13 - Logan
Passer son samedi à mater la télé, il y a bien mieux ! Surtout lorsque ses potes sont en train de s'éclater à une fête démentielle, donnée par le meilleur coup de la ville. Si je n'avais pas fait le con avec Lucy, j'y serai également. Même si j'ai pas mal discuté avec ma mère sur ce que je ressens, elle n'est pas revenue sur sa décision de me priver de cette soirée. Ça te laissera le temps de réfléchir aux conséquences de tes actes, m'a-t-elle dit avant de quitter ma chambre. Comme si j'en avais besoin. Je sais déjà que j'ai grave merdé, j'en ai pris conscience depuis plusieurs heures, lorsque cette jolie brune m'a tourné le dos pour de bon.
Alors que je zappe sur les différentes chaînes, à la recherche d'un programme un tant soit peu intéressant – à croire que les programmateurs pensaient à leur prochaine sortie, tant c'est merdique – mon téléphone se met à vibrer dans la poche de mon jeans. Quand je l'en sors, j'aperçois directement le nom de Chris s'afficher. Putain, le con, je suis certain qu'il va me narguer. J'hésite un instant à le ranger, avant de me décider qu'il vaut mieux que je réponde à son appel visio. Il serait bien foutu de le faire sonner jusqu'à ce que je décroche.
–— Regarde avec qui je suis, mec !
Comme phrase d'intro, il aurait pu trouver mieux. Un « salut, ça va ? » aurait été pas mal pour commencer, d'autant plus qu'on ne s'est pas vu de la journée. Pas la peine de le lui faire remarquer, sa réaction serait la même que d'habitude. Il lèverait les yeux et gonflerait les joues pour me faire capter que ma politesse le soûle. Autant laisser tomber.
Mon écran me renvoie une image de lui et de Mandy, la meuf que je me suis tapée hier soir. Dans son micro-short et son top plus que décolleté, elle est plutôt bandante. Je crois que je me la serais bien refaite si j'avais pu m'y rendre. Ça aurait au moins eu le don de me sortir Lucy de mes pensées.
— Je pense que ma soirée va être bien plus intéressante que la tienne, vieux.
Il n'y a pas a dire ! Putain, qu'est-ce que je regrette d'avoir fait le con !
— Je n'en doute pas une seconde. Le programme à la télé est naze et ma frangine n'est même pas là pour que je l'emmerde un peu. Je me fais grave chier.
— C'est vraiment dommage que tu ne sois pas ici. On aurait pu s'éclater tous les deux, me sors Mandy en humectant ses lèvres de manière provocatrice. J'ai adoré te sucer hier soir.
Bordel ! Cette blonde sait s'y prendre pour allumer un mec. La température de la pièce vient d'augmenter de vingt degrés au moins, tellement j'ai chaud. Ma queue n'a pas attendue que je reprenne mes esprits pour se gorger de sang. Un peu trop à l'étroit dans mon jeans, je suis obligé de le dézipper pour me sentir plus à l'aise.
— On remet ça quand tu veux, beauté.
— J'ai hâte.
Tout en elle me donne un avant-goût de notre prochaine partie de jambes en l'air. Putain, moi aussi, j'ai hâte. Cette fille est brûlante comme une braise.
Quelques coups donnés à la porte interrompent ce que je m'apprêtais à dire. Qui peut bien frapper à cette heure-ci ? Je fronce les sourcils, étonnés que l'un de mes potes aient pu penser à passer.
— Qu'est-ce qu'il y a, Logan ? me questionne la jolie blonde.
— Reed et Kate sont avec vous ?
— Ouais, pourquoi ? me demande Chris.
— Quelqu'un vient de frapper. Comme mes vieux et ma frangine ne sont pas là, je pensais que c'était l'un de vous.
Et, vu, que ce n'est pas l'un d'eux, je ne me bouge pas le cul.
J'ai à peine le temps de reprendre la conversation que les coups retentissent à nouveau. Putain ! Je jure que s'il s'agit de ces petits merdeux du quartier, ils vont vite comprendre comment je m'appelle.
— Je te laisse, mec. On frappe encore et ça me gonfle.
Je reboutonne mon froc, avant de me lever.
À peine dix secondes plus tard, je jette un œil par le judas. Un type d'une vingtaine d'années, tout au plus, habillé avec classe se tient de profil de l'autre côté. Un démarcheur, à cette heure ? Perplexe, je me gratte le front. Je continue à le mater en me demandant si je dois ou non ouvrir. Après tout le gars souhaite peut-être juste voir mon vieux pour je ne sais quelle raison. Quand il toque une nouvelle fois, son inquiétude gravée sur la gueule, je me décide à lui ouvrir. Qui sait ? C'est peut-être important.
— Ouais ?
— Excusez-moi pour le dérangement, me salue-t-il, mais une jeune fille se trouve dans ma voiture et m'a demandé de l'emmener ici. Je suppose que c'est votre sœur.
Ma sœur ? Dans sa caisse ? Elle n'est pas censée être chez Kim ? Sous l'incompréhension, je secoue la tête.
— Je dois vous avertir, elle n'est pas très jolie à voir.
Comment ça pas jolie à voir ? Même si c'est ma frangine, je sais qu'elle est super canon. Qu'est-ce qui lui est arrivé pour qu'il ose me sortir une merde pareille ? Un boule d'angoisse se loge dans ma trachée, si bien que je peine à respirer. Et ce n'est pas l'air glacial qui résoudra mon problème.
— Je ne capte rien, répliqué-je, mordant.
— On l'a trouvé endormie dans la rue. Quelqu'un s'en est visiblement pris à elle.
Putain, ce n'est pas possible ! Qu'est-ce qu'elle foutait dehors ? Nos vieux vont péter un câble quand je vais les prévenir ! Surtout si, comme semble le dire ce gars, il lui est arrivé un truc.
Furax à la fois contre elle et contre l'enfoiré qui l'a mise dans un sale état, je serre les poings. Elle a intérêt de me fournir une bonne explication sur sa sortie improvisée, sinon je vais la cuisiner jusqu'à ce qu'elle crache le morceau.
— Il vaudrait mieux que vous veniez la chercher. Elle peine à tenir debout.
— D'accord, grogné-je.
Saleté de soirée !
Je suis le gars jusqu'à sa caisse. Lorsqu'il ouvre la portière arrière, mon monde s'écroule. Putain de bordel de merde ! Ce n'est pas ma sœur, mais Lucy. Alors que les températures frisent les moins un, elle est seulement habillée d'une simple jupe et d'un t-shirt dont le décolleté ne laisse aucune place à mon imagination. À croire qu'elle s'est enfuie de l'endroit où elle se trouvait en oubliant d'enfiler son manteau. Où se trouvait-elle ? Avec qui ?
Son visage n'a, quant à lui, plus rien de beau tant il est déformé par le nombre incalculable de coups qu'elle semble avoir reçu. J'en ai vu des gars amochés sur le terrain, mais pas à ce point.
Mon bide se tord de la voir dans cet état. Je hais le connard qui s'en est pris ainsi à elle. Si je le retrouve, je lui éclate la tête, pour bien lui faire comprendre qu'on ne lève pas la main sur une fille sans en payer les conséquences.
Certes, toutes les humiliations qu'elle a subies par ma faute ne valent pas mieux, cependant je n'aurais jamais levé la main sur elle. On ne frappe pas une femme, putain !
Et on ne la blesse pas non plus comme tu l'as fait, ducon !
Foutue conscience, qui n'a pas tort toutefois.
Je ferme les yeux pour encaisser cette scène horrifique et faire cesser cette voix sous mon crâne, qui continue à me harceler, en me traitant de tous les noms. J'inspire lentement, emplissant mes poumons de l'air glacial, avant d'ouvrir les yeux et de tendre la main dans sa direction. Elle fixe une fraction de secondes mes doigts, avant de se reculer, comme si leur vision l'effrayer. Je me mords l'intérieur de la joue pour prendre sur moi, sans rien dire.
La voir ainsi est une véritable torture, même si ce n'est rien comparé à ce qu'on lui a fait déguster. À cet instant, je crève d'envie de remonter quelques heures plus tôt pour la supplier de ne pas partir. Si elle était restée, je suis persuadé qu'il ne lui serait rien arrivé. Que quelqu'un me rappelle pourquoi je me suis mis à la détester ? Pour l'heure, je n'ai qu'une envie la serrer contre moi et la protéger du salopard qui a commis un tel acte.
— Lucy ! l'appelé-je d'une voix douce pour ne pas l'apeurer plus qu'elle ne l'est déjà.
Son regard terrorisé me fout à terre. Elle ne semble même pas me reconnaître.
— Lu ? C'est moi, Logan.
Elle secoue la tête, comme si elle refusait ma présence. Je suis mal barré. Putain, pourquoi ma frangine est partie retrouver sa pote ?
— Deb, prononce-t-elle si bas qu'il me faut quelques secondes pour capter qu'elle appelle ma sœur.
Je hoche la tête, comprenant parfaitement qu'elle a plus besoin de ma frangine que de moi. Avant, c'est moi qu'elle aurait réclamé plus que Deb. Je me sens tellement fautif.
— Elle a dû subir un gros traumatisme. Elle a refusé que je la conduise à l'hôpital et m'a supplié de l'emmener ici, me confie le gars.
Je lui jette un bref coup d'oeil par-dessus mon épaule, puis reporte mon intérêt sur cette jolie brune, en hochant la tête. Je n'ai pas grand-chose à dire à ce type. Mes mots semblent ne vouloir sortir que pour celle qui se trouve sur la banquette arrière de cette caisse.
— Viens, Lu. Plus personne ne te fera de mal.
Les larmes silencieuses qui se mettent à rouler sur son visage me fendent l'âme. Tant de souffrance en elle.
Je reste plusieurs minutes à tendre la main, sans qu'elle ne réagisse. J'attendrais jusqu'au bout de la nuit, si besoin. Je ne veux pas la laisser partir, pas après l'avoir vue comme ça.
Lorsqu'enfin, elle s'en empare, je pousse un soupir de soulagement. Je l'aide à sortir de la voiture, mais à peine a-t-elle fait un pas à l'extérieur, qu'elle s'effondre sur le bitume. Merde ! Elle est si faible. Ni une, ni deux, je glisse une main sous ses cuisses et l'autre sous ses aisselles et la soulève dans mes bras. Son corps contre le mien m'électrise, cependant j'évite d'y prêter attention. Elle n'a pas besoin du type qui crève d'envie de la faire sienne, mais de l'ami qu'elle a toujours connu.
— Accroche-toi à moi, je vais te ramener à l'intérieur.
Elle hésite un instant, la peur toujours aussi flagrante sur son visage.
— Tu peux me faire confiance, Lu.
Pas sûr que c'était la meilleure chose à sortir après tout le mal que je lui ai fait. Mais merde, je ne sais pas quoi dire d'autre. Je n'ai jamais connu une telle situation auparavant. Et ça me bousille un peu trop de la voir comme ça. Elle était déjà si fragile, sans compter tous les coups que je lui ai donné pour la mettre plus bas que terre.
— Je ne te ferais pas de mal, je te le promets.
Lorsque son regard sonde le mien, je tente de paraître le plus convaincant possible. Elle a besoin d'y croire.
— Deb, prononce-t-elle à nouveau à mi-voix.
— Elle est chez Kim. Je suis tout seul.
Mauvaise réponse mon gars ! Vu comme elle s'agite dans mes bras, il ne me faut pas deux plombes pour capter qu'elle désire se casser loin de moi. Si je la relâche, elle va s'écrouler. Pour le coup, je la maintiens encore plus fermement, afin de la ramener à l'intérieur. Hors de question, tant que je ne sais pas ce qu'il s'est passé, de la laisser repartir, surtout dans cet état. Sa lèvre saigne toujours et ses ecchymoses sont de plus en plus visibles. Elle a besoin que quelqu'un s'occupe d'elle et je suis le seul dispo pour le faire.
— Si tu ne veux pas m'aider, je m'en fous. Par contre, je ne te laisse pas repartir, alors cesse de te débattre.
Comprenant que je ne déconne pas, elle cesse de gigoter dans tous les sens. À mon plus grand bonheur. Elle n'est peut-être pas très lourde, mais elle pèse tout de même son poids. Elle finit même par enrouler ses bras autour de mon cou. Son doux parfum me chatouille agréablement les narines et réveille en moi tout un tas d'émotions que je pensais éteintes depuis longtemps. Dans d'autres circonstances, je crois que j'aurais profité de la situation pour l'embrasser. Là, je veux juste la ramener chez moi.
Arrivé à la porte d'entrée, je me retourne vers le gars pour le remercier d'un simple signe de tête.
— J'espère qu'elle ira bien, lance-t-il avant de se glisser dans sa caisse.
Ouais, moi aussi, je l'espère. De tout mon cœur. De toute mon âme. La voir ainsi est bien assez difficile, il ne faut pas qu'elle plonge plus bas. En attendant, je vais prendre soin d'elle et la rassurer jusqu'au retour de ma sœur et de mes parents.
Une fois à l'intérieur, je la dépose sur le canapé. Elle se positionne aussitôt en position fœtale, comme si elle cherchait à se réconforter elle-même. Ses yeux grands ouverts sur le néant et son silence me bouleversent encore plus.
Je m'accroupis devant elle et tente de dégager une mèche de ses cheveux qui barre son beau visage. Même ainsi, elle reste la plus jolie pour moi. Lorsque, effarée, elle se met à hurler, je bondis en arrière et tombe sur le cul, surpris par sa réaction. Comment agir avec une fille qui semble avoir vécu l'enfer ? Kate a connu des situations difficiles, mais elle n'a jamais débarqué chez moi aussi défigurée.
— T'es en sécurité ici. Personne ne te fera de mal.
Elle pose son index sur ma poitrine. Étonné par son geste, je reste quelques secondes à observer son doigt, avant de revenir poser mes yeux sur son visage.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Ses larmes se mettent à nouveau à ruisseler sur son visage. Véritable coup de poignard pour mon palpitant.
— Lu, parle-moi, s'il te plaît.
Plusieurs secondes s'écoulent sans qu'elle ne dise rien. Autant laisser tomber, je pense. Elle est traumatisée et il va lui falloir des minutes, des heures, voire des jours pour s'en relever. Vaincu par son silence, je m'apprête à aller chercher de quoi la soigner, lorsqu'elle me retient par le poignet.
— Toi. Mal.
Je tords mes lèvres dans une légère grimace. Je ne comprends rien à ce qu'elle raconte.
— Toi. Mal, répète-t-elle un peu plus fort, comme si je n'avais pas été foutu d'entendre la première fois.
— Je ne comprends pas.
Son regard cherche le mien, pour s'y ancrer. On dirait qu'elle veut me faire passer un message à travers ses yeux. Putain, pourquoi notre lien s'est autant distendu ? Avant, il me suffisait de plonger dans ses magnifiques prunelles pour connaître le fond de ses pensées. Comme je n'y parviens pas, je secoue la tête pour le lui faire comprendre.
— Mal à moi.
Merde ! J'ai enfin capté ! Elle se demande si je ne vais pas la blesser à mon tour. Elle ne me fait plus du tout confiance. Ça doit être pour cette raison qu'elle réclamait ma sœur. Je me hais de lui avoir fait subir autant d'humiliations, surtout là qu'elle a besoin d'une épaule amicale après ce qu'elle a vécu. Encore un coup à encaisser, mais je l'ai bien mérité.
Je m'accroupis à nouveau devant elle et cherche son regard.
— Regarde-moi, Lu et dis-moi ce que tu vois dans mes yeux.
Après quelques secondes durant lesquelles elle fuit mon regard, à mon plus grand désespoir, elle finit par s'y accrocher. À travers lui, je tente de la convaincre que je ne la blesserai plus jamais. Je ne sais pas ce qu'elle y lit, néanmoins lorsque ses lèvres s'étirent dans un demi-sourire, je sais que j'ai gagné. Au moins pour l'instant.
— Je ne te ferai plus de mal, je te le promets.
Et je m'y engage. Qu'on me jette aux cachots si je ne tiens pas parole !
Happé par ses magnifiques prunelles, il me faut une bonne minute pour me reprendre.
— Je vais aller chercher de quoi te soigner et essayer de joindre Deb, d'accord ?
Elle hoche à peine la tête, néanmoins c'est suffisant pour que je perçoive qu'elle a compris.
— Je reviens.
Je grimpe les marches quatre à quatre pour aller récupérer rapidement le baume anti-coups ainsi que du désinfectant dans la salle de bain. Une fois à l'étage, avant même d'ouvrir le placard à pharmacie, je tente de joindre Deb. Je laisse la sonnerie retentir pendant plusieurs secondes.
Elle ne peut pas décrocher ! Jamais là quand on a vraiment besoin d'elle, celle-ci !
— Rappelle-moi, c'est urgent. C'est au sujet de Lucy, laissé-je sur son répondeur.
Quand je redescends ma jolie brune n'a pas bougé d'un millimètre. Ses larmes continuent de se déverser le long de ses joues. Silencieuses. Douloureuses. Je me mords la lèvre, bouleversé par sa souffrance.
J'inspire un bon coup avant de la rejoindre. Je ne dois pas me laisser submerger par ma tristesse, ni par cette sombre colère. Elle a besoin de quelqu'un de solide à ses côtés.
Accroupi à présent devant elle, je m'occupe de son visage, avec des gestes très lents pour ne pas la brusquer. Du bout des doigts, j'applique le baume sur chacun de ses coups. La grimace qu'elle tire chaque fois que je frôle une de ses blessures me fout encore plus en rogne. Mes mâchoires se crispent, haineux contre l'enfoiré qui a osé s'en prendre à elle.
Alors que je m'occupe de sa lèvre, mon cerveau se remet en branle, comme si la voir ainsi l'avait endormi pendant plusieurs minutes.
D'après ce que j'ai compris, elle travaille le samedi soir dans ce putain de bar. Son mec est censé l'accompagner. Deux solutions s'offrent à moi, soit ce p'tit con s'en est pris à elle, en pensant qu'il avait tous les droits sur elle à present qu'ils sont ensemble, soit un des clients a profité de l'absence de son copain pour la cogner. Si c'est son chien de garde, il a plutôt intérêt de se planquer, je ne vais pas hésiter à lui tomber dessus dès que l'occasion se présentera à moi. Il ne verra même pas le coup venir.
Dès que je pense m'être occupé de chacune de ses blessures, je file dans la cuisine récupérer un verre d'eau. Lorsque je reviens, elle est assise, en train de tendre le bras pour me désigner une ecchymose qui m'a échappé. Merde ! Est-ce que tout son corps en est couvert ? Je n'ose pas lui demander de peur d'en apprendre davantage. Tout ce que je vois me fout bien assez en l'air.
Je passe du baume sur sa blessure avant de lui donner le verre et un médoc contre la douleur.
— Comment tu te sens ? demandé-je.
Sérieux, je n'ai pas plus stupide comme question ? Elle doit souffrir le martyr et je suis presque certains que ses douleurs physiques ne sont rien comparées à ce qu'elle vit au fond d'elle.
Son haussement d'épaule me laisse comprendre qu'elle n'a pas vraiment envie d'en discuter.
— Tu veux qu'on regarde un peu la télé ?
Nouvel haussement d'épaule.
Comme je n'obtiendrais pas plus de réactions, inutile d'insister.
Lorsque je m'assois sur le canapé, elle se recroqueville. À croire que je suis devenu le grand méchant loup.
Elle n'a peut-être pas tort, je lui en ai tellement fait voir. Putain, comme je regrette !
Je laisse autant de distance que possible entre nos corps, je refuse de l'effrayer plus.
— Tu veux qu'on regarde quelque chose de particulier ?
La tête tournée dans sa direction, j'attends sa réponse. Rien. Et quand je dis rien, c'est rien de chez rien. Même pas un haussement d'épaule ou toute autre réaction. Son regard fixe à nouveau le vide et ses larmes se déversent encore sur ses joues. La voir si vulnérable fait chuter mon cœur de plusieurs étages. Si seulement je pouvais prendre une partie de ses démons pour la soulager un peu. Quinze mois plus tôt, j'aurais su comment la ramener vers moi. Il m'aurait juste suffi de la prendre dans mes bras pour la consoler, lui dire que plus personne ne s'en prendrait à elle, car je serais toujours là pour la protéger et veiller sur elle. Je ferme les yeux, regrettant amèrement chacun de mes actes. Sans eux, nous ne serions pas dans cette foutue impasse où elle n'ose pas s'approcher de moi, par peur de ce que je peux lui faire subir, et, où je me sens incapable de faire un pas vers elle, pour ne pas l'effrayer. Comment effacer le passé ? Si seulement je pouvais être magicien et donner un coup de baguette magique, je remonterais le temps et effacerais chacun de mes mots qui l'ont brisée durant plus d'un an. Mais, je ne le suis pas. Je ne suis qu'un enfoiré. Un connard de première. Et tous les autres jolis surnoms qu'elle peut me donner et que je mérite amplement. Je lui lance un sourire triste, qu'elle ne capte même pas, tant elle est loin de moi. Qu'est-ce que je suis sensé faire ? Je n'en sais foutrement rien.
Abattu, j'attrape la télécommande et zappe sur les différentes chaînes. Lorsque je tombe sur une vieille émission qu'on regardait ensemble, un truc qui nous faisait marrer chaque fois, je laisse. Peut-être que ça l'aidera à se rappeler qui j'étais avant, celui que je désire être à nouveau pour elle.
Le programme choisi, je reprends mon smartphone et tente d'appeler encore une fois Deb. Toujours son foutu répondeur ! Pourquoi ne décroche-t-elle pas alors que sa meilleure amie a besoin d'elle ? Ce soir, même si d'habitude je m'en fous, je rêve de connaître l'adresse de sa pote pour pouvoir aller la chercher.
— Je n'arrive pas à joindre ma sœur. Je vais tenter d'appeler mes vieux.
— Non !
Face à son cri du cœur, je sursaute, avant de me tourner vers elle. Son regard me supplie de ne pas le faire. Je secoue la tête dans l'incompréhension la plus totale. S'il y a une personne qui peut vraiment l'aider dans ce cas-là, c'est mon daron.
— Pourquoi ? Je ne sais pas qui t'as fait ça, mais mon père peut te venir en aide.
— Ne lui dis rien, s'il te plaît.
Je la regarde en secouant la tête, estomaqué par sa réponse. Je ne peux pas la laisser ainsi, mes vieux seront plus à même que moi de la protéger. Ma mère pourra la réconforter, comme ma frangine est aux abonnés absents.
— S'il te plaît, insiste-t-elle en posant une main sur ma cuisse.
Un courant électrique remonte direct le long de ma colonne vertébrale, percute mon cerveau et redescend à ma queue. Durant dix secondes, mon regard fixe sa main, qui me procure une sensation de dingue. J'ai connu tellement de filles qu'il m'en faut un peu plus d'habitude pour qu'on m'allume. Avec elle, il suffit d'une main sur mon jeans, pour que tout mon corps vibre. Je me mords la lèvre, avant de lever les yeux sur elle. Ce que je lis dans son regard me pousse à hocher la tête. Ce soir, elle pourrait me demander de décrocher la lune, je le ferais et je crois même que j'en redemanderais.
— D'accord, soufflé-je en m'enfonçant à nouveau dans le canapé.
J'essaie de regarder l'émission, mais avec elle à mes côtés, difficile de me concentrer. Je crève d'envie de la prendre dans mes bras, de poser mes lèvres sur ses boucles soyeuses, de sentir son parfum m'enivrer… comme avant.
Je lui lance un sourire de compassion qu'elle ne remarque même pas. D'ailleurs, elle s'est absentée encore une fois. Loin de moi. Son regard vide et ses pleurs me le prouvent. Tant de souffrance en elle. J'espère que ma présence lui fait du bien malgré tout. Je devrais peut-être monter me coucher pour la laisser seule ? Peut-être que c'est ce qu'elle souhaite. Je ne sais pas quelle décision prendre. Qu'aurait voulu ma meilleure amie ? Je pense qu'elle aurait préféré que je reste avec elle, même dans le plus total des silences. Alors, je reste. Et je resterai toute la nuit, quitte à dormir dans une sale position. Mon corps m'en voudra demain matin, mais je m'en fous. De toute façon, il n'y a pas d'entraînement. Vu tout le mal que je lui ai fait, je peux bien souffrir un peu pour elle.
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