Insomnie
Je me tiens allongée sans bouger, le regard perdu à travers la fenêtre, dans la lumière tamisée du soir. J’ai toujours aimé cette heure, où le monde semble suspendu entre le jour et la nuit. Mais ce soir, l’ombre de la frustration pèse sur moi, comme une brume. Je n’arrive pas à trouver le sommeil et mon esprit se perd dans un labyrinthe d’émotions, entre ce que j’espère et ce que j’ai réellement.
Lui, l’homme avec qui j’ai partagé tant de moments de complicité, n’est plus mon amant, mais il dort à mes côtés dans ce grand lit. Nous nous sommes séparés après sept mois d’une relation sans étiquette mais pleine d’amour, de compréhension et de tendresse. Peu après la séparation, je lui ai avoué la douleur de devoir considérer notre relation comme une amitié.
- « C’est trop difficile », lui ai-je dit, mes mots se perdant dans l’air froid du soir, à la terrasse d’un café.
Mais lui, il ne voulait rien d’autre qu’une amitié.
- « Pourquoi une étiquette ? », m’avait-il dit lorsque nous étions amants.
- « Restons amis », disait-il aujourd’hui,
comme si l’étiquette était devenue un rempart, comme si elle lui simplifiait la vie, comme si elle était une garantie contre la profondeur de mes sentiments. Il m’a dit qu’il comprenait ma souffrance, mais qu’il maintenait son désir d’une relation "platonique". Pour moi, ces mots résonnaient comme une promesse inachevée, un espoir que je ne pouvais éteindre, un espoir qu'il n'éteignait d'aillerus pas non plus en me disant dans la même heure:
« La relation peut toujours évoluer »,
et
« Je ne veux pas te donner de faux espoirs. ».
J’ai tenté plusieurs fois de prendre mes distances. Lors de nos premières vacances en tant qu’amis, j’avais réservé une chambre avec deux lits, comme pour poser ma limite, me protéger, mais au fond de moi, je savais que cela n’était qu’un pansement temporaire. Un jour, lorsque je dormais chez lui, il avait sorti une couette et m’avait dit :
- « Si tu veux, prends le matelas dans le salon. »,
sans pour autant l'installer avec moi. Je suis restée là, hésitante, avant de finalement céder, me glissant sous sa couette à lui, retrouvant l’odeur de sa peau, et, dans l’ombre de la nuit, la chaleur de son corps. Nous avons dormi ensemble à nouveau, sans étiquette, sans promesse.
Ces moments de tendresse, ces câlins qu’il me donnait, étaient-ils un réconfort pour lui aussi ? Je me posais souvent la question. Je ressentais ce besoin, ce vide qu’il comblait chaque fois qu’il me serrait dans ses bras. Un besoin de tendresse, de chaleur, de proximité. Mais il n’y avait pas d’engagement derrière, pas de projet commun. Il savait, et je savais aussi, que ces gestes ne signifiaient rien d’autre qu’une forme de réconfort partagé. Pourtant, pour moi, chaque geste de lui avait un poids. Je n’avais pas fait le deuil de la relation amoureuse que j’espérais encore. Ces moments étaient une illusion, un lien fragile qui me maintenait attachée à un rêve de complicité amoureuse que je n’arrivais pas à lâcher.
De son côté, il semblait en paix, ou du moins, c’est ce qu’il laissait paraître. Il n’avait pas les mêmes attentes. Pour lui, ces câlins, ces gestes tendres, étaient peut-être simplement le reflet de notre amitié, de la complicité qu’il appréciait sans vouloir qu’elle devienne un fardeau pour lui, une obligation. Je comprenais ses peurs, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander pourquoi il acceptait ces moments intimes alors qu’il n’était pas prêt à laisser notre relation évoluer vers plus d’intimité encore. Pourquoi offrir de la tendresse, de l’affection, tout en me faisant comprendre qu’il n’y avait pas de place pour autre chose ?
Peut-être que, pour lui, ces gestes étaient une forme de confort. Il n’était pas capable de s’engager pleinement dans une relation, pas capable d'accepter de répondre consciemment aux attentes d’une partenaire tout en y répondant malgré lui, sans obligation. Je savais qu’il avait peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur, de perdre cette amitié, cette proximité et que ne pas s’engager était une façon pour lui de ne pas décevoir. Ses gestes tendres étaient peut-être aussi sa manière de maintenir un équilibre fragile, de me donner une sorte de compensation pour la souffrance qu’il savait être la mienne. Répondre à une partie de mes besoins pour ne pas me perdre, tout en me maintenant à distance, sans jamais se confronter à ses propres peurs de l’engagement.
Et moi ? Je me retrouvais coincée dans cet entre-deux. Je ne pouvais pas renoncer à ces moments de proximité, à cette tendresse qu’il me offrait, même si je savais au fond qu’ils n’étaient qu’un réconfort temporaire. J'attendais ces gestes, je les appréciais, m’en délectais même. Mais j’espérais qu’un jour, peut-être, ils deviendraient le point de bascule. Je m’accrochais à l’illusion d’une relation qui pourrait se transformer, de cette tendresse qui pourrait évoluer en quelque chose de plus fort. Mais chaque nuit passée près de lui me rapprochait un peu plus de la réalité que je redoutais : il ne voulait pas de cette relation que moi j'espérais, il ne voulait pas de sensualité, pas d’érotisme, pas de sexe.
Alors je restais là, dans ce grand lit, à réfléchir au rythme de son souffle à lui, qui dormait paisiblement pendant que je me torturais l’esprit. Les ambiguïtés s’accumulaient, comme des couches successives de sentiments non exprimés. Les balades, les week-ends, les vacances, les discussions profondes, les tentatives de mieux se comprendre, de mieux communiquer. Notre relation était plus profonde et plus authentique que la relation de nombreux couples réellement engagés l’un envers l’autre. Même si les discussions étaient souvent à mon initiative, il ne les évitait pas et semblait heureux de ces moments de partage, sans voir que nos échanges frôlaient parfois la thérapie de couple. Je me demandais parfois s’il était lui aussi conscient de cette ambiguïté et la maintenait en sachant ce qu’il faisait. Mais peut-être que lui, dans sa manière de gérer ses propres peurs, se contentait de l’instant présent, sans se poser de questions sur l’avenir. Pour lui, ces moments pouvaient être simplement une manière de me garder près de lui sans avoir à assumer ce que cela signifiait. Mais pour moi, chaque instant passé ensemble, chaque tendresse partagée, était une promesse de plus, une espérance qu’il ne pouvait probablement ni voir, ni comprendre.
La nuit, dans l’obscurité, dans ce lit partagé, je me demandais si je finirais par m’éloigner, si j’aurais un jour la force de quitter cette relation ambiguë. Mais pour l’instant, je restais là, dans l’attente, cherchant un signe, une parole, un geste qui me dirait que ce que je vivais avait un sens. J’espérais, sans le vouloir, qu’un jour il me regarde autrement. Mais en attendant, je me contentais de ce qu’il m'offrait.
Mais je n’arrivais pas à dormir.
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