Dès que je rentre, je file m'enfermer dans ma piaule. Si ces cons de flics ne sont pas foutus de faire leur taf correctement, je n'ai plus le choix, je dois agir, en commençant par appeler mon cousin. Lui seul pourra m'aider.

J'attrape mon smartphone, me laisse tomber sur le lit et compose son numéro. Une tonalité… deux… À la troisième, je commence à pianoter d'impatience sur ma cuisse... À la quatrième, je bondis sur mes pieds... À la cinquième, j'ai envie de fracasser mon téléphone contre le mur.

Je souffle un bon coup et décide d'aller prendre un soda dans la cuisine. J'essaierai plus tard, il doit être occupé. En même temps, j'aurais bien aimé qu'il réponde, quoi ?

— Tout va bien, Killian ? demande ma tante.

J'ai une tronche à foutre la trouille ou quoi, pour qu'elle me regarde avec cette ride juste au-dessus du nez ?

— Ouais, impec'.

Je m'installe sur le canapé pour vider ma canette. Jenna ne me lâche pas un seul instant du regard, elle me scrute comme si elle cherchait à déterminer mon état psychologique.

C'est bon, je ne suis pas l'un de ses foutus patients !

— Tu es sûr que ça va ?

Bordel, elle ne peut pas me lâcher un peu la grappe !

— Je viens de te répondre, tout va bien ! Alors, arrête de t'inquiéter ! Ce n'est pas parce que ma mère t'a dit de me surveiller que tu dois être en permanence sur mon dos !

À sa grimace, je sais que je l'ai froissée et je m'en veux aussitôt. Je ne voulais pas me montrer aussi sec avec elle, je suis juste à cran. Je sais que ce n'est pas évident pour elle de se retrouver avec un gosse à problèmes. Ma vieille lui a tellement bien dressé mon portrait qu'elle a la trouille que je replonge dans mes travers.

— Désolé, Jenna, je ne voulais pas être blessant.

Elle pose sa main sur ma cuisse et m'adresse un petit sourire. Il n'y a pas de doute, elle se fait vraiment du mouron pour moi.

— Je vais aller préparer le repas. Si tu as besoin de quoi que ce soit…

— Je t'appelle, je sais, la coupé-je, avant de lui lancer l'un de mes plus beaux sourires, pour l'apaiser un peu.

Pour ma part, je retourne dans ma chambre et tente à plus d'une reprise de joindre Jeff.

Putain, pourquoi il ne répond pas, ce con ?

S'il savait ce que je pense de lui à cet instant, il me choperait par le colbac et me collerait au mur, en me rappelant que le petit merdeux que je suis lui doit du respect. Devant lui, je ne fais jamais mon malin. Il ne vaut mieux pas de toute façon, sinon il me refoutrait à ma place en un claquement de doigt. Ce n'est pas pour rien que Josh l'a choisi pour le seconder. Jeff porte vraiment ses couilles et personne n'ose lui marcher sur les pieds.

J'espère quand même qu'il ne s'est pas fait descendre. J'ai trop besoin de lui. Il est le seul à pouvoir m'aider à retrouver ces fils de pute qui ont enlevé Lucy.

Quand j'ai quitté Boston, il m'a promis qu'en cas de pépins, il serait toujours là pour moi. Qu'est-ce qu'il fout, bordel ?

Dès que Jenna m'appelle pour passer à table, je laisse tomber mes appels et la rejoins dans la pièce voisine. À la délicieuse odeur qui embaume mes narines, je sais ce que ma tante a concocté pour le dîner. Du Baked Beans, un des plats traditionnels de ma ville d'origine dont je raffole. Je me demande pour quelles raisons, elle se tue en cuisine pour moi alors que je ne suis pas tous les jours sympa avec elle. Afin de la remercier, je lui file un coup de main pour foutre le couvert, puis l'invite à s'asseoir, avant de la servir.

Elle hausse un sourcil, sûrement surprise de me voir agir de la sorte. Bon, soyons honnête, si j'agis comme ça, c'est parce que j'ai aussi un truc à lui demander et je suis certain que ça ne va pas lui plaire.

Une fois, nos assiettes à ras bord, je pars m'asseoir devant elle. Je mange en silence, ne sachant pas trop comment aborder le sujet.

— Bon, Killian, qu'est-ce qu'il t'arrive ?

La tête penchée au-dessus de mon assiette, je relève juste les yeux pour la regarder. Putain, comment je vais lui en parler ? Je suis sûr qu'elle va se mettre à brailler dès que je vais évoquer Boston, mais sans elle, je ne vais pas pouvoir m'y rendre. Je ne suis pas du genre à faire l'aumône, mais, si elle ne me file pas un coup de main, je ne vais pas pouvoir mettre mes plans à exécution.

Devant mon silence, elle pose sa fourchette à côté de son assiette, puis croise les bras sur sa poitrine. À sa respiration, je sais que je suis en train de jouer avec sa patience.

— Bon, tu ferais mieux de me dire ce qui te tracasse, lâche-t-elle.

Je prends une profonde inspiration, avant de lui sortir dans un seul souffle :

— J'ai besoin d'aller à Boston pour voir Jeff, mais je n'ai pas assez de fric pour prendre un vol.

—Jeff ? me questionne-t-elle.

Vu l'expression qu'elle affiche, c'est clair qu'elle n'a aucun souvenir de lui. Dans un sens, c'est tant mieux, parce que si elle savait de qui je parle, elle m'attacherait sur cette putain de chaise jusqu'à ce que j'abandonne ma foutue idée.

Devant son regard pénétrant, je ne vais pas avoir le choix que de le lui expliquer, sauf si je souhaite qu'elle me cuisine. Vu mon humeur de clebs, ce n'est pas le moment de me chercher. Autant lui dévoiler à qui je fais référence.

— Mon cousin.

Comme elle est la seule sœur de ma mère, il ne lui faut pas deux plombes pour capter que je parle de la famille de mon père. Et là, son regard passe par toutes les expressions jusqu'à atteindre celui de la panique totale. Il faut dire qu'elle déteste mon autre branche. Celle à problème, comme elle aime si bien le dire.

Ouais, tout le monde n'a pas la chance de naître une cuillère en argent dans la bouche, comme toi.

Elle et ma mère sont issues d'une famille aisée, alors que mon père, c'est tout l'inverse. Lui et ses frères ont grandi dans la rue. Mes vieux se sont rencontrés dans un bar. D'après ce que j'en sais, mon daron a tout de suite tapé dans l'œil de ma vieille, un véritable coup de foudre, et elle a ensuite tout fait pour le retrouver. Vu que je suis là, c'est qu'elle a plutôt bien réussi son coup. Par contre, sa famille ne l'a pas du tout accepté et l'a même déshéritée.

— Hors de question ! s'emporte-t-elle. Ta mère a été très claire, là-dessus, elle ne veut pas que tu remettes les pieds à Boston.

Furax, je donne un coup si violent sur la table, que quelques fèves et haricots giclent un peu partout.

— Parle-moi, Killian. Tu sais, tu peux te confier à moi. Je sais écouter.

Un peu normal pour une psy. D'ailleurs son calme olympien face à ma fureur n'a rien d'étonnant vu le nombre de tarés qu'elle croise chaque jour à la prison.

— J'ai un truc super important à voir avec lui, c'est tout.

Ok, comme excuse, y a beaucoup mieux, mais là de suite, je ne sais absolument pas quoi lui sortir. Je ne vais quand même pas aller lui balancer que ma meilleure pote s'est fait enlever par un gars que je crève d'envie de buter.

— Tu devrais essayer de l'appeler, non ?

Oui, bonne idée comme si je n'avais pas attendu que ce con décroche ces deux dernières heures.

—Ecoute, Jenna, j'ai juste besoin d'une avance pour payer mon billet. Je te promets de te rembourser. Un pote m'a dit que le garagiste, pas loin du bahut, cherchait un mécano, je vais aller le voir. Je ne mettrai pas longtemps à te rendre ton fric.

Je suis plutôt doué pour entretenir les bagnoles. D'ailleurs, je suis venu de Boston dans ma vieille caisse. J'ai roulé pendant trois jours avant d'arriver à Albuquerque. Je ne peux pas faire l'aller-retour avec elle cette fois, je n'ai pas envie de m'absenter longtemps. Je rentrerai dimanche soir pour être de retour en cours lundi. Il ne me reste donc que l'avion comme solution.

— Je te promets de ne pas faire de conneries.

Elle me dévisage plusieurs secondes, avant de finir par pousser un long soupir.

— D'accord, mais à ton retour, tu iras voir ce garagiste. Par contre, si ta mère l'apprend, tu prendras les responsabilités de ta petite excursion.

Un sourire triomphant accroché sur ma gueule, je hoche la tête, puis me lève pour aller lui coller une bise sur la joue. Au final, elle est bien plus cool que ma daronne.

Dès la fin du repas, je retourne dans ma piaule. Jeff n'a visiblement pas daigné me rappeler. Soit il est sur un gros coup, soit il s'est vraiment fait abattre. Je préfère quand même opter pour la première éventualité, la seconde m'emmerderait un peu trop, surtout maintenant que j'ai les fameux billets dans la poche.

Je décide d'appeler Deb, afin de savoir comment va son frangin. Apprendre qu'il s'est soûlé la gueule ne me surprend pas tant que ça. Après la mort de Tess, je suis moi-même passé par différentes phases. L'alcool m'aidait à supporter cette putain de douleur qui me vrillait les tripes.

Logan doit se haïr de ne pas avoir attendu Lucy hier. Il doit également s'inquiéter de ce qu'ils sont en train de lui faire subir. Putain, rien que d'y penser, j'ai envie d'aller couper les couilles à l'autre salopard. La menace de ce fils de pute, lors de notre petite visite, me tue.

Si Logan a le putain de malheur d'avoir les mêmes idées que moi, il risque d'en crever. Imaginer sa copine entre les bras de ce sale psychopathe doit être la pire des tortures. Bien plus atroces que toutes celles que j'ai infligées à ces cons qui ne voulaient pas payer leurs dettes.

Une chose est sûre, il ne plongera pas aussi bas que moi. S'il continue à couler, j'irai lui foutre un coup de pied au cul pour l'aider à se relever, bien que pour le moment, ce ne soit pas dans mes priorités.

Grand un : mettre la main sur mon cousin.

Deux : retrouver Lucy.

Et en trois : sortir Logan du trou dans lequel il se sera fourré.

En même temps si on retrouve Lucy, il n'y aura plus de problèmes avec lui et donc plus besoin que je m'en mêle.

Tandis que je prépare mon sac pour mon voyage, mes pensées s'envolent vers Debbie. Je ne sais pas pourquoi, mais, depuis que je l'ai prise dans mes bras à midi, elle me hante.

Quand je me couche, c'est encore à elle que je pense. Pourquoi j'ai été lui sortir qu'elle pourrait m'appeler à n'importe quelle heure, même la nuit ? La disparition de Lucy m'a vraiment mis un sacré coup sur la caboche pour que j'agisse ainsi. D'autant plus que je ne suis même pas certain de pouvoir lui répondre lorsque je serais à Boston. Le temps d'un week-end je vais renouer avec mon ancienne vie et rien ne peut prédire que Josh ne va pas me foutre sur un coup. S'il a besoin de moi, je ne pourrais pas refuser, sauf de vouloir me faire tuer. Ils ont accepté de me laisser partir, mais à condition que je réponde présent en cas de besoin.

Lorsque mes vieux m'ont envoyé ici, j'ai laissé pas mal de choses derrière moi, dont eux, ma seule et véritable famille. Les seuls qui ont su me tendre la main lorsque j'étais au plus bas, qui m'ont protégé au lieu de m'envoyer croupir au fond d'une cellule moisie. Sans eux, c'est clair que je serais en taule. Je me demande encore pourquoi Josh a accepté la requête de mon père. En général dans ce genre d'organisation, tu ne peux pas en sortir, à moins d'avoir passé l'arme à gauche.

Putain et dire que je commençais à retrouver la vie normale d'un gars de presque dix-neuf piges ! Il a fallu qu'un connard s'en mêle et vienne perturber cette tranquillité.

Je me demande bien comment va réagir mon ex quand je vais débarquer là-bas. Cassie, mon grand amour. La conne, surtout ! Le jour de mon départ, j'ai appris qu'elle me trompait avec un gars du gang. Et d'après les échos que j'ai ensuite eu, ce n'était pas la première fois. Une douleur m'enserre encore le cœur quand je pense à cette petite rousse au tempérament de feu, même si c'est bien plus supportable qu'au départ. Depuis elle, j'ai décidé de tirer un trait sur les filles. C'est pourquoi Logan s'est grave inquiété pour rien, je ne me serais jamais foutu en couple avec Lucy, même si elle en avait eu envie. Par contre titiller sa jalousie à mort, ça, c'était dans mes cordes.

Pourtant lorsque je ferme les yeux, un nouveau visage se dessine derrière mes paupières closes. Pour une fois ce n'est pas celui de Tess, ni même celui de Lucy. Putain de regard azuréen !

Paniqué face à cette vision, je les rouvre aussitôt, afin de chasser cette image. Je ne peux pas penser à elle. D'ailleurs je ne comprends même pas pourquoi j'y songe.

Je ferme à nouveau les yeux pour tenter de m'endormir, mais je n'y parviens pas. Si ce n'est pas Debbie qui me hante c'est Lucy ou Tess. Je dois vraiment avoir un foutu problème. Je ne pourrais pas penser au hockey ? Ce serait quand même plus cool que ces filles qui m'empêchent de plonger dans les bras de Morphée.

Quand, mon réveil sonne, j'ai du mal à émerger. La nuit a vraiment été courte. Entre mon insomnie et ces putains de cauchemars, j'ai vraiment été gâté.

Je me lève, vérifie que Jeff ne m'a pas contacté pendant que je pionçais. Rien. Que dalle. Nada… enfin si, mais rien à voir avec lui. Debbie m'a envoyé un message en plein milieu de la nuit. J'hésite un instant à l'ouvrir, puis finis par le lire.

Debbie : Bon voyage. Tu vas me manquer.

Devant ses mots, mes lèvres dessinent un léger sourire.