Stella

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L'amour de soi passe par de multiples petites étapes. L'une d'elle n'étant autre que la connaissance de soi. Une autre encore - peut-être même la plus importante - est l'honnêteté envers soi.

Si l'on peut aisément vivre en mentant aux autres, on ne peut que survivre en se mentant à soi-même.

Fall... In love ?

Stella rêvassait en cours de sociologie. La voix monotone de l'étudiant qui exposait son étude dans l'amphithéâtre la maintenait dans une somnolence désagréable et elle peinait à garder ses yeux ouverts. La personne à côté d'elle dut lui donner plusieurs coups de coude pour empêcher que sa tête ne lui tombe dessus. A chaque fois elle s'excusait, mais recommençait cinq minutes après.

Quand le cours fut terminé, Stella se rendit compte qu'elle n'avait pris aucunes notes. Elle referma son cahier avec amertume. Cette nouvelle année était sa première en fac et elle se rendait compte du fossé qui existait entre ce qu'elle s'était imaginé et ce qu'elle vivait. Certes, la liberté était totale par rapport au Lycée et le brassage d'étudiants de tous horizons était appréciable. Mais les cours suivaient le même schéma soporifique : si l'apparence était alléchante, le goût des cours réchauffés ne trompait personne, pensa-t-elle. Non, ce qu'elle appréciait réellement depuis sa rentrée, c'était que pour la première fois, elle passait presque inaperçu dans l'immense campus. Ou plutôt, elle n'était pas la seule de sa corpulence et ça lui faisait du bien.

Le plus important dans la vie, c'est de s'aimer soi. Sinon, qui nous aimera ? Sans qu'elle sache pourquoi, les mots de Jane venaient de ressurgirent. Stella se demandait où pouvait bien être la jeune femme en ce moment. En parlant avec elle quelques mois plus tôt, Stella avait pensé que Jane était inscrite dans cette fac, pourtant, elle ne l'avait jamais revu.

Elle sortit du cours et déambula d'un pas nonchalant dans la petite pinède du campus. Son ventre lui criait de manger quelque chose, et machinalement, ses pas la portèrent devant la cafetariat. Mais elle hésita à rentrer. Manger, toujours manger ! Elle n'avait pas besoin de se voir dans une glace pour constater son surpoids : le regard des autres lui suffisait. La vitre de la cafet lui renvoya son image. Ses cheveux un peu gras et ondulés retombaient de façon comique de part et d'autres de son visage rond. Son long t-shirt bleu ne parvenait pas entièrement à gommer ses bourrelets, quant à ses cuisses... Les larmes lui montèrent. À chaque fois c'était pareil, et ces derniers-mois, cela avait empiré : Stella ne supportait même plus de se voir ! Tout ce qui dégageait de cette personne devant elle ne correspondait en rien avec ce qu'elle voulait être.

Un groupe de filles la bouscula en riant. Bien-sûr qu'elles devaient parler d'autres choses, mais leur rires lui renvoya à sa propre solitude et elle préféra passer son tour : plutôt mourir de faim que de honte en achetant un snack devant elles ! Stella entendaient déjà les remarques : "Quoi elle mange encore alors qu'il est 9h ?", ou bien : "C'est pas comme si elle en avait besoin...". Alors même que les jeunes femmes entraient dans le bâtiment sous la mine renfrognée de Stella, la dernière lui tint la porte pour qu'elle puisse rentrer. Stella rentra à contre cœur et commanda un soda avec un cookie aux pépites de chocolat. Son ventre se calma un petit peu. Comme il n'y avait pas assez de place, Stella était assise à la table du groupe d'amies qui parlaient avec animation. Elle pouvait entendre leur discussion et se retenait parfois pour ne pas rire à leurs blagues.

La fille la plus proche d'elle remarqua que Stella mangeait seule et entama la conversation :

  • Hey, mais t'es dans le cours de sociologie toi aussi ! Tu vas à la soirée tout à l'heure ?

Stella n'avait pas vraiment fait attention à la centaine d'étudiants dans ses cours, bien que la rentrée date de plusieurs semaines déjà, et cette fille ne lui disait que vaguement quelque chose.

  • Une soirée ?
  • Oui, d'intégration. C'est juste pour les socios.

Stella n'était même pas au courant de l'évènement produit par sa propre promo ! Elle fit la moue ; une soirée impliquait beaucoup de monde, qu'elle ne connaissait pas, et potentiellement un risque de s'ennuyer fortement si personne ne venait lui parler. Elle allait gentiment refuser, quand les autres filles, qui avaient rejoint leur discussion, renchérirent.

  • Ah oui, ça va être trop bien !
  • Il me reste de la place dans la voiture pour celles qui veulent, d'ailleurs.
  • Oui, mais je ne connais personne, donc...
  • Bah, maintenant tu nous connais nous, répondit la première fille. Moi c'est Karen, ensuite tu as Anna, Marine et Béatrice, mais on l'appelle Béa.

Stella se présenta également et légèrement enjouée, accepta la proposition.

Elle eut juste le temps de retourner chez elle pour se changer. Une fois devant son armoire, elle se sentie désemparée. Pourquoi avait-elle accepté ? Elle n'avait rien à se mettre en plus... Sa mère qu'elle venait de prévenir trouvait que c'était une excellente idée parce qu'il fallait qu'elle "apprenne à devenir plus sociable, car la fac, c'est une chance !". Mais au fond d'elle, Stella n'avait aucune envie d'aller dans une soirée qui ne lui correspondait pas. Elle préférait de loin les soirées posées, avec des amis qui comptent. Mais elle ne connaissait personne à la fac pour l'instant, et ça commençait à lui peser fortement. Elle soupira et se résigna à tenter d'apprécier ce moment. Elle choisit une tenue noire pour sortir - en fait, c'était sa seule tenue de soirée - avec un pantalon noir et un haut pailleté noir et gris à rayure. Ça va le faire, s'auto-persuada-t-elle.

Arrivée devant l'appartement où se déroulait la fête elle dû lutter pour ne pas tourner les talons ; le fait qu'elle soit venue accompagner par le groupe de fille l'empêcha de le faire. Le lieu grouillait de monde, des vapeurs d'alcool et de fumées de tabac et autres rendaient l'air suffocant. Quant à la musique, elle était de façon trop forte pour être appréciée. Rien qu'à voir les étudiants de sa promo l'a mis mal à l'aise. Elle se força néanmoins à sourire quand on lui tendit un verre d'alcool remplit à ras bord. Pour se mettre dans l'ambiance et tenter de profiter de l'instant, elle le but d'une traite - chose qu'elle regretta plusieurs minutes après. Une barre lui vrillait le cerveau et ses yeux avaient du mal à rester ouverts : non seulement le whisky était surdosé par rapport au coca, mais en plus il était de très mauvaise qualité et son ventre lui faisait affreusement souffrir.

Autour d'elle, des étudiants étaient en plein débat faussement psychanalytique ; l'alcool et l'herbe transformant le plus ignare en savant enclin à une discussion qui s'éternise. Stella avait d'abord participé, mais s'était vite lassée. Un mec assez lourd était venue la draguer : c'était le même qui venait de se faire repousser par à peu près toutes les filles présentes - Stella étant le dernier choix. Quant à son tour elle le repoussa, le mec beugla en renversant à moitié son verre sur elle et lui cria des obscénités. Il finit par lui rétorquer qu'une fille comme elle ne devait pas être si exigeante mais au contraire, s'estimer heureuse qu'il vienne la voir. Puis il partit, certainement aller vomir le trop plein d'alcool. Stella resta de marbre au début, puis éclata en sanglot quand elle croisa le regard de Béa et Anna en train de se retenir de rire devant la scène, pendant que Karen lui lançait un sourire faussement empathique. Stella sortit de l'appartement ; elle avait besoin d'air, elle suffoquait dans cette pièce qui rassemblait tout ce qu'elle avait fui au Lycée !

Une fois dehors, la lune et le vent frais sembla la consoler, et, bien qu'il n'y ait plus de bus à cette heure tardive, elle entreprit de rentrer à pied. Que pouvait-elle faire de toute façon ? Sa fierté l'empêchait d'attendre auprès de ces garces, sa mère ne pouvait pas venir la chercher et elle n'avait pas assez de liquide pour un taxi. Les larmes d'abord de honte et de tristesse se transformèrent en rage et en haine envers... à peu près tout le monde. Tout lui paraissait gris et sans saveur, comme après un mauvais sort.

Stella était perdue dans ses idées bien sombres quand pour la deuxième fois de la journée, les mots de Jane lui revinrent : "... Sinon, qui nous aimera ?". Est-ce que c'était ça le problème, qu'elle ne s'aimait pas ? Il est vrai que ces derniers temps, la jeune fille ne pouvait plus se voir, mais c'était juste pour son physique. Comment aurait-elle pu s'aimer ?

Elle passa devant une salle de sport encore éclairée. Croyant voir Jane sur un des tapis de course, Stella rentra précipitamment, trop heureuse de retrouver la seule personne qui lui avait témoigné tant de gentillesse et d'humanité depuis cette rentrée.

  • Jane ?

La fille qui courait releva le menton, mais ce n'était pas elle. Déçue, Stella s'apprêtait à sortir quand un homme d'une trentaine d'année environs, l'interpella.

  • Hey, salut ! J'ai besoin d'une personne encore pour mon premier cours, ça te dis de venir ?
  • Oh, c'est gentil, mais le sport (elle baissa son regard comme pour montrer son embonpoint), c'est pas trop mon truc...
  • Mais c'est pas vraiment du sport que je propose, c'est de l'auto-défense.

Devant le regard intrigué de la jeune fille, le jeune prof poursuivit avec franche sympathie :

  • Et puis, je serais plus rassuré une fois que tu auras appris quelques bases pour te défendre, avant de rentrer seule en pleine nuit !

La même sensation qu'elle avait eue avec Jane s'empara d'elle, comme une force irrésistible la pressant de suivre son instinct et d'accepter. Qu'avait-elle à perdre ? Ça ne pourra pas être pire que cette soirée de toute façon...

Les mots du jeune prof s'imprégnaient en elle tel un baume qui cicatrisait peu à peu ses blessures. Blessures issues de moqueries diverses, mais aussi qu'elle s'était infligée elle-même en n'acceptant pas pleinement qui elle était.

  • ... Se défendre, c'est avant tout se connaître : quelle sont nos limites, nos faiblesses. et jusqu'où sommes-nous prêt à aller...
  • ... S'aime-t-on assez pour se donner la chance de survivre ?... Si on n'est pas prêt à sacrifier un peu pour se bouger, on accepte le sort qui nous tombe dessus, et dans ce cas, on n'a pas le droit de se plaindre, vous comprenez ? Tiens, Stella par exemple : tu as l'air complexé par ton poids. Pourquoi ?

La jeune fille sortie de sa semi-léthargie, car jusqu'à présent elle avait bu les paroles en oubliant presque les gens autours. Entendre son prénom la ramena à la réalité. La question était simple et elle choisit une réponse simple - aussi parce que les effets de l'alcool non dissipé lui permettait un certain détachement.

  • Oh, ben, disons qu'avant j'étais pas aussi grosse et que maintenant, j'ai du mal à me reconnaitre dans la glace.

Le jeune homme l'encouragea à poursuivre d'un regard bienveillant. Les autres personnes du cours étaient très diverses : il y avait des jeunes et des moins jeunes, des personnes aillant certainement vécu des choses traumatisantes, mais aussi des jeunes voulant se prouver des choses à eux même. L'ambiance était très plaisante et Stella se surpris à se laisser aller. Elle raconta brièvement son histoire, les moqueries qui avaient ponctué son parcours scolaire, jusqu'à très récemment, à cette fameuse soirée. Si elle était la seule à être en surpoids, elle vu plusieurs personnes hocher tristement la tête quand elle racontait les blessures morales qu'elle avait subi. À la fin, le prof acquiesça et profita du récit de Stella pour rajouter :

  • Ce que je voudrais que vous reteniez pour ce soir, c'est qu'être fort physiquement passe d'abord par être fort mentalement. Ça peut sembler bateau, mais on se rend souvent compte qu'on se ment à soi-même. Apprenez à vous écouter, n'ayez pas peur du regard des autres ; il n'est que le reflet de ce que vous en faites. Votre propre jugement est souvent bien plus dur...

Après cette séance thérapeutique, Stella s'inscrivit directement au cours suivant qui avait lieu la semaine suivante à la même heure. Elle avait décidé de venir à pied - soit environs vingt minutes, un vrai défi pour elle - et avait trouvé quelqu'un pour la raccompagner.

Pour la première fois depuis leur discussion, Stella compris enfin les mots de Jane. Il ne lui manquait plus que d'essayer ; ça mettrait certainement du temps, elle le savait, mais le plus dur venait d'être fait. À partir de maintenant, elle ne se mentirait plus et apprendrait à s'aimer comme elle était.

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