Ferroviaire.

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Derrière, un couple boutonneux enguirlandé dégouline des langues et succionne assez sexuellement. Parfois, la fille lâche un petit mh de délassement, une préfigure de gémissements plus francs en cas de touillage de membranes plus basses. Elle rit de tout ce que glose son jules. Il a la mâchoire serrée de l'ado qui lui fait dire tchu à la place de tu, dju à la place de du. Il nous joue du tchoutchou, peut-être un effet secondaire du train.
Ils sont miel, mais un miel en bulle qui frappe amer sur mes oreilles. Les vieux se rappellent la douceur de quand ils savaient dorloter si éhontément, ça les berce si les blessures sont croûtées. Pour moi qui suis vieux depuis très peu, que la gravité n'a pas encore tout à fait enveloppé, cette bulle d'hélium me ravive pile là où ç'agonise l'enfance. Les enfants s'en fichent, ils n'entendent pas encore, cloîtrés dans leurs propres chrysalides parentales. L'entre-deux bulles, n'y a que ça de vulnérable.

Devant, une tribu d'indiens qui parlent fort et laissent pleurer leurs mioches. Ils téléphones, skypent et écoutent des chants autotunés aux drops crasseux avec l'impunité de celui qui sait que personne ne le comprendra, et qu'il ne recroisera jamais aucun des passagers. Ils sont sept ou huit. Les femmes se taisent.

À ma gauche, une trentenaire très brune, voire noire, est avachie dans son complet noir avec son sac à main noir et son portable noir. Elle promène ses yeux noirs sur l'écran, bat des cils noirs en essayant à tout prix d'assombrir sa mine noire sur sa peau blanche. Elle aussi semble dans sa bulle, mais une bulle plutôt flaque, qui envahit et dégouline sur moi. Je n'ai jamais eu de voisine qui sache si bien jouer du coude : l'accoudoir central, où d'habitude je parviens à me ménager une demi-place, m'est obstinément refusé.
Mais je l'aime bien moi, cette femme fine, aquiline comme une italienne, pas très belle mais qui sans doute veut faire croire que si quand même, pas très sympa mais qui sans doute s'en fout. Elle doit penser qu'il y a mieux à faire de la vie que de s'enquiquiner à laisser au voisin le bras de fauteuil, p'importe puisque le voyage n'est qu'une bulle (encore une bulle, tiens...), une parenthèse (encore des parenthèses, tiens :), il faut le faire filer cru vec son écran dévoreur.
Elle doit s'appeler Justine ou Cassandre, ou autrement encore. Elle doit travailler comme vendeuse quelque part, pas forcément dans les rayons, mais vendeuse, un métier où faut s'échanger des valeurs ajoutées et des faux sourires. Elle me plaît malgré tout Justine, elle m'aura oublié vite, et pire, elle ne m'aura jamais remarqué, avec son rictus sérieux qui la rend pré-vieillissante.
Tant pis tant mieux, j'aurai au moins salement frotté son coude pour me défrustrer des tourtereaux de derrière qui frottent leurs lèvres, cogné son coude pour me venger des merdeux braillards, à qui il aurait été inconvenu de foutre des gifles. Et sans doute elle aussi se sera bien défoulée dans cette guerre des coudes (où, je dois l'avouer, je me laisse majoritairement dominer). Elle y aura peut-être même mis plus d'arguments que moi qui n'ai que les babils de devant et de derrière ; qui sait les violences étrangères que son écran lui inspire ?
Je viens de regarder par-dessus son épaule. Elle lit. Des PDF. J'espère que ça parle pas d'invasion de siège de train, sinon je peux lui recommander de meilleures lectures.
M'enfin, pas mes oignons.

Et à droite ?
À ma droite, la vitre avec son soleil embué, et la campagne bâtie, et le chemin qui file, file...


M.20.04.22
Train

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