24 - Logan

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Depuis quatre jours, Lu et moi, on passe la majorité de notre temps ensemble, au point où j'ai carrément délaissé mes potes. En même temps, à choisir entre eux et ma jolie brune, le choix est vite fait. Depuis notre discussion, je fais tout pour me rapprocher d'elle. Je sais qu'elle a besoin de temps, or, même si je lui ai promis l'inverse, j'ai du mal à patienter. La patience et moi n'avons jamais vraiment été très amis. D'autant plus que chaque nuit, je rêve de la prendre dans mes bras, de l'embrasser, la caresser et tout ce que les autres couples de notre âge font. Pour le moment, elle me laisse juste enrouler mes doigts autour des siens ou passer mon bras autour de ses épaules. Même si c'est bien trop peu à mon goût, je suis obligé de m'en contenter. L'important, c'est qu'elle croie en moi et je fais tout mon possible pour lui redonner confiance. Je veux qu'elle capte que plus jamais je ne me permettrai de la foutre à terre. Je veux être celui qui lui donnera la main pour l'aider à se relever.

— T'es bien silencieux, mec ! me lance Aaron.

Tous les gars ont les yeux rivés sur moi, même Wallas et Miguel qui disputaient une partie de base-ball sur la console.

— Je vous avais dit que je ne serais pas de bonne compagnie, grogné-je afin qu'il capte bien dans quelle humeur ils m'ont foutu en m'embarquant avec eux.

À force de ne pas me voir, les gars ont fini par se pointer au chalet. Je dormais encore quand ma mère a débarqué dans la chambre pour me prévenir qu'ils étaient là. La tête dans le cul, je suis allé voir ce qu'ils voulaient. Quand ils m'ont proposé de passer le reste de la journée avec eux, j'ai refusé. Un non sans appel. Lu et moi avions prévu d'aller au ciné. Manque de bol, la frangine était juste derrière et m'a forcé à accepter, parce qu'elle en avait, soi-disant, marre que je lui pique sa meilleure amie. J'ai cru que j'allais la bouffer ! Encore plus quand Creg m'a fait une réflexion, genre que je ferais mieux d'écouter ma petite sœur. Comme je commençais à m'énerver, ça a fini par sortir la fille de mes rêves de son lit. Lorsqu'elle a capté ce qu'il se tramait dans le couloir, elle m'a assuré que ce n'était pas grave si on n'allait pas au ciné aujourd'hui, qu'on pourrait remettre la séance à demain. Pour finir de me convaincre, elle a déposé un doux bisou sur ma joue. La frangine et les gars étaient aux anges. Moi, pas vraiment. J'aurais même pu dire pas du tout, ma seule compensation était ses lèvres sur ma joue.

Les gars et moi avons passé les trois quarts de la journée à skier, puis on est allé chercher des pizzas et maintenant, nous sommes en train de les bouffer chez Aaron.

Est-ce que je m'éclate ? Pas vraiment. Depuis que je l'ai quittée, je n'arrête pas de penser à elle. Je me demande ce qu'elle fout et avec qui surtout. Cette dernière question ne devrait pas trop m'inquiéter, puisque je suis certain qu'elle est avec Deb. Mais elles ont très bien pu aller retrouver ce type que ma frangine a rencontré en début de semaine. C'est un gars du coin, d'après ce que j'en sais. Qui me dit qu'il n'a pas un pote qui pourrait me piquer Lu ? Rien qu'à cette idée, j'enrage méchamment.

Un coup d'œil sur ma montre m'indique qu'il est déjà minuit. Elles ont intérêt d'être rentrées quand je vais le faire, sinon Deb risque de passer un sale quart d'heure. Lu n'a rien à foutre dehors, avec je-ne-sais qui, à cette heure-ci.

— Putain, Baldwin, t'es encore parti dans tes pensées ! grogne Creg.

Ouais, et alors ?

En guise de réponse, je lui fais deux putains de doigts d'honneur.

— Tu devrais la baiser, ça t'éviterait de fantasmer éveiller, mec, intervient Miguel.

Putain, le con ! Lui ferait mieux de fermer sa gueule, s'il ne veut pas que je la lui arrange.

— Ta gueule, ducon !

— Y a quoi entre la pote de ta frangine et toi ? me demande Aaron. C'est ta meuf ou quoi ?

Putain, mais qu'est-ce qu'ils viennent m'emmerder ce soir ?

— En quoi ça te regarde ?

— Moi, je me la taperai bien ! lance Wallas en me toisant. Cette meuf est grave bandante.

Encore un mot et je lui explose la tronche.

Même si on n'est pas encore ensemble, je ne laisserai personne s'en approcher. Et encore moins lui qu'un autre. Lu est trop naïve face à ce genre de gars.

D'un simple regard noir, je lui fais comprendre le fond de mes pensées. Durant plusieurs secondes, nos yeux se livrent un combat silencieux tandis que les autres sont morts de rire.

— J'me casse ! lancé-je, fatigué de leur connerie.

Je me lève, prêt à quitter ce chalet de tarés, quand Aaron tente de me retenir.

— C'est bon, mec, on plaisante.

Venant de Wallas, je n'y crois pas une seule seconde.

— Ouais, moi je suis sûr qu'il crève d'envie de rentrer pour la sauter et il nous balance une excuse de merde, se marre Miguel.

— Je n'ai pas envie de la sauter ! tonné-je.

Parce qu'elle mérite beaucoup mieux que ça.

Lu n'est pas le genre de filles qu'on prend vite fait dans un coin, pour se barrer dès l'affaire terminée.

— Ah, ouais ? Et t'as envie de quoi avec elle ? Parce que je vais t'expliquer, ça fait des années qu'on se connaît, que nos vieux passent toutes leurs vacances ensembles et les dernières fois où on t'a vu, t'étais pas du tout comme ça. C'était nous, avant les nanas. Là suffit que la pote de ta frangine se pointe pour que tu nous laisses tomber.

Je regarde Miguel, atterré. Ils sont en train de me taper une crise de jalousie ou quoi ?

— C'était ma meilleure pote, on s'est disputé l'année dernière. Je profite qu'elle soit avec nous pour essayer de recoller les morceaux. Fin de l'histoire.

Les gars explosent de rire, mon mensonge ne semble pas les convaincre.

— À d'autres, Baldwin. Vu la tension qu'il y a entre vous, j'en suis pas convaincu, me sort Wallas.

— Quelle tension ?

— Putain, mais, mec, t'es aveugle ou quoi ? Cette nana a envie que tu la bouscules ! me lance Creg.

Faux ! Lu veut que je prenne mon temps, elle me l'a dit.

Et si c'était vrai ? Si je n'étais pas foutu de voir plus loin que les mots qu'elle m'a sorti ? Si elle avait vraiment envie que je sois plus direct ?

Putain, merde, j'en sais foutrement rien !

— J'en sais rien, avoué-je, un peu trop perdu pour capter que je parle à voix haute.

Quand je réalise que je me suis fait méchamment griller, je prends mes clics et mes clacs. Cette conversation m'emmerde un peu trop.

Quelques minutes plus tard, j'arrive au chalet, avec une folle envie d'aller la voir. J'entre, me débarrasse de mes chaussures remplies de neige et me dirige vers sa chambre. Sa porte légèrement entrouverte laisse filtrer une douce lumière, sûrement celle de sa lampe de chevet. Je l'imagine en train de m'attendre, un bouquin à la main, et mon cœur en devient dingue. Je pousse la porte, en faisant gaffe de ne pas faire de bruit. Il ne manquerait plus que je réveille quelqu'un.

— Logan.

Elle a prononcé mon nom si bas que j'ai l'impression de l'avoir rêvé.

— Logan, prononce-t-elle un peu plus fort.

— Ouais. Je viens de rentrer.

— Logan ! S'il te plaît… non ! Logan ! Aide-moi !

Je pensais la trouver en train de m'attendre, mais c'est en plein cauchemar que je la découvre. Elle s'agite dans tous les sens, hurle mon nom, me supplie de l'aider. La voir ainsi me fout la haine. J'aimerais tellement me battre avec elle contre ses démons, mais comment ? Je ne sais même pas contre quoi elle mène cette lutte acharnée. Est-ce à cause de son agression ou me cache-t-elle encore des choses ? Que lui a fait cette ordure que j'ignore ?

Elle hurle de plus en plus fort tandis que je fais le tour du lit pour la rejoindre. Elle va finir par rameuter toute la baraque, mais à cet instant, ce n'est pas mon problème. Je veux juste la protéger de ces pires terreurs. L'apaiser. L'emmener très loin de celui qui l'effraie avec autant de force.

Je la blottis contre moi et lui murmure que je suis là. Que je ne laisserai personne lui faire du mal. Rien ne l'apaise. Elle continue à se débattre, tellement apeurée par ce qu'elle vit derrière ses paupières closes. J'ai mal. Mal de la voir ainsi. Mal de savoir que quelqu'un l'a détruite bien pire que moi. Je me fais la promesse qu'un jour, ce type en paiera le prix fort. Ma beigne n'était qu'un premier avertissement.

— Bordel, Logan ! Sors de cette chambre tout de suite !

La voix du daron tombe comme une sentence. Quand je relève la tête, j'aperçois toute ma famille. Dans leurs yeux, je suis un putain de coupable. Le pire criminel de la terre. Jamais, je n'aurais cru qu'il puisse me juger de la sorte.

— Je voulais juste l'aider !

— Je t'ai dit de sortir ! gronde mon père.

Au son de nos voix, Lucy se réveille. Totalement désorientée, elle ne comprend rien à ce qui se passe. Je ne peux pas compter sur elle pour le coup. De toute façon, je ne lui en demande pas tant.

— Je te promets que je t'aiderai, lui soufflé-je, avant de poser un doux baiser sur sa tête.

— Logan ! tonne mon vieux

Son impatience se fait de plus en plus virulente. Je n'ai pas le choix et, même si le cœur n'y est pas, je dois me casser. Je quitte la chambre, tête basse, les mains enfoncés dans les poches de mon fut', comme si on m'avait condamné au bagne. Deb me lance un sale regard au moment où je passe à côté d'elle. Que mes vieux se gourent sur mes intentions passe encore, mais, elle… je ne peux pas l'encaisser. Elle connaît mes sentiments pour Lucy. Elle sait que je ne lui ferai plus de mal. Elle aurait dû prendre ma défense, pas me juger.

Sans passer par la case salle de bain, je pars dans ma chambre.

Putain de sale journée ! Vivement qu'elle s'achève !

Je me fous en t-shirt et caleçon pour m'allonger sur mon lit. Les bras croisés sous la tête, je contemple le plafond, en pensant à ce qui vient de se dérouler. Comment ont-ils pu croire que je lui voulais du mal ? Je voulais juste la protéger, putain ! J'ai peut-être été le roi des connards avec elle, cependant, je ne m'en serais jamais pris à elle de cette manière. Je ne suis pas un violeur. Je respecte les filles. Je ne leur ai jamais forcé la main pour qu'elles couchent avec moi. Elles l'ont toujours fait de leur plein gré.

Ma porte s'ouvre avec fracas. Deb entre sans même me demander mon accord. Ses traits tirés m'indiquent qu'elle est folle de rage et cette colère m'est destinée. Je pourrais lui hurler de dégager, je n'en fais rien, encore trop choqué par ce qui vient de se dérouler dans la chambre de Lu.

— Quand tu m'as dit que tu avais des sentiments pour elle, je t'ai cru ! Jamais, je n'aurais pensé que tu allais l'agresser ! Tu ne lui as pas fait assez de mal comme ça ?

— Pense ce que tu veux de moi, Deb, je m'en fous.

Elle me regarde la bouche entrouverte, visiblement sonnée par ma répartie. Elle est plus habituée à m'entendre exploser qu'à ce genre de ton, totalement détaché.

— T'es qu'un connard !

Je hausse les épaules.

— T'as sûrement raison.

Ses yeux s'arrondissent de surprise. Elle me connaît que trop bien, elle sait que je ne me laisse jamais insulter sans répliquer méchamment.

Ouais, petite sœur, ce soir j'ai pas envie de me battre avec toi !

J'ai juste envie qu'on me foute la paix, qu'on me laisse digérer la déception que j'ai ressenti alors que j'aidais la seule fille qui compte à mes yeux.

— Maintenant, si tu veux bien, j'aimerais dormir.

Elle me foudroie de ses yeux aussi bleus que les miens, avant de sortir en claquant la porte. Médusé, je reste quelques secondes à fixer l'objet en question.

J'ai à peine le temps de me reprendre que quelqu'un toque à la porte. Aucune envie de répondre. Si c'est encore pour me faire incendier, non merci. Je reste silencieux avec l'infime espoir que celui ou celle qui se trouve derrière me laisse tranquille. Et dire que je croyais ma famille soudée ! Mon vieux peut se foutre tous ses beaux discours sur la solidarité familiale où je pense. On ne condamne pas un des siens sans l'avoir écouté avant.

Quand on pense au loup, il n'est jamais bien loin. La colère embrase chacune de mes cellules en le voyant passer sa tête par l'embrasure. Plutôt que de l'affronter, je ferme les yeux. Ce n'est pas le moment, je ne ferais que lui balancer des saloperies que je regretterai très vite.

— Je peux ?

Sa voix s'est adouci, mais ça ne m'en laisse pas moins qu'un goût de déception. Mon absence de réponse lui semble sans importance, puisqu'il entre malgré tout. Je l'entends avancer jusqu'au lit, puis le sens s'asseoir dessus. Quand il pose sa main sur ma cuisse, je ne peux qu'ouvrir les yeux. Il prend cet air qu'il a toujours quand il regrette. S'il croit qu'il peut s'en sortir ainsi, c'est mal me connaître. Je ne suis, en général, pas rancunier, mais là c'est au-dessus de mes forces. Tout comme lorsque j'ai cru que Lu s'était foutu de moi.

— Lucy nous a expliqué qu'elle avait fait un cauchemar.

— Et ?

Mon ton mordant lui fait plisser les yeux.

Et, oui, tu croyais quoi ? Que t'allais pouvoir te pointer ici et faire comme si de rien n'était ?

— Écoute, Logan, je t'ai jugé un peu vite, je n'aurais pas dû.

— C'est peu de le dire !

— Je suis désolé, fiston, d'accord ?

Je ne lui donne pas la satisfaction d'obtenir une réponse.

— Je vais retourner me coucher. Bonne nuit.

Je vois dans son regard que mon silence l'attriste. Il me faudra plusieurs jours pour encaisser tout ça. Ce soir, c'est juste au-dessus de mes forces. Pourtant, alors qu'il est sur le point de quitter ma chambre, une question me taraude.

— Papa ?

Il se tourne vers moi, un léger sourire sur les lèvres. À mon avis, il pense que je vais faire un pas vers lui. Erreur.

— Oui ?

— Où vit le père de Lucy ?

Les quelques secondes en trop, avant qu'il ne reprenne la parole, me laissent supposer que je vais haïr sa réponse.

— En Australie.

— Quoi ?!

Non, non, non ! Il est hors de question qu'elle se barre si loin de moi. Je savais qu'il n'était plus au Nouveau-Mexique, cependant, jamais je n'aurais cru qu'il vivait si loin de notre pays. Des épines s'enfoncent dans mon cœur. Putain de douleur !

— Qu'est-ce qu'il y a entre vous ? me questionne-t-il en me voyant déglutir avec difficulté.

— Rien.

— Mais, t'aimerais bien, n'est-ce pas ?

Je hausse une épaule, je n'ai pas envie de m'étaler sur mes sentiments avec lui.

— Si ça peut te rassurer, Peter ne viendra pas la chercher tout de suite. Il a quelques trucs à régler avant. En attendant, elle restera vivre avec nous. Et s'il accepte, nous pourrions envisager qu'elle finisse sa scolarité ici.

Cette nouvelle me fait bondir au plafond. Si elle finit le lycée ici, on pourrait éventuellement aller dans la même université, très loin de ce connard qui l'a brisée. Plus personne ne pourra lui imposer de se barrer loin de moi. Loin de nous.

— Merci, papa.

Avec un hochement de tête, il quitte ma chambre et moi, je reste, là, les yeux dans le vague en rêvant de notre future vie sur le campus. Je mets peut-être la charrue avant les bœufs, mais je veux y croire dur comme fer.

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