53 - Debbie
En quinze jours, plusieurs choses ont changé. D'abord, Logan et Lucy se sont fiancés. Mon frangin lui a fait sa demande à peine trois jours après sa sortie d'hôpital de manière totalement inattendue. Lucy et moi étions en train de prendre le soleil sur la terrasse lorsqu'il est revenu, a posé un genou à terre et lui a déclaré son amour pour elle, avant de lui demander si elle acceptait de se fiancer avec lui. Elle a pleuré, tant elle était bouleversée, tandis que moi je n'arrêtais pas de taper dans mes mains, tellement j'étais folle de joie. Aucun mariage n'est prévu pour tout de suite, mais ça fait quand même quelque chose de savoir qu'ils ont en quelque sorte officialisé leur union en se fiançant. Dans quelques années, ils se diront oui pour la vie, j'en suis convaincue, car l'amour qu'il y a entre eux est bien trop puissant pour qu'il puisse s'éteindre. Je pense que Logan va attendre de passer pro pour offrir à la femme de sa vie un mariage digne de ce nom. Ça n'empêche pas que Lucy, perchée sur son petit nuage, regarde à la dérobée les robes de mariée quand elle se pense seule.
Ensuite, je sors avec Caleb depuis une semaine. À force d'insistance, j'ai fini par accepter d'être sa copine. Sauf que je ne sais pas vraiment pour quelles raisons je l'ai fait, parce que chaque soir, quand je me retrouve seule dans ma chambre, ce n'est pas à lui que je pense. Killian et son regard ténébreux me hantent. Parfois, j'aimerais pouvoir revenir vers lui, lui dire que je n'ai pas peur, que je me fous totalement de ce qui pourrait m'arriver du moment que je suis avec lui. D'autres fois, je me dis que ma décision est la bonne, il m'avait promis de ne rien faire et, pourtant, il m'a mise en danger en allant les voir. Je suis tous les jours partagé entre ma colère à son égard et ce que mon cœur ne cesse de me dicter. C'est sûrement pour faire taire ce dernier que je me suis mise en couple avec mon assistant. Après tout, il n'est pas désagréable à regarder et on partage la passion du journalisme. Sauf que je ne ressens pas grand-chose pour lui. Quand il m'embrasse, je ne m'enflamme pas. Quand il me touche, je ne frissonne pas. Tout le contraire de ce que je ressentais avec le pote de mon frère. Malgré tout ça, j'ai bel et bien l'intention de finir ma nuit dans son lit. Je suis certaine que ça m'aidera à tourner la page sur ce qu'il n'y a jamais eu entre ce beau blond et moi.
— T'es partie où là ? me demande Lucy.
Assise sur mon lit, elle attend que je finisse de me préparer. On a prévu d'aller faire les boutiques afin de se dégoter une robe, ainsi que le cadeau pour l'anniversaire de Kim. Ce soir, elle organise une soirée pour fêter ses dix-huit ans et en tant que meilleures amies, ni Lucy, ni moi ne pouvons y déroger.
Lorsque je me tourne vers elle, je me rends compte qu'elle me fixe d'une drôle de manière, avant de réaliser qu'elle doit se demander pour quelles raisons, je brosse la même mèche depuis plusieurs minutes. Je crois que je ne m'en étais pas vraiment rendu compte, trop absorbée par mes pensées.
— Tout va bien, t'inquiète !
Elle plisse les yeux comme si ça lui permettait de mieux entendre mes pensées. Ça fonctionne peut-être avec mon frangin, mais pas avec moi, elle a toujours eu plus de mal à lire en moi.
— T'en es sûre ? me questionne-t-elle, soucieuse.
Je hoche juste la tête, avant de me retourner vers ma coiffeuse. Durant plusieurs secondes, la pièce se fait silencieuse. Dos à elle, je ne sais pas ce que fait ma meilleure amie. Est-elle en train de m'étudier ou bien envoie-t-elle des messages à son fiancé qui passe l'après-midi avec ses potes ?
— Y a quoi entre Killian et toi ?
Surprise par sa question, j'en échappe ma brosse et déglutis difficilement. Comment sait-elle qu'il y a quelque chose entre nous ? Je ne lui en ai jamais parlé et je ne pense pas qu'il l'ait fait lui non plus. Logan ? Peut-être, même si ça m'étonnerait. À moins qu'elle ait remarqué le malaise qu'il y a eu entre lui et moi la fois où il est venu la voir.
— Alors ? me demande-t-elle comme je ne réponds toujours pas au bout de plusieurs secondes.
— Rien.
Si je voulais me faire griller, j'avais tout intérêt de répondre aussi vite et sur la défensive comme je viens de le faire.
Bravo, stupide, Debbie.
— Rien ou t'as pas envie de m'en parler ?
Je ramasse ma brosse au sol, puis la pose sur ma coiffeuse, avant de lui faire face. Ces quelques secondes me permettent de me reprendre pour l'affronter. Lucy n'est pas du genre à cuisiner les gens comme moi pour obtenir des informations, mais quelque chose me dit qu'aujourd'hui, elle ne va pas lâcher l'affaire. Alors, soit je lui avoue la vérité, soit je la mets dans la confidence au sujet de ce que je m'apprête à faire avec Caleb pour qu'elle me foute la paix.
— Je vais coucher avec Caleb ce soir.
Sa réaction ne se fait pas attendre, elle s'étrangle avec sa salive, avant de porter un regard inquiet sur moi.
— T'es vraiment amoureuse de lui ?
— Qu'est-ce que ça peut faire que je sois ou non amoureuse de lui ? Tu crois que toutes celles avec qui mon frangin s'est envoyé en l'air étaient amoureuses de lui ?
Le regard de Lucy s'assombrit aussitôt. À vouloir me sortir de l'impasse dans laquelle elle m'a fourrée, je viens de me comporter comme une sacrée conne. Je ne pouvais pas tomber plus bas.
— Désolée, c'est un très mauvais exemple.
— T'inquiète, ça va. Je sais qu'il a eu une vie avant moi et je ne lui en veux pas. Mais, toi, est-ce que c'est vraiment ce que tu veux avec Caleb ? Ou est-ce pour oublier mon frère de cœur ?
— Je…
Incapable de lui répondre, je plante mes dents dans ma lèvre, avant de me retourner pour échapper à son regard inquisiteur.
— Tu fais ce que tu veux, Deb, mais évite de faire quelque chose que tu regretteras ensuite.
J'aimerais tellement pouvoir me confier à elle, pour, justement, éviter de faire une connerie. Mais, j'ai peur qu'en le faisant, je lui dévoile pour quelles raisons, je ne peux pas être avec lui. Ce qui reviendrait à lui dire qu'elle et mon frangin n'ont eu aucun accident. Elle n'a toujours pas retrouvé la mémoire et dans un sens, c'est tant mieux.
Plutôt que de m'attarder sur cette discussion qui ne m'avancera pas plus, j'enfile mes converses et attrape mon sac.
— On peut y aller, lancé-je en me dirigeant vers la porte.
Lucy sur les talons, je descends les escaliers, pars embrasser ma mère qui regarde la télé et sors.
Vingt minutes plus tard, je me gare en centre-ville. Je sais exactement où me rendre. Cette semaine, j'ai remarqué dans l'une des boutiques, une petite robe qui m'a fait de l'œil. Magnifique. Je suis certaine qu'elle fera son petit effet sur Ki… je veux dire sur Caleb. Pourquoi mes pensées veulent encore partir vers ce grand blond et que mon coeur s'emballe quand je le visualise ? Combien de temps ça prend pour tourner définitivement la page sur une histoire, qui n'en est même pas vraiment une ?
Je chasse mes pensées en me rattachant les cheveux, sous le regard amusé de Lucy. Elle me connait assez pour savoir ce que mon geste signifie. Quelque chose me trouble et elle en a conscience. Heureusement pour moi, elle ne dit rien. Seul son sourire me parle. Si elle pense que je vais lui dévoiler quoi que ce soit, elle se plante. J'ai réussi à rester muette jusqu'à présent et ce n'est pas maintenant que je vais m'ouvrir. Hors de question de me mettre à nue devant elle.
— Tu as une idée de ce que tu vas mettre ?
J'essaie de cacher mon trouble avec une question des plus banales.
— Non, pas vraiment. Je pense acheter une robe rouge, ton frangin adore cette couleur. J'espère que ça lui plaira assez pour qu'on reprenne nos jeux.
Elle me dit ça comme si ça l'inquiétait qu'il ne la touche plus ou du moins je suppose que c'est ça, sinon je ne vois pas du tout de quoi elle me parle.
— On n'a pas fait l'amour depuis que j'ai quitté l'hôpital, m'avoue-t-elle en fixant le pare-brise.
Logan n'a jamais abordé sa vie sexuelle avec moi et c'est tant mieux. Même si j'ai eu plusieurs échos, même si je sais que ma meilleure amie n'est plus vierge, ce qu'il fait sous la couette ne me regarde absolument pas. J'espère que Lucy n'est pas en train de s'imaginer qu'il puisse avoir quelqu'un d'autre, parce que sur ce point, elle n'a aucun doute à avoir. Ce n'est pas parce que l'autre cheerleader continue à lui tourner autour qu'il s'éclate avec une autre. Il m'a expliqué pour quelles raisons, il avait été obligé de se la coltiner pendant un temps, Reed voulait sortir avec l'une de ses potes.
— T'en as parlé avec lui ?
Son haussement d'épaule me fait comprendre que ce n'est pas le cas. Il y a peut-être des sujets sur lesquels elle a encore du mal à se confier, même avec lui.
— Si t'en as vraiment envie, alors tu devrais lui dire. Peut-être qu'il a peur que tu sois encore fatiguée ou que tu ne te sentes pas prête.
À moins qu'il ait la trouille qu'elle le rejette après l'enfer qu'elle a subi. Mais, ça, je me retiens bien de le lui dire.
— Bon, allez viens, on va aller trouver cette fameuse petite robe rouge.
À peine descendue de ma voiture, je la rejoins sur le trottoir, bras dessus-dessous, nous nous dirigeons vers une petite boutique située à quelques pas de là. Je n'ai pas eu envie de me garer trop loin, Lucy est encore fatiguée, d'après ce que m'en dit Logan. S'il apprenait que j'ai fait marcher sa petite chérie, je crois qu'il me tuerait.
Dans cette boutique, les fringues sont rangées par couleur. Je laisse donc Lucy se diriger vers le rouge tandis que je me rends un peu plus loin, là où sont les vêtements verts. Il ne me faut que quelques secondes pour repérer la robe sur laquelle j'avais jeté mon dévolu. Une fois en main, je pars rejoindre Lucy. Et c'est là que je la vois bloquer devant un rayonnage. Son regard semble à des milliers de kilomètres de cet endroit. Son visage est totalement fermé et son teint est à présent blafard.
Merde !
D'un pas précipité, je fonce vers elle. Mon cœur bat très vite, affolée qu'elle ait pu se souvenir.
Merde encore une fois !
Ce n'est pas le moment, je ne sais même pas où est Logan.
— Lucy !
Aucune réaction. Elle se contente de fixer les ceintures devant elle. Ça craint vraiment.
— Eh, Lu ! l'interpellé-je une nouvelle fois en posant ma main sur elle.
Elle sursaute, me fusille du regard, avant de reculer d'un pas tout en continuant à fixer ces ceintures.
Bordel, qu'est-ce que je dois faire ? Je suis certaine que Logan est mieux préparé que moi à ce qui se déroule sous mes yeux. Je ne sais même pas ce qu'elle a vécu, hormis ce que mon frangin nous en a dit lorsqu'il s'est retrouvé à l'hôpital à cause de ce connard de Gabson. Ni d'une, ni de deux, je sors mon téléphone de mon sac et lui envoie un message pour lui expliquer la situation. À peine dix secondes après, il me répond.
Essaie de la sortir de cette boutique. J'arrive.
Sûrement plus facile à dire qu'à faire, vu dans quel état se trouve sa fiancée. Cependant, si je ne tente rien, il va m'en vouloir à mort.
Au moment où je relève les yeux de mon écran, je me rends compte qu'elle n'est plus à l'endroit où je l'ai vue pour la dernière fois. Je jette un rapide coup d'œil vers les autres rayons. Nulle part, elle a totalement disparu. Une boule d'angoisse m'enserre la gorge, si je ne la trouve pas rapidement, je vais me faire tuer, sans compter que l'autre salopard pourrait encore remettre la main sur elle. Un des deux a peut-être été flingué, mais l'autre est encore en cavale. Et ce n'est pas parce que les enquêteurs pensent qu'il a sûrement dû se réfugier au Mexique ou dans un Etat voisin, que c'est vraiment le cas. Le pouls battant, je me rue vers l'extérieur. En découvrant, ma meilleure amie assise juste devant la boutique, je pousse un soupir de soulagement. Dieu merci, elle n'est pas partie bien loin.
Je m'assois à côté d'elle et tente en posant ma main sur son genou de la ramener vers moi.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Seul son silence me répond. Si elle ne veut pas me parler, je peux au moins essayer de la rassurer en lui prouvant ma présence.
Vivement que Logan arrive !
Je compte les secondes tandis que j'attends l'arrivée de mon aîné. Je ne peux même pas savoir dans combien de temps il sera là, puisque je ne sais même pas où il se trouvait quand je l'ai contacté.
— Parle-moi de l'accident que j'ai eu avec ton frère.
Surprise de l'entendre me parler, il me faut un peu de temps pour bien capter ce qu'elle me demande. Je tourne alors la tête vers elle, avant de lui répondre. Son visage est baigné par les larmes et elle semble complètement perdue.
— Logan t'a déjà tout raconté. Je n'y étais pas, je ne vois pas ce que je peux ajouter de plus.
Au vu de son regard aussi sombre que les ténèbres, ma réponse semble vraiment lui avoir déplu.
— Je veux la vérité, Deb ! grogne-t-elle en bondissant sur ses pieds. Dis-moi comment je me suis retrouvée dans le coma.
Elle fait les cent pas devant moi, en me jetant à plusieurs reprises des coups d'oeil en biais. Mais, je ne sais pas quoi lui dire. La vérité ? Hors de question ! Lui mentir encore ? Je ne crois pas que ce soit la solution. Je me sens vraiment perdue.
Putain, Logan, magne-toi ! C'est limite une question de vie ou de mort.
Elle finit par se planter devant moi, les mains sur les hanches et son regard me lance une telle colère que j'en frissonne. Elle est vraiment furax. J'aimerais juste comprendre ce qui lui passe par la tête.
— Pourquoi tu me demandes de te parler de votre accident ? Qu'est-ce qui s'est passé dans cette…
— Parce que je veux la vérité ! Je sais que ma mémoire me joue des tours, mais je suis certaine de ne jamais avoir eu d'accident. Sinon, comment peux-tu m'expliquer que la voiture n'a rien eu ? Puis, je suis loin d'être conne, quel genre d'accident peut laisser autant de traces dans le dos ? Si vous croyez que je ne les ai pas remarqués, vous vous foutez le doigt dans l'œil ! C'est la première chose que j'ai senti lorsque j'ai pris ma toute première douche après mon réveil !
Sidérée, j'en reste bouche bée. Personne ne m'a parlé de ses cicatrices. Est-ce que Logan les a remarqués ? Ce n'est même pas certain puisqu'ils n'ont pas refait l'amour.
Un silence de plomb tombe entre nous, interrompu seulement par le bruit de la rue. Elle me dévisage un instant comme si je l'ecœurais, avant de me cracher :
— Je ne pensais pas que ma meilleure amie puisse me cacher des choses, mais c'est la deuxième fois de la journée que tu préfères me tenir éloigner de certains sujets. T'as bien changé pendant que j'étais dans le coma.
Sur ce, elle s'éloigne à grandes enjambées.
Si je ne veux pas me faire tuer, j'ai plutôt intérêt de la rattraper, je bondis sur mes pieds et cours vers elle. Elle est rapide, mais ma course me permet de creuser très vite l'écart entre nous. Arrivée à sa hauteur, je l'attrape par le coude et la force à s'arrêter. Ses larmes couvrent à nouveau son visage. Voir autant de souffrance en elle me serre le cœur. J'aimerais tellement pouvoir chasser ses démons. Pourquoi ne suis-je pas magicienne ? Il me suffirait d'un coup de baguette magique pour effacer pour toujours tous ses tourments.
— Pars pas, s'il te plaît. Logan va arriver.
À l'évocation du nom de son fiancé, un léger éclaircissement fait jour dans son regard, chassé, malheureusement, très vite par ce qui la ronge.
— Si tu veux que je reste, dis-moi ce qui s'est passé !
— Viens, bébé, on va aller en parler à la maison.
Je remercie intérieurement l'intervention de mon frangin pendant qu'il passe son bras autour de ses épaules. Elle pose sa tête sur sa poitrine alors qu'il l'entraîne vers sa caisse garée un peu plus loin en double file. Je les suis des yeux jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans la circulation.
— Ça va ?
Cette voix grave et profonde me réchauffe aussitôt. Je me tourne vers Killian, qui me regarde d'un œil inquiet. Sans laisser à ma tête le temps de me dicter quoi faire, je me jette dans ses bras, soulagée de ne pas me retrouver seule à cet instant. J'ai besoin de quelqu'un sur qui déversait ce que je viens de ressentir et de lui, plus que des autres. Les bras autour de sa nuque, je déverse mes pleurs sur son torse. J'ai tellement peur de perdre Lucy,tellement la trouille qu'elle plonge en plein cauchemar. Et mon frère ? Va-t-elle le rejeter lui aussi ? Si elle le fait, il ne s'en remettra pas.
Killian reste de marbre pendant plusieurs secondes. Puis, il finit par enrouler ses bras autour de ma taille. Serrée contre lui, j'ai l'impression que plus rien ne peut m'atteindre.
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