61 - Debbie
Depuis que Killian est parti, mon père et moi sommes sous protection rapprochée. Je ne peux plus mettre un pied dehors sans que deux ou trois flics m'accompagnent. Quand les gens me voient dans la rue, ils me regardent étrangement, pour savoir qui je suis réellement. Ça pourrait m'amuser, si je n'avais pas autant la trouille de mourir. Malgré tout, je tente de vivre comme une fille de mon âge. Ou plutôt devrais-je dire comme une fille au cœur brisé.
Durant cette dernière semaine, mon père et mon frère n'ont pas cessé de me répéter que c'était le seul choix possible pour Killian et pour ma protection. Pourtant, je suis furieuse contre la terre entière et contre lui en particulier.
Lorsque nous étions à West Palm Beach, il savait déjà qu'il n'y aurait aucun avenir pour nous deux. Pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? S'il m'en avait parlé, s'il m'avait expliqué clairement les choses, je ne serais pas là à verser chaque jour mes larmes pour le seul mec dont je sois réellement tombée amoureuse, le seul avec lequel je suis allée jusqu'au bout.
Ce n'est pas parce qu'il m'envoie tous les jours des sms pour me dire qu'il est fou de moi, que ça change quelque chose à cette colère qui me ronge. Je lui en veux tellement de m'avoir laissé croire que notre histoire était possible que je ne parviens même pas à lui répondre. Je sais qu'il reviendra quand le gang tombera, mais est-ce que je parviendrai à lui pardonner ? J'en sais rien, j'ai trop de mal à accepter qu'il ait pu me mener en bateau sur toute la ligne. Dès le premier jour, il savait que notre histoire avait une date de péremption.
Assise sur mon lit, je regarde les photos de Killian que j'ai gardé sur mon portable. Le lendemain de son départ, de colère, j'en ai effacé plusieurs. J'avoue que je le regrette par moment.
Quelques coups cognés contre la porte me sortent de mes pensées. J'ai à peine le temps de répondre que Lucy se faufile déjà dans ma chambre, un large sourire sur les lèvres. Malgré l'enfer qu'elle et mon frangin traversent, elle essaie par tous les moyens de me remonter le moral. Je sais qu'elle puise sa force dans celle de mon aîné, afin de pouvoir rester chaque jour à mes côtés. Killian lui manque aussi. Elle ne m'en a jamais parlé, mais je l'ai entendu le dire à Logan. Elle ignore toujours ce que son frère de cœur a fait pour elle. Ce n'est pas moi qui lui dirais et encore moins son mec. D'ailleurs, il m'a fait jurer de ne jamais le lui révéler. Il a raison, je crois que ça la tuerait encore plus.
Tandis qu'elle s'assoit sur mon lit, son regard se porte sur mon portable. J'aperçois une ombre de tristesse dans son regard, avant qu'elle ne passe un bras autour de mes épaules et m'attire vers elle. Nous restons plusieurs minutes ainsi, silencieuses. Son étreinte réconfortante apaise ma peine.
—Il me manque à moi aussi, finit-elle par briser le silence.
Des larmes roulent le long de mes joues. En partant, il a créé un immense vide en moi. Parfois, je suffoque à la recherche de l'air qu'il m'a volé, en mettant des milliers de kilomètres entre nous. Et là, c'est le cas.
Lucy me serre encore plus fort contre elle, en remarquant mon désarroi. Le silence règne à nouveau dans mon antre, avant d'être brisé par la sonnerie de mon portable. Le visage de Killian apparaît pour m'annoncer qu'il vient de m'envoyer un sms. Sous le regard compatissant de ma meilleure amie, je découvre la photo qu'il m'a adressé. Torse nu, il sourit comme si tout allait bien pour lui. En légende est noté les trois mots qui font battre mon cœur à une allure vertigineuse.
Rêveuse, je laisse glisser mes doigts sur mon écran, avant que Lucy me l'arrache des mains. Puis, elle me prend en photo, sans que j'ai le temps de réagir.
« elle aussi » tape-t-elle avant d'appuyer sur envoie.
—Lucy ! m'exclamé-je, outrée qu'elle ait pu se permettre un tel geste.
—Quoi ? Dis-moi que ce n'est pas vrai, se marre-t-elle, devant ma mine déconfite.
La réponse de Killian ne se fait pas attendre :
Tu me manques, mon ange.
Avant que Lucy réponde une nouvelle fois à ma place, je tape quelques mots sur le clavier :
Appelle-moi ce soir.
Vu comme il est alerte, il doit avoir gardé son smartphone à la main.
Tu ne fais plus la tronche ?
Durant cette semaine, il n'a pas cessé de m'envoyer des sms et de tenter de m'appeler, mais, à chaque fois, je n'ai pas eu le cran de lui répondre. J'étais vraiment trop furieuse. Si Lucy ne venait pas de le faire à ma place, je crois que son nouveau message n'aurait pas eu de retour non plus.
—De quoi il parle ? m'interroge ma meilleure amie.
Pour échapper à son regard inquisiteur, je me cache sous mon oreiller.
—Debbie, de quoi parle Killian ?
Ne voulant pas en dévoiler plus, je refuse de lui faire face.
—Bien, comme tu voudras.
Toujours camouflée derrière l'oreiller, je sens mon lit s'alléger de son poids.
—C'est quoi cette histoire de faire la gueule ? l'entends-je demander.
Surprise par cette question qui ne m'est visiblement pas adressée, je laisse tomber mon oreiller, afin de lui jeter un coup d'œil. Et là, je me rends compte que c'est mon portable qui est vissé à son oreille. Traîtresse ! Tandis qu'elle écoute son interlocuteur, elle me dévisage, amusée.
—Toi aussi, tu me manques. Je te la passe.
Elle me tend mon téléphone avant de quitter la chambre, sur la pointe des pieds. Amusée par son attitude, je souris pour la première fois depuis son départ. La voix grave et profonde de Killian retentit à l'autre bout de la ligne. Mon cœur s'emballe. Malgré ma colère contre lui, je sais qu'il suffira qu'il se pointe devant moi pour que je laisse toute cette histoire derrière nous. Je l'aime trop pour continuer à lui en vouloir.
Nous restons une bonne heure à discuter de tout et de rien. Je finis même par lui avouer la raison de mon silence ces derniers jours.
—Si Lucy n'avait pas vu que je cachais un truc, je ne serais pas au téléphone avec toi, en ce moment, me fait-il savoir.
En réalisant ce qu'il est en train de me dire, mon cœur se comprime si fort, que j'ai l'impression que quelqu'un le broie. Il était prêt à mourir pour me protéger.
—Tu aurais dû m'en parler, lui reproché-je.
—Si je t'avais dit mes réelles intentions, tu ne m'aurais pas laissé partir. Pourtant, je n'avais pas le choix.
—Pourquoi ?
—Parce que je refusais que tu payes pour mes conneries.
Après cette déclaration, seul le silence peut répondre.
—Je t'aime, me déclare-t-il après plusieurs longues secondes.
—Moi aussi et tu me manques.
Lorsque nous raccrochons, un nouveau vide se fait sentir au fond de mes entrailles. J'ai du mal à vivre sans lui. S'il ne revient pas à Albuquerque, je partirais le rejoindre à Boston dès cet été, soit dans trois semaines. Je n'aurais qu'à demander un changement d'université, afin de rester à ses côtés. Ce nouvel espoir me donne des ailes. Je veux croire que nous deux c'est encore possible. À partir d'aujourd'hui, je vais compter chaque jour qui me sépare de lui.
—Je peux ? me demande Lucy en passant la tête par l'embrasure de la porte.
D'un signe de tête, je l'invite à entrer une nouvelle fois.
—En fait, tout à l'heure, j'étais venue voir si tu voulais qu'on aille acheter nos robes.
Le bal de printemps m'était complètement sorti de la tête. En même temps, sans Killian, je n'ai plus vraiment le goût d'y aller. Alors, je hausse les épaules.
—Je ne sais pas, je n'ai plus de cavalier.
Elle me fixe, les doigts sur son menton. Ça doit bouillir sous son crâne tant elle semble en pleine réflexion.
—Et alors ? On peut y aller tous ensemble, Logan, toi, Kim, Kate, Reed et moi. On pourrait y aller entre amis, non ? Allez, dis oui, s'il te plaît.
Devant son air de chiot battu, je ne peux qu'accepter, même si ma mauvaise grâce reste évidente quand je me lève pour la suivre. Puis, d'un coup, je me mets à croire qu'avant ce bal, John, mon père et tous ceux qui sont sur cette affaire auront pu faire tomber le gang. Si c'est le cas, Killian sera là. Et s'il est présent, alors, je dois être belle pour lui. À cette idée, mon cœur bondit dans tous les sens et un large sourire s'étire sur mes lèvres.
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Ce soir, toutes les dernières années vont se réunir dans le gymnase du bahut, pour s'amuser une dernière fois ensemble, avant la remise des diplômes. Pour ma part, contrairement à la majorité de mes camarades, je n'ai pas hâte d'y être. Bien que les membres du gang soient derrière les barreaux, Killian n'est toujours pas revenu de Boston. Lucy et mon frère, sont comme tous les autres, excités à l'idée de cette soirée. Je sais que Logan a prévu un truc avec elle, mais il ne m'en a pas dit plus.
Lorsque je rentre chez moi, la présence de mon père me surprend. Il est rare de le voir rentrer si tôt. Son visage grave m'inquiète.
— Tu sais quand rentre ton frère ? me demande-t-il alors que je m'apprêtais à lui demander si tout allait bien. Je dois vous parler à tous les deux.
Au moment où j'allais répondre que je n'en avais aucune idée, Logan franchit la porte de la maison. Comme moi, il est étonné de voir notre père déjà ici. Il l'observe tout en se dirigeant vers le frigo duquel il sort une canette de soda.
— Tu ne devrais pas être au bureau ? lui lance-t-il.
— Apparemment, il veut nous parler, réponds-je.
— Oui et j'aimerais que vous vous asseyiez tous les deux.
Obéissante, je tire une chaise sur laquelle je prends position, tandis que Logan appuie son pied, nonchalamment, contre le bar.
— Tu ferais mieux de t'asseoir aussi, Logan. Ce que j'ai à vous dire, ne va pas vous plaire.
Logan le dévisage avec un soupçon d'inquiétude dans le regard.
— Est-ce que ça concerne Lu ? demande-t-il en s'asseyant à califourchon sur une chaise.
Quand mon père hoche la tête, un mauvais pressentiment s'empare de moi.
— Lucy va devoir partir, nous annonce-t-il de but en blanc.
— Pardon ? s'insurge Logan en bondissant sur ses pieds.
— Son père sera là demain.
Mon frangin lui jette un regard noir.
— J'espère que tu te fous de ma gueule ou que vous avez une bonne raison pour vouloir qu'elle se barre en Australie ! gronde-t-il en faisant les cent pas.
— Je suis désolé, Logan, mais oui, nous avons une très bonne raison.
Quand mon frère se met à lire le papier que mon père vient de lui tendre, une larme s'échappe sur sa joue. Puis de colère, il froisse la feuille qu'il envoie bouler à l'autre bout de la pièce, avant de venir frapper le mur d'un violent coup de poing.
— Pourquoi ? hurle-t-il en fusillant mon père du regard. Pourquoi vous n'arrivez pas à foutre la main sur ce fils de pute ?
Afin de savoir la raison de cette immense colère qui le ravage, je ramasse le papier en boule. En lisant les quelques mots inscrits, une peur effroyable s'empare de moi. Lucy est en danger. L'autre connard vient de revenir en ville et il veut remettre la main sur elle.
Des bris de verre se font entendre, tandis que je porte mes deux mains à ma bouche, anéantie par les prémices de ce nouveau cauchemar. Furieux, Logan saccage tout ce qui lui tombe sous la main, verres, assiettes, bouteilles. Tout y passe. Sa colère et son chagrin me terrassent. J'ai à nouveau mal pour lui. Après tout ce qu'ils ont vécu, ils méritaient d'être heureux. Ils ont besoin l'un de l'autre pour s'en sortir. Comment Lucy va-t-elle réagir lorsqu'elle devra partir ?
— Calme-toi, Logan ! lui intime mon père.
— Est-ce que tu comprends ce que ça signifie pour moi, tout ça ? Lucy ne voudra jamais partir.
— Elle doit le faire !
— Ouais, malheureusement, j'en ai bien conscience, merci de me le rappeler ! Ce qui veut dire que ma seule solution va être de rompre avec elle pour qu'elle accepte de se barrer loin de moi. Ce type devrait être sous les barreaux, mais, putain, tu n'es même pas foutu de mettre la main sur lui ! T'as cru qu'un fils de pute comme lui allait lui foutre la paix ?
Logan est vraiment hors de lui. Il ne devrait pas s'en prendre à notre père, pourtant je le comprends.
— On fait tout ce qu'on peut pour le trouver !
— Foutaises ! hurle Logan en éclatant un nouveau verre au sol.
— Ça suffit, Logan ! s'emporte mon père.
Mon frère le dévisage, haineux. Je crois qu'il ne lui en a jamais autant voulu. Et moi, je reste là, mes deux mains toujours plaquées sur ma bouche, sans pouvoir parler, totalement anéantie.
Quand Lucy rentre à la maison avec ma mère, son fiancé passe à côté d'elle sans un regard, ni même un mot. Elle l'appelle, mais il ne se retourne pas. Puis, par-dessus son épaule, elle me lance un coup d'œil, afin que je lui fournisse une explication sur l'attitude de mon aîné. Mais, que puis-je lui dire sans l'effrayer ?
Et dire que je croyais que plus rien ne pouvait nous arriver, que tout cet enfer était derrière nous. Comment avons pu être aussi stupide pour baisser notre garde ? Comment va-t-elle réagir quand elle verra son père ? Acceptera-t-elle de partir ou le refusera-t-elle comme mon frangin le pense ? J'espère qu'il a eu tort en disant qu'il serait obligé de rompre. L'un sans l'autre, ils ne pourront jamais se relever. Rien que d'imaginer dans quel état ils risquent d'être, j'en ai mal au bide.
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