Chapitre 10
Samedi matin, lorsque je me réveille, je ne suis pas au meilleur de ma forme. J'ai eu beaucoup de mal à m'endormir, car je n’ai eu de cesse de repasser la soirée en boucle dans ma tête. Quand je repense à ma rencontre froide avec Nate puis au coup de téléphone étrange de Jonathan, mon estomac se tord. Si je m’écoutai, je serais bien restée au lit plus longtemps, mais j'ai décidé d’être une étudiante responsable et de ne pas prendre de retard dans mon travail. Enfin avouons-le, c’est aussi un bon moyen de penser à autre chose.
Je me dirige vers la cuisine pour me préparer un café et je constate que Mathieu n’est pas encore levé. Il n’a pas dû prendre les mêmes résolutions que moi. C’est donc sans faire de bruit que je regagne ma chambre, un café fumant en main.
Le temps de faire un peu de trie dans mon classeur, il est dix heures quand je me penche enfin sur mes cours.
Je suis tellement absorbée par mes révisions que je ne vois pas le temps passer. Anatomie, Biologie, Physiologie… c’est quand même incroyable la quantité de travail qu’il y a en l’espace une semaine. Ecouteurs bien vissés dans les oreilles, je fais de mon mieux pour me replonger dans l’ambiance de chaque cours que j’ai pris soin d’enregistrer. C’est finalement un message de Jonathan, qui interrompt un de mes enregistrements, qui me fait sortir de ma bulle.
Je jette un coup d’œil rapide, pensant faire glisser le message et y répondre plus tard, mais à sa lecture, les révisions me paraissent moins prioritaires. Il m’a fait un roman :
« Coucou Cara,
Je suis sincèrement désolé pour mon comportement d'hier. Je me rends compte que je suis allé beaucoup trop loin, surtout concernant ce que j’ai dit pour Mathieu et toi. Je n’ai pas à me mêler de la relation que vous avez mais je ne sais pour quelle raison, la jalousie m’a emporté. Je sais que c’est n’importe quoi, surtout que toi et moi on se connait depuis quoi ? Deux semaines grand maximum. Alors je comprends que cela puisse te freiner. Mais je t’en prie ne me rejette pas pour des bêtises que j’ai faites avec trois grammes dans le sang.
Tu dois surement être en pleines révisions alors je ne me vais pas m’attarder plus longtemps mais j’attends ta réponse avec impatience. Bonne journée »
C’est qu’il était inspiré notre voisin ce matin. Son message me fait sourire mais à la fois, lorsque notre conversation me revient, une pointe d’amertume reste en travers de ma gorge. En soi, je ne suis pas blessée de savoir que quelqu’un puisse avoir des sentiments pour moi, au contraire, je trouve cela flatteur même si me concernant je suis un peu plus indécise. En revanche je ne suis pas certaine de pouvoir accepter cette pointe de jalousie que j’ai ressentie envers Mathieu. Je me suis toujours dit que si je devais sortir avec un garçon, il faudrait qu’il accepte que Mathieu fasse partie intégrante de ma vie et pour rien au monde je veux perdre cette complicité qui noue lie. C’est sûrement illusoire, et peut-être que cela me portera préjudice, seulement Mathieu était là avant et je sais qu’il sera là après, pour réparer mon petit cœur blessé. Après un temps de réflexion à ne savoir quoi répondre, je décide de faire au plus simple :
« Excuses acceptées. Je sais à quel point l'alcool fait des ravages. Ne t'en fais pas, c'est oublié »
Comme s’il était accroché à son téléphone, sa réponse ne tarde pas.
« Tu es la meilleure ! »
Je lis son message, sans intention d’y répondre, et je mets mon téléphone de côté pour replonger dans le travail.
À peine verrouillé, l’appareil se met à sonner mais le numéro qui s'affiche n'est pas répertorié. J'hésite, mais je finis par décrocher :
-Oui allô ? Dis-je prudemment.
-Cara, c'est Nate, dit-il brutalement. J'ai eu ton numéro par Mathieu.
J’en lâcherais presque mon téléphone, tellement que cet appel me surprend.
- Pas de problème, tu veux quelque chose ?
Je tente de garder un ton neutre et détaché.
- Il faut qu'on parle ! m'explique-t-il froidement. Tu es libre à quinze heures ?
J'acquiesce et nous nous donnons rendez-vous dans le parc derrière chez moi. Face au stress qui me gagne, je m’en vais retrouver Mathieu dans le salon. Quand j'arrive, il regarde un film sur Netflix tout en révisant ses cours. Je n'ai jamais compris comment il réussissait à faire ça. Moi, un simple bruit de klaxonne dans la rue et je perds le fil de mes pensées.
- Nate m'a appelé, l'informé-je en m'installant à côté de lui.
Sans quitter sa feuille des yeux, il me répond.
- Je me doutais bien qu’il le ferait. En me réveillant ce matin, j’avais un message de lui me demandant ton numéro. Alors, il te voulait quoi ?
- Il veut que l’on se voie cet après-midi.
-Oh, génial, tu vas pouvoir passer du temps avec lui, s'enthousiaste-t-il en quittant ses cours pour plonger son regard dans le mien. Mais alors pourquoi tu fais cette tête de déprimée ?
Je baisse les yeux.
- Il n'a pas été très amical au téléphone. J'angoisse un peu de ce qu'il a à me dire. Il a sûrement fait le rapprochement.
Je triture mes ongles, les yeux rivés sur mes mains.
- Ne te poses pas trop de questions Cara. Et puis tu sais qu'ils finiront par l'apprendre, alors dis-toi que le plus tôt sera le mieux.
Il me regarde comme attendant mon approbation. Mon regard croise le sien une nouvelle fois, et une dose de courage parvient jusqu’à mon cerveau.
- Tu as raison, il faut que j'affronte la situation, me motivé-je dans une grande inspiration. Je ne vais pas pouvoir me cacher longtemps.
Je lui fais un bisou sur la joue et je retourne à mes révisions.
Les heures passent lentement, alors que ma concentration s’étiole au fil des minutes qui passent. Quatorze heures trente finit enfin par arriver ! Je range mes cours et j’enfile rapidement un survêtement, histoire de ne pas y aller en pyjama, puis je prends la route. Plus je m’approche du lieu de rencontre, plus le stress monte alors je me décide à augmenter le son de mes écouteurs, comme si cela allait m’éviter d’opérer un demi-tour.
Lorsque j'arrive au Parc, Nate est déjà là et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas la tête des plus amicales qui soit. J'ai à peine le temps de m'approcher et de retirer mes écouteurs, qu'il vient à ma rencontre d’un pas décidé et le regard noir. Je me décompose.
- Dis-moi que ce n'est qu'une coïncidence et que tu n'avais pas tout prévu ! Dis-moi que tu ne savais pas qui on était !
Son ton est sec. De toute évidence, il a compris, alors autant jouer franc jeu.
- La seule chose que je savais de vous, est que vous alliez tous les deux dans cette fac, avoué-je doucement comme pour éviter d'énerver davantage la bête. Pour le reste, tout est lié au hasard.
- Cela fait une semaine que tu connais Simon et tu vas me dire que tu n'as pas fait le lien ? Ne me prends pas pour un pigeon, Cara, s’agace-t-il. D’autant plus qu’Elodie m’a parlé de toi comme une amie qui vient du Jura pour ses études. Tu as donc bien ficelé ton plan.
Je devrais me sentir honteuse mais, bizarrement, je sens monter une rage en moi, que je me force à contenir. Je ne suis plus une petite fille que l’on peut sermonner à tout va. J’ai la capacité de faire mes propres choix et, même si ma stratégie n’était pas la meilleure et qu’elle a fini par m’éclater à la figure, il est hors de question qu’il continue à me parler de la sorte. Frère ou pas frère.
- Si bien sûr que j’ai fait le lien, lui réponds-je fermement, bien décidée à ne pas le laisser me mettre plus bas que terre sans réagir. Tu me prends pour une idiote peut-être ? Mais tu voulais quoi ? Que je lui dise « Salut mec, je suis ta sœur ! ». Mets-toi à ma place un peu ! À non, j'oubliais, tu n'es pas à ma place. Toi tu es celui qui a grandi dans le domicile parental. Tu es celui qui a toujours tout eu : l’amour et la reconnaissance. Alors pour qui te prends-tu ? Tu n’as aucune idée de ce que ça fait d’être le rejeté de la famille. Tu n’as jamais eu à le vivre. Alors arrête un peu de faire le mec frustré ou en colère.
Je le fixe droit dans les yeux, force est de constater qu’il ne s’attendait pas à ce que je lui tienne tête. Il pensait sûrement que j’allais me contenter de jouer la carte de la pauvre petite sœur sans défense, mais ce n’est absolument pas dans mon tempérament. C’est finalement lui qui brise le silence plombant qui s’est installé.
- En effet, je ne suis pas à ta place Cara ! Mais Simon a le droit à un peu d’honnêteté de ta part, me lance-t-il sur le ton du défi. Alors maintenant, c'est soit tu lui dit la vérité dans la journée, soit je le fais ! Mais en attendant, je ne veux plus entendre parler de toi. Si notre père savait cela, il n'aimerait pas du tout !
Je reste bouche bée, à l’évocation de notre père. Est-ce une menace ? Serait-il capable d’aller lui dire que je suis revenue ? Mon esprit divague et je finis par lui bredouiller :
- Je ferais le nécessaire.
Je lui tourne le dos et pars rapidement. J’ai à peine fait deux pas que des larmes perlent sur mes joues. L’adrénaline m’a aidé à tenir jusque-là, mais le contrecoup de cette rencontre est bien difficile à avaler.
Je marche un moment, essayant de trouver le meilleur discours qui soit, et me voilà devant l'appartement de Simon. Je prends mon courage à deux mains, je respire un grand coup et frappe à la porte. Au bout de quelques minutes, Simon m'ouvre, visiblement surpris de me voir devant chez lui.
- Oh ! Cara, désolé Elodie n'est pas là, s'empresse-t-il de m'annoncer.
- Ce n’est pas Elodie que je viens voir, l’informé-je gênée, je peux te parler ?
Il me lance un regard interrogateur mais m’invite à entrer. Mon estomac se noue, je me sens nauséeuse pourtant, il n’est plus question de faire marche arrière. Simon a le droit à la vérité et il est hors de question qu’il l’apprenne de la bouche de Nate. Je prends place sur le canapé, encore dans le flou de ce qui est en train de se passer.
- Tu voulais me dire quelque chose ? Me questionne finalement Simon, en s'installant près de moi.
Je fuis son regard et fixe un point aléatoire dans la pièce.
- Oui, mais avant tout je veux que tu saches que je suis désolée et que je ne voulais pas que ça se passe comme ça.
Je prends une grande inspiration et lui avoue :
- Je suis ta demi-sœur.
J’ai l’impression de retirer un pansement d’un coup sec. Il me dévisage, mais bizarrement, il n'a pas l'air surpris. Il me répond simplement :
- J'avais quelques doutes depuis le début, confesse-t-il. Cara ce n’est pas un prénom courant. Et puis, en te voyants hier, à côté de Nate, j'ai compris que j’étais dans le vrai. Vous vous ressemblez tellement qu'il ne pouvait plus y avoir de doute possible, lâche-t-il avec un sourire sincère.
Une seule question encombre mon esprit.
- Et tu m'en veux ?
- Bien sûr que non ! me rassure-t-il en posant sa main sur mon bras. Je me doute bien que la situation n'a pas dû être simple pour toi, et je suis content d'enfin pouvoir rencontrer ma demi-sœur.
Il me prend dans ses bras et la pression retombe enfin. Je me sens plus légère, comme si je venais de me débarrasser d’un poids énorme. Au moins un de mes frères ne me déteste pas.
- Merci Simon, vu la réaction de Nate, je craignais que tu ne sois de son avis.
- Cara, notre frère peut paraître impulsif, m'explique-t-il en rompant notre étreinte. Mais ne t'en fais pas, quand il aura digéré l'information, il va revenir. Il m'a beaucoup parlé de toi quand on était jeune. Je suis sûre que secrètement, il espérait un jour te revoir, alors laisse lui du temps. Il va être tiraillé car notre père ne le ménage pas le moins du monde. En attendant qu'il se réveille, on a des années à rattraper tous les deux.
Je crois qu’il n’a pas conscience du soulagement que me procurent ses mots. Je savais, grâce à mes grands-parents, que Simon était bienveillant, mais je n’aurais pas pensé qu’il serait si compréhensif face à cette situation. C’est réjouissant de savoir qu’à présent j’ai un allié de taille.
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