Chapitre 7
Lorsque j'entre dans l'appartement, je constate rapidement que Mathieu n'est pas encore arrivé. Je me sépare de mes chaussures, au même moment mon téléphone vibre, annonçant un SMS :
« Je sors seulement de cours, j'arrive. Premier jour et déjà, on nous lâche en retard. Ils abusent… Bref. J'ai rencontré Nate, je t'en parle quand je rentre. J'espère que ta journée s'est bien passée ma p'tite. On se raconte tout à mon arrivée. Et au fait, merci pour le mot de ce matin. Il m’a fait tellement plaisir. On se voit très vite. Bizouuu p’tite tête. »
Sacré Mathieu, il faut toujours qu’il me refile tout un tas de surnoms ridicules. Depuis que l’on est jeune, tout y est passé et rien n’est jamais resté très longtemps. Seule « ma p’tite » traverse les âges.
Si j’étais déjà impatiente qu’il rentre pour lui raconter ma journée, maintenant j’ai carrément hâte. Je n’arrive pas à croire que le destin ai fait aussi bien les choses ! C’est à croire que mes les astres voulaient que je retrouve mes frères. Bon j’exagère peut-être, et puis vous me direz surement que je l’ai bien provoqué le destin en m’inscrivant dans la même école qu’eux mais avouez que pour le moment tout ne se goupille pas trop mal.
Clairement surexcitée, je me décide à passer le temps comme je sais bien le faire : en grignotant. Et quoi de mieux qu’un bon goûter spécial retour en enfance ? Je me prépare un verre de lait, un morceau de pain de mie avec du beurre sur lequel je saupoudre une belle couche de cacao en poudre… Miam, j’en salive d’avance. Quand j’étais gamine, je me souviens que chaque jour, en rentrant de l’école, ce petit encas m’attendait sur la table de la cuisine avec ma grand-mère qui était déjà aux fourneaux pour le repas du soir. C’était notre moment à toute les deux, elle me racontait sa journée avec mon grand-père et leur club de vieux, et moi je me livrais sur l’école, les copines et parfois même sur les garçons.
Nostalgique mais heureuse de ce souvenir si apaisant, je saisis le plateau contenant mon goûter dans une main, mon sac de cours dans l’autre et je m'installe sur le canapé. Tout en mangeant, telle un ogre affamé, j’entrepris de faire le tri des papiers qui nous ont été donnés tout au long de la journée. Quand je pense à tous ces cours qu'il va falloir suivre, et à ces semaines chargées qu’il va falloir gérer, j’ai la tête qui tourne.
- Mais qui peut bien tenir un rythme pareil ?
Toutes celles qui ont un travail ! m’indique ma raison.
Pas faux ! Heureusement que ces études me tiennent à cœur car je suis déjà à deux doigts de baisser les bras.
C'est vrai que depuis le début, je parle du choix de la fac qui s'est faite, en grande partie, en fonction de mes frères, mais, mon projet professionnel, lui, est très personnel : j'aimerais devenir pédopsychiatre. Oui, ce n'est pas un choix très commun me direz-vous, mais pour moi sauver des vies ce n'est pas seulement guérir le physique des patients, s'est aussi les aider à évoluer dans leur fonctionnement psychique et il se crée dès le plus jeune âge.
Je finis mon verre de lait et je me mets en direction de la cuisine, quand j'entends Mathieu ouvrir la porte. Lorsqu'il arrive devant moi, il a l'air épuisé.
- La journée a été dure, constaté-je tout en lavant la vaisselle.
- Je t'avoue que j’avais envisagé pas mal de scénarios mais pas ceux-ci, se confie-t-il en balançant son sac dans l'entrée. Ils nous ont fait passer toute une batterie de tests physiques pour connaître nos niveaux et cela va durer toute la semaine.
Devant son air blasé, je comprends rapidement que ce n’est pas franchement ce à quoi il s’attendait. Mathieu est ce genre de personne qui pensait que l’université est similaire à ce qu’on voit dans les séries américaines. Vous auriez dû voir sa tête lorsque l’on a visité le campus avec nos parents et qu’il s’est rendu compte qu’il n’y a pas de fraternité et que de ce fait il ne passerait pas ses week-ends à draguer dans une sororité. C’était vraiment drôle.
- Au moins tu as l'entrée en matière directe. Moi, j’ai passé ma journée à remplir des papiers et à me faire bousculer par des gens qui voulaient la meilleure place. Tu te rends compte que certains n’ont pas quitté leur siège de la journée pour ne pas se faire voler leur place. À l’heure qu’il est, ils sont sûrement encore dessus prêts pour demain.
Mathieu éclate de rire.
- Oui, c'est sûr que vu sous cet angle, je ne vais pas me plaindre. Ma journée à tout de même était un peu plus fun que ça et puis, le niveau de ma promo est franchement, bon. Bien que l'on soit une majorité de gars, les filles ne sont pas en reste. Je pense que l'on va bien s'éclater, sans mauvais jeu de mots.
Mathieu est un compétiteur dans l'âme et la concurrence, c'est toujours ce qui lui a permis d'évoluer aussi bien en sport qu'à l'école. Plus les autres se donneront à fond, plus il se surpassera pour être encore meilleur. Pour le moment cette mentalité de Winner à été payante car il est sorti premier des terminales du Lycée. Dans son discours le principal avait même souligné que c’est une première fois pour lui que le meilleur élève de son établissement soit un futur sportif et non un futur médecin ou avocat. Vive les clichés.
- Je suis ravie pour toi. Vous êtes nombreux dans ta promo ? Questionné-je réellement intéressée par sa réponse.
- Une petite centaine, je pense, répondit-il semblant calculer de tête. Je dois t'avouer que je n'ai pas eu le temps de compter, ma p'tite, j'avais d'autres préoccupations. Comme ton frère par exemple.
-Ah oui, pourquoi ?
Je m'assois à côté de lui sur le canapé.
- Depuis le temps que tu m'en parles, il fallait bien que je sache ce qu'il avait dans le ventre, alors j'ai fait ma fouine. Et puis, il est sacrément bon et va être un adversaire de taille, je l'ai donc bien observé.
- Et alors, quelles sont tes conclusions du jour, Sherlock ?
-J'ai eu l'occasion de discuter avec lui à la pause déjeuner, il est cool. On voit tout de suite qu’il a une sacrée carapace, en fait il me fait clairement penser à toi quand je t’ai rencontré la première fois, tu te souviens ? Il t’a fallu trois jours pour m’adresser un mot.
Nous rigolons et je le laisse poursuivre.
- Je dois t’admettre, Cara, que j’ai eu très peur pour toi en le voyant. Il semblait si fermé, avec son regard dur et sa posture supérieur, que je me disais qu’il est impossible que je te laisse l’approcher. Mais je suis forcé de constater qu’il n’est pas du tout comme l’air qu’il veut bien se donner. Au contraire, il a été le premier à aller aider un gars qui est tombé lors du saut d’obstacle, alors que tout le monde rigolait. Enfin, voilà les conclusions du jour un.
En une journée il me fait un tel bilan ? C’est en psychologie qu’il aurait dû s’orienter. Ce résumé me rassure. Son côté solitaire, décrit par Mathieu, ne m’étonne guère. Je me rappelle, quand on vivait ensemble, on ne pouvait pas jouer tous les deux et mes parents n'appréciaient pas quand il parlait de ses camarades de classe en rentrant de maternelle. Mes grands-parents, eux, m'ont toujours dit qu'il n'avait pas beaucoup d'amis hormis Simon et son meilleur ami, Tom. De ce que j'en sais, Tom est parti en programme d'échange des étudiants à Londres.
Je lui adresse un tendre sourire, reconnaissante qu’il soit cet ami si précieux qui, en plus d’avoir effacer ma tristesse d’enfant, soit maintenant mon bras droit incomparable dans cette nouvelle aventure.
- Merci infiniment de t’être autant impliqué, lui dis-je en le prenant dans mes bras. Qu’est-ce que je ferais sans toi ?
- Rien, ajoute-t-il l’air malicieux, tu n’aurais même pas trouvé ta classe de CP.
Il éclate de rire, alors que je lui mets une petite tape sur l’épaule en guise de protestation.
- Et toi alors, ta journée ? Me demande-t-il pressé de connaître la réponse. Je suppose que ces problèmes de places n’ont pas occupé la totalité de tes occupations.
Je rêve ou bien il se moque de moi ? Non mais il ne manque pas d’air. En guise de protestation, je lui assène un petit coup de poing au niveau de l’épaule.
- On va dire que dans son ensemble, elle n’a pas été si mal, conclus-je jovialement. J'ai fait la connaissance d'une fille de ma promo, Elodie, qui s'avère être la petite amie de Simon que j'ai, du coup, pu rencontrer. Et ce soir, je suis rentrée des cours avec Jonathan.
Mathieu a les yeux qui s'écarquillent de surprise.
- Alors, alors, dis-moi tout... Comment est Simon ? Qu'est-ce que tu lui as dit ?
Mathieu peut être aussi curieux qu'une fille quand il veut.
- Tu imagines bien que je ne lui ai pas balancé d'entrée que je suis sa sœur hein ! À vrai dire, on a très peu discuté on n’a fait que se croiser à deux reprises. J'attends de le connaître un peu plus.
Le visage de Mathieu irradie de bonheur. On dirait même que c’est lui qui vient de retrouver ses frères alors qu’il est enfant unique.
- Bon et bien dis-moi, c'est une sacrée bonne nouvelle pour toi. Tes investigations avancent. C’est dans la police scientifique que tu aurais dû t’orienter, miss détective. Attends imagine un peu la pub que je peux te faire. « Cara, la détective au service de vos familles ».
Il écarte ses deux mains, comme s’il dessinait une banderole au-dessus de sa tête. Je lui donne un coup de coude en guise de réponse à sa moquerie.
- J’espère simplement que c’est de bon augure.
- Mais oui, p'tite tête, ne t'en fais pas et puis je veille au grain. Il passe son bras autour de mon cou et, sans réfléchir, je pose ma tête sur son épaule. D'ailleurs comment va notre voisin Jonathan ? Tu ne pensais tout de même pas que l'info était passée à la trappe hein ?
Il me fait un clin d'œil, fière de sa diversion. Puis son regard me sonde, comme si je devenais la plus grande énigme à résoudre. Quand il me regarde ainsi, on dirait Sherlock Holmes en pleine enquête. Et bien sûr moi, je rougis comme une tomate.
- Et bah, il va bien, dis-je simplement sans chercher à m'attarder sur le sujet.
- Ah oui, c'est tout... Rien de plus croustillant ? Il plisse les yeux comme pour déchiffrer mes réactions.
- Que veux-tu que je te dise ? Je hausse les épaules. On a discuté en rentrant des cours ni plus ni moins. Il n’allait tout de même pas me prendre, la sur le palier devant tous les voisins ?
Mathieu éclate de rire.
- Cara LAFONT, petite dévergondée ! Depuis quand oses-tu dire de telles choses ?
- Gna gna gna, lui lancé-je accompagnée d’une grimace.
En guise de réponse, Mathieu commence à me chatouiller au creux des hanches. Le traitre, il sait pertinemment que c’est mon point faible, si on ne compte pas les pieds, du coup je pars dans un éclat de rire incontrôlé. Il poursuit son assaut de plus belle, ce qui me vaut de chavirer sur le canapé. Au bout de quelques minutes, alors que Mathieu s’arrête, je peux enfin reprendre mon souffle, et je me rends compte qu’il est complètement allongé sur moi. Alors que j’essuis les quelques larmes qui ont coulées d’avoir autant rigoler, mon regard trouve le sien et je constate que ses deux yeux marrons luisent d’un éclat que je ne leurs connaissait pas. Le temps d’un instant, tout semble comme suspendu alors qu’une étrange sensation creuse dans mon estomac.
- Aller, un peu de sérieux, réplique-t-il en se redressant brusquement, me laissant complètement hébétée. S’il doit se passer quoi que ce soit avec Jonathan, sache que je te soutiens à cent pour cent. Et Jonathan et bah, je le valide.
Cette dernière phrase me fait rire. C'est vrai que depuis petit avec Mathieu, on se "valide" nos amoureux respectifs mais ça a toujours été dans l'intention de vouloir ce qu'il y a de mieux pour l'autre. Tout à commencer en primaire quand Mathieu à filer son goûter à cette peste de Sophia lors d’une sortie scolaire, parce-que, la pauvre, s’était fait voler son sac. À la suite de cela, il avait gagné ses faveurs et elle ne cessait de lui faire les yeux doux alors qu’en douce elle passait son temps à me martyriser. Un jour, elle était allée vraiment loin en me disant j’étais tellement bête que mes parents avaient si honte de moi qu’ils ont préféré me laisser chez mes grands- parents et que je ne valais pas mieux qu’un vieux chien à la SPA. (Oui, les enfants sont cruels, mais en général, les adultes qui les éduquent ne valent pas mieux. Mais ça je ne l’ai compris qu’après). Mathieu était arrivé au même moment et avait assisté à toute la scène. Je me souviens de son visage rouge de colère comme si c’était hier, on aurait presque pu penser que tous ces mots, c’est à lui qu’elle les avait dit, tellement il bouillonnait. Il m’avait simplement pris par le bras et éloigné de cette vipère puis il avait pris mon visage dans ses deux petites mains et m’avait dit « Ne laisse plus jamais personne te traiter de la sorte, Cara, sinon c’est moi qui m’en chargerais ». Et pour donner suite à cela, on s’est promis de toujours échanger sur nos Crush. C’est ridicule, mais on était mômes et en grandissant on a simplement gardé l’habitude.
Je souris en y repensant et je reprends le fil de la conversation.
- Non mais attends, on n’en est pas là. Je le connais depuis trois jours.
- Justement ! C’est l’occasion de changer un peu tous tes principes. Nouvelle vie, nouvelle Cara.
- Mais…
- Cara, me couple-t-il alors que ses yeux rencontrent un nouvelle fois les miens. Je t’aime inconditionnellement depuis toujours, vraiment, et maintenant j’aimerai que cette femme que j’admire pour sa force et sa détermination, soit heureuse et profite de sa vie d’étudiante. Je ne te dis pas de devenir une vraie débauchée, mais tu as passé ta vie à ressasser le passer, il est temps de t’ouvrir aux autres et surtout d’ouvrir ton cœur à quelqu’un.
Je souris.
- Et c’est Mathieu coureur de jupons qui me dit ça ?
- Moi au moins je profite !
Son ton cassant me vexe. Il semble immédiatement le percevoir car il me prend dans ses bras.
- La dernière chose que je veux, ajoute-t-il prudemment, c’est te blesser. Mais il est temps pour toi de vivre, Cara, sinon tu deviendras un super médecin, frustrée d’être passée à côté des plus beaux moments de sa jeunesse.
Je souris timidement, consciente qu’il a raison sur toute la ligne. J’ai toujours fonctionné ainsi, et cela ne va pas être simple de changer ma nature profonde mais je vais faire de mon mieux. Et puis, je sais qu’il sera là pour me ramasser si je dérape.
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