie. Il me veut encore plus de mal que les autres fois. Tout en lui me le dicte.
— Avec qui tu étais ?
Il ne me croie plus, ça se voit. Qu'est-il écrit sur ce mot pour qu'il me repose la question ?
— Deb et Kim, réponds-je d'une toute petite voix, néanmoins cette fois je n'hésite pas.
— Menteuse ! hurle-t-il si fort que je me bouche les oreilles.
Il balance la feuille vers moi, en vociférant encore et encore que je lui mens.
— Je veux que tu le lises et que tu me dises avec qui tu étais !
Je n'en fais rien. La frayeur qui me ronge les sangs m'empêchent d'agir comme il le souhaite. Tétanisée, je n'arrive plus à respirer et encore moins à bouger.
— Ramasse et lis !
Face à mon manque de réaction, il se jette sur moi et attrape mes cheveux à pleine poignée pour me contraindre à lui obéir. Je force sur ses doigts, le griffe pour tenter de me dégager de son emprise. Les larmes coulent le long de mes joues, sans que je ne puisse les retenir. J'ai mal. Si mal que la mort me paraît plus douce à côté. Je finis par capituler pour ne plus avoir à subir tout ça. Une fois la feuille en main, il m'oblige à me redresser en tirant sur mes boucles. Je ravale le cri qui tente de franchir mes lèvres.
— Très bien ! Maintenant, lis !
Je reconnais aussitôt cette écriture élégante. C'est celle de Logan. Le mot n'est pas signé. Tant mieux. Quel qu'en soit le contenu, je pourrais essayer de trouver une excuse pour que cet être abject s'éloigne de moi.
— Tu vas lire, putain !
— Tu… tu… tu étais…étais très belle aujourd'hui, balbutié-je.
Des dizaines de questions me traversent l'esprit, mais je n'ai pas le temps de m'y attarder. Le monstre en face de moi souhaite des réponses.
— Je ne sais pas qui a mis ça dans mon sac. J'te jure que c'est la vérité.
Alors qu'il cherche à déceler dans mon regard si je lui mens ou non, il enserre ma gorge d'une poigne de fer. L'air déserte mes poumons tandis qu'une brûlure intense en surgit.
— Tu es a moi, Lucy !
Je hoche la tête, mais ce n'est pas suffisant pour lui. Comme je ne suis pas capable de prononcer un seul mot, il me frappe. Alors que ses coups deviennent de plus en plus violents, il me rabâche sans arrêt les mêmes paroles. Je tente de me protéger comme je peux, en plaçant mes bras autour de mon visage. À quoi bon ? Il profite de la moindre brèche. Tout tourne autour de moi. Je ne vois plus rien. Je vais mourir. J'en suis certaine.
Aidez-moi !
Sous les multiples impacts, je finis par m'effondrer. Les larmes ne cessent de couler le long de mes joues, aussi tranchantes que des lames de rasoir. Je me plie en boule afin de me protéger. Mes joues sont en feu, mes bras me font horriblement mal et ma gorge peine encore à y laisser pénétrer l'air.
Faîtes qu'il m'achève !
— Tu vas voir ce que je fais avec une salope de ton genre !
J'entends le bruit de sa fermeture éclair.
Il va me violer, c'est tout ce que je parviens à penser.
Lorsqu'il me force à écarter les cuisses, je me démène comme une forcenée pour lui résister. Il ne peut pas me prendre ce qu'il me reste de plus précieux. J'ai beau lutter, sa force ne me permet pas de le repousser. Je hurle à plein poumon, même si je sais que ça ne sert à rien. Nous sommes seuls et ils ont réussi à faire croire aux voisins que je suis une démente, capable de piquer une crise d'une minute à l'autre. Personne ne me viendra en aide.
Pourquoi moi ? Pourquoi mon père m'a abandonnée aux mains de ces personnes ?
— Tu vas fermer ta gueule, sale pute ! Tu n'as que ce que tu mérites !
Il me frappe une nouvelle fois pour que je la boucle. Le goût métallique du sang emplit ma bouche. Un haut-le-cœur contracte mon estomac avec une telle intensité que je suis sur le point de vomir. Je me retiens de justesse, même s'il ne mérite que ça, que je lui dégueule dessus.
Pressé d'en finir, il arrache ma culotte. Lorsque son membre essaie de me pénétrer, je me réfugie dans un coin de mon cerveau, là, où il ne pourra plus m'atteindre. Je me raccroche à mon passé avec Logan pour m'abstraire de l'horreur que va subir mon corps.
— Charlie, mon amour, je suis rentrée.
Un infime espoir s'éveille en moi, lorsqu'il grogne, dérangé par ma mère. Il se relève et se rhabille à la hâte. Dès qu'il quitte ma chambre, je m'élance sur ma porte à quatre pattes. Il ne doit pas revenir ! Je la pousse et m'y adosse. Les bras autour de mes genoux, je cherche à me réchauffer de l'intérieur. Mes pleurs redoublent d'intensité. Pleurs de désespoir. De rage. Chacune des larmes qui brûlent mes joues me rappellent à quel point je déteste cet homme. À quel point, je voudrais qu'il crève ! Je le hais !
Mon corps se balance d'avant en arrière heurtant à plusieurs reprises le contreplaqué dans mon dos. Je me berce, pour tenter de me rassurer, comme un petit enfant. J'entends ma mère hurler à son tour, c'est sur elle qu'il déverse sa frustration et sa colère de ne pas avoir pu me faire sienne. De mes deux mains, je me bouche les oreilles, en me balançant encore plus vite. Je ne veux plus rien entendre ! Elle pourra crier autant qu'elle voudra, je ne me déplacerai pas. Pas cette fois. De toute façon, ça ne sert à rien, il aura toujours le beau rôle et moi je resterai, ad vitam aeternam, le vilain petit canard. Si seulement elle pouvait comprendre qu'il est le diable en personne, mais chaque fois que je lui en touche deux mots, elle me rit au nez.
Depuis son arrivée dans notre vie, je tente de lui faire entendre raison, mais elle refuse de m'écouter. Quand je lui dis ce qu'il me fait subir, elle me répond que tout est de ma faute, que c'est moi qui le provoque, que je ne suis qu'une allumeuse. J'aimerais tellement qu'elle entende mon cri de détresse. Mais elle n'en fera rien. Elle tient trop à lui pour voir quel créature immonde partage sa vie.
Elle ne m'aime pas. Ne m'a jamais aimé. Ce n'est pas aujourd'hui que je pourrais changer quoi que ce soit. Je n'ai que dix-sept ans, mais déjà épuisée par la vie.
— Tu aimes, hein, sale pute ? entends-je Charlie lui demander avant que ses râles, de plus en plus forts, emplissent la maison.
Je cherche la force de me reprendre dans ces mots. Dans un dernier espoir, je m'y accroche pour trouver la force de dégager d'ici. Si je reste, il finira par avoir ma peau. Dans un geste rageur, du revers de la main, je chasse les larmes qui continuent à se déverser sur mes joues.
Je me lève, enfile un nouveau sous-vêtement et ouvre la fenêtre. J'attrape ma chaise de bureau et la pousse jusqu'au mur. Je ne regarde plus que ma liberté, celle d'échapper à un monstre, qui va m'ôter le peu de dignité que je conserve bien précieusement. Je suis restée pour la femme qui m'a mise au monde, croyant qu'elle finirait par changer, mais je dois fuir pour me protéger. Peu importe ce qu'il adviendra de moi à l'extérieur de ces murs, ce ne sera jamais pire que ce qui se passe à l'intérieur.
Je passe par la fenêtre et cours sans réfléchir où je vais. Tout ce que je sais, c'est que je veux être loin d'ici, le plus vite possible. Rien ni personne ne me forcera à y retourner. C'en est fini pour moi. Je préfère vivre dans la rue, que de survivre chez moi, en me réveillant chaque matin la boule au ventre, sans savoir si je serais encore là le soir venu.
Sous ma course effrénée, les muscles de mes mollets et mes poumons se mettent à brûler. Peu importe. Je dois avancer. Il le faut, je n'ai pas le choix ! L'adrénaline dans mes veines me donnent le coup de fouet nécessaire pour continuer encore et encore.
Arrivée en centre-ville, je m'arrête pour reprendre mon souffle. La foule qui y règne, comme tous les samedis soirs, me permettra de me planquer sans trop de mal. Soulagée de ne plus avoir à fuir comme une dératée, je me détends légèrement. Une part de moi reste quand même sur le qui-vive, Charlie connaît beaucoup de monde dans cette ville. Je n'ai pas envie de me retrouver face à l'un d'eux qui me ramènerait illico-presto chez lui.
J'erre de longues minutes sans savoir où me rendre. D'un coup, j'ai la trouille de passer la nuit dehors. Je me rappelle la dernière fois où ça m'est arrivée, c'est loin d'être un bon souvenir. Durant une semaine, j'ai mangé des restes trouvés dans les poubelles des restaurants. Sept jours où j'ai survécu comme j'ai pu avant qu'ils ne me retrouvent. C'etait aux vacances de Noël, l'année précédente. Personne ne s'est inquiété de mon sort puisqu'il n'y avait pas de cours.
Alors que je marche dans la rue principale, les paroles de Deb font échos dans ma tête. Je pourrais aller chez elle pour ne pas revivre cet enfer, mais après ce qu'il s'est passé avec Logan, il en est hors de question. Je ne veux pas le voir. Pas après ce que je viens de subir. Je ne sais pas comment je réagirais s'il se servait de ma souffrance pour m'humilier une nouvelle fois au lycée. Si seulement, je connaissais l'adresse de Killian...
Épuisée par cette journée, je m'écroule le long d'un mur. Les passants me dévisagent avec dégoût. Ils doivent me prendre pour une prostituée. Après tout, c'est ce que je suis, vu que tout le monde n'arrête pas de me le répéter. Mes paupières se font de plus en plus lourdes.
Fermer les yeux pour ne plus se rappeler du présent, ça m'a l'air si tentant.
— Mademoiselle… mademoiselle.
Quelqu'un me secoue avec douceur.
— Tout va bien, mademoiselle ?
— On devrait appeler les secours, Erwann.
J'ouvre les paupières avec difficulté. Chaque parcelle de mon corps se rappelle douloureusement à moi. J'ai tellement mal que mes yeux me brûlent. Des larmes de souffrance menacent de s'échapper de la prison dans laquelle je tente de les maintenir.
— Vous croyez que vous pouvez vous lever ? On va vous conduire à l'hôpital.
Terrorisée face à cette idée, je hurle ma réponse.
— Non !
Je m'agite dans tous les sens et tente de me relever sous le regard inquiet du type qui m'a réveillée. Je dois à nouveau fuir, il est hors de question qu'Il puisse me retrouver. Je m'accroche au mur derrière moi pour forcer mes jambes à me soutenir. Je ne veux pas rentrer chez moi. Une terreur immense me tord l'estomac. Je tremble de partout et suffoque.
La main que pose l'homme sur mon épaule me fait sursauter. Je me recule pour fuir son geste, effrayée par cette proximité. Confus, il recule d'un pas et glisse une main dans ses cheveux.
— D'accord, calmez-vous. Vous ne devez pas avoir peur de moi, je ne vous veux aucun mal.
Son regard compatissant et surtout la fille qui se rapproche de lui pour le serrer dans ses bras, me donne la force de croire en ses paroles. D'un simple mouvement de tête, je lui laisse comprendre que je veux bien lui octroyer un bout de ma confiance.
— Je pense vraiment que vous devriez voir un médecin, mais si vous ne voulez pas aller à l'hôpital, je ne vous forcerai pas. Donnez-moi votre adresse, ma copine et moi allons vous ramener, d'accord ?
Je hoche une nouvelle fois la tête, avant de lui fournir l'adresse des Baldwin. Je refuse de voir Logan, toutefois je sais que c'est le seul endroit où je pourrais réellement être protégée.
Je n'ai plus qu'à prier pour que mon ex-meilleur ami soit parti en soirée. D'ici son retour, j'aurais eu le temps d'envisager avec sa famille les différentes possibilités qui s'offrent désormais à moi.
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