[1] Bienvenue chez nous ! (2/7)
[2.]
Justine décide pour nous deux qu’un rapide tour des lieux serait le bienvenu. Nous passons donc successivement devant un long couloir en L autour duquel s’alignent plusieurs portes de bureaux, deux salles de réunions totalement désertes, une série de vestiaires en revanche déjà bien encombrés malgré l’heure matinale, une vaste salle d’armoires et d’étagères détenant bien plus de médicaments que jamais encore je n’en avais vu et enfin, une porte en bois clair portant l’inscription « Salle de repos » gravée sur une jolie plaque de métal luisante.
— Et voici donc l’endroit où tu risques de passer le plus de temps après ton propre service.
La jeune femme appuie fermement sur la poignée, ouvrant la porte sur une petite salle rectangulaire dont je ne peux qu’observer avec admiration les trois murs de baies vitrées qui confèrent à la pièce une incroyable luminosité. Le mobilier est bien plus simple que cette impressionnante excentricité architecturale et accapare en fait une grande partie de la salle : plusieurs armoires et casiers occupent la majeure partie du mur du fond et le reste de la surface encore accessible se retrouve en réalité totalement absorbée sous une longue table de bois verni entourée de chaises en tissu gris anthracite.
— Coucou tout le monde ! s’extasie Justine en pénétrant dans le local.
Je suis surprise de constater que je ne suis pas la seule à être arrivée en avance. Deux autres filles ont déjà pris position autour de la table, dans une stricte opposition l’une de l’autre. Et si la plus grande des deux reste parfaitement stoïque à notre entrée, ses yeux noirs soulignés d’un impeccable trait d’eye-liner rivés sur l’écran de son téléphone portable et ses longs cheveux bruns noués en une queue-de-cheval haute battant son dos au rythme de ses hochements de tête concentrés, la plus petite m’adresse un large sourire amical et un bref signe de la main. J’apprécie presque immédiatement l’étincelle illuminant son charmant regard occulté par de larges lunettes rondes et lui souris en retour.
— Je t’en ramène une autre, poursuit Justine à l’intention d’une personne que je n’avais jusqu’ici pas encore remarquée, une femme à la trentaine tout juste passée arborant un magnifique carré de cheveux bruns bouclés et un visage rond presque maternel.
— Bonjour Justine, tu vas bien ? se moque cette dernière en levant la tête de ses notes.
— Très bien Clarisse et toi ? répond nonchalamment la jeune femme tout en retirant de son casier une longue blouse blanche pour l’enfiler par-dessus son chemisier.
— Très bien merci.
Un large sourire illumine le visage de Justine tandis qu’elle prend soin de dégager ses cheveux coincés par l’épais col de coton blanc. Attrapant plusieurs dossiers visiblement posés sur la table à son intention, elle se fraye un chemin en direction de la sortie, non sans me souhaiter un rapide « Bonne chance » de circonstance.
La porte se referme dans son dos et je me sens tout à coup à nouveau bien seule. J’observe longuement le reste de la salle avant de me décider à reporter mon attention sur la dénommée Clarisse, occupée à me détailler en souriant doucement.
— C’est donc ta première année à toi aussi ?
Je hoche la tête.
— Parfait, annonce-t-elle en se penchant à nouveau sur son cahier de notes. Donne-moi ton nom et ton prénom que je vérifie ma liste.
— Laura Miller.
Clarisse fait lentement défiler son crayon sur la liste de cases à la recherche de mon patronyme. Je constate que nous ne sommes pas nombreux, la liste ne comportant qu’une petite dizaine de prénoms tout au plus et la recherche s’avère donc plutôt rapide. Clarisse dépose une petite croix à côté de la ligne qui m’est dédiée et m’invite à prendre place à mon tour autour de la table.
Je décide de ne pas jouer les solitaires endurcis et effarouchés et viens donc me placer près de ma – je l’espère en tout cas - future connaissance. Cette dernière m’accueille avec un nouveau sourire, retirant une partie des affaires étalées devant elle pour me faire un peu de place. Je dépose mon sac à mains et mon ordinateur et prends le temps de retirer ma veste pour l’accrocher à l’arrière de mon siège. La chaleur qui règne déjà dans la pièce est agréable après le froid mordant du matin et me donne même presque chaud après toute cette agitation.
— Comment tu t’appelles ?
Je sursaute presque en constatant que c’est à moi qu’elle s’adresse. La question n’est que purement formelle venant tout juste d’annoncer mon prénom pour le listing mais j’apprécie cette première tentative de communication et lance donc :
— Laura. Et toi ?
— Solène. Enchanté de faire ta connaissance.
Je souris de plus belle.
— Moi aussi. Tu lis ? demandé-je en désignant d’un geste du menton l’écran de son téléphone portable sur lequel défile un texte ressemblant fort à un chapitre de romans.
— Oui, confirme la jeune femme en hochant la tête. Sur des plateformes en ligne la plupart du temps, mais je possède aussi une bibliothèque bien fournie.
— Quel genre ? interrogé-je, connaissant déjà la réponse avant même qu’elle ne me soit donnée.
— Heroic-Fantasy principalement, romance d’une autre époque de temps en temps.
Classique, songé-je en détaillant la jeune femme. Néanmoins, je sais que, quelque part, nous allons bien nous entendre, partageant déjà un terrain commun.
— Et toi ?
— Fantasy et Science-Fiction sont mes deux genres de prédilection.
Je me penche afin de saisir mon téléphone portable et lui montrer mes dernières trouvailles lorsque mon regard est attiré par du mouvement sur notre droite. Je constate d’un bref coup d’œil à la dérobé que l’autre externe tient l’un de ses écouteurs entre ses doigts, prêtant visiblement une oreille distraite à notre conversation.
Détournant mon regard, je tire à moi une chaise afin de prendre place. Je suis à peine assise que la porte du local s’ouvre à nouveau, laissant entrer trois autres filles. A la façon dont elles se présentent, impeccablement maquillées et coiffées, je comprends immédiatement que la jeune externe déjà présente et elles se connaissent. Le sourire qui illumine d’ailleurs le visage de cette dernière tandis qu’elle ouvre de larges bras accueillants en gloussant le confirme. Nous nous lançons un bref regard entendu avec Solène. Je ne peux que retenir un léger rire en voyant le visage de Clarisse se fondre en une moue réprobatrice tandis qu’elles prennent place à leur tour autour de la table.
Je lance un coup d’œil à l’horloge fixée sur l’un des murs de baies vitrées. Neuf heures dix. Il était presque évident que nous ne commencerions pas à l’heure. Pas aujourd’hui en tout cas. Cinq minutes s’écoulent avant que deux autres jeunes femmes ne fassent leur apparition et Clarisse décide qu’il est temps de commencer la réunion, préférant laisser le soin aux derniers retardataires de s’annoncer et récupérer la prise de notes en cours de route. Je suis légèrement déçue de constater que notre groupe ne se constitue que de présences féminines mais tente de raisonner mon esprit : au moins, pas de distraction en vue, pas de disputes possibles. Mon année d’externat ne peut donc que se passer pour le mieux. Du moins, je me prends à l’espérer de plus en plus fort…
-
Nous passons plus d’une heure à écouter Clarisse nous énumérer les différents services et leurs modes de fonctionnement, les personnes composant la hiérarchie de l’hôpital et leurs rôles dans notre apprentissage ainsi que nos futures fonctions et attributions en tant qu’externes. Nous écopons chacune d’une liasse de formulaires à remplir, signer et émarger ainsi que d’une pile de documents jugés « foncièrement indispensables » à une intégration réussie au sein des internes déjà présents. Bien que le discours soit fortement soporifique, je parviens à maintenir mon esprit dans un semblant de concentration, écoutant d’une oreille dispersée les principales mesures du règlement intérieur de l’établissement. Mon cœur se met à battre un peu plus fort lorsque vient l’annonce des attributions de services.
— Etant donné vos classements et les choix formulés lors de vos demandes de vœux, nous avons établi une liste de vos affectations pour l’année à venir ainsi que le nom de votre futur responsable. Je vous invite à bien en prendre connaissance avant qu’ils ne vous fassent appeler. Je vous demanderai de ne pas trop traîner à les rejoindre : chaque service demande une excellente gestion pour ne pas être submergé, le travail de chacun impactant directement celui de son équipe. Et la pierre angulaire à cette bonne gestion passe avant tout par la ponctualité, comme vous le savez tous.
Etant la première assise face à elle, Clarisse doit se pencher légèrement en avant pour me tendre le tableau d’affectation. Je laisse mes yeux parcourir rapidement les cases avant de s’arrêter net sur la ligne me correspondant. Cardiologie, Mme Alexandra Ruiz.
Je pousse un profond soupir de soulagement. La cardiologie est en quelque sorte mon domaine de prédilection et l’un de mes premiers choix. Je tends la feuille à Solène, un large sourire aux bords des lèvres, et cette dernière s’empresse de la parcourir avec la même avidité. Lorsque je vois ses épaules s’affaisser de soulagement à son tour, je comprends qu’elle aussi vient d’obtenir son poste de choix.
— Quel service ? chuchoté-je à son intention, espérant secrètement ne pas être trop éloignée de ma nouvelle amie.
— Pneumologie, murmure-t-elle sur le même ton, et toi ?
— Cardiologie, réponds-je dans un sourire.
— Pas mal…
Je hoche la tête, satisfaite. Le son sourd d’un portable vibrant sur la table nous arrache un sursaut. Solène attrape son téléphone afin de consulter ses messages.
— Merde, c’est déjà mon responsable, annonce-t-elle à mi-voix, il veut qu’on se retrouve directement en service pour onze heures. Il faut que j’y aille.
La jeune femme se lève afin de réunir ses affaires. Je sens mon cœur se serrer au fond de ma poitrine à l’idée d’être séparées si rapidement.
— Est-ce qu’on peut y aller ? s’enquiert Solène en jetant un rapide coup d’œil en direction de Clarisse.
— Oui, nous avons fini pour aujourd’hui. On refera un point à la fin de votre première semaine. Ah ! N’oubliez pas de récupérer votre blouse à l’entrée des vestiaires ainsi que votre badge auprès de votre responsable d’unité. Il vous sera nécessaire pour accéder à la majeure partie des bâtiments et est indispensable pour que vos patients puissent vous reconnaître. Vous souhaitant une bonne première journée, allez zou, au travail !
Un concert de grognements de mécontentement accueille les derniers propos de la pharmacienne. Il était évident – et nous en avions toutes conscience en arrivant - que tout le monde ne pourrait pas bénéficier de ses premiers choix mais la déception semble toutefois en démoraliser plus d’une.
Les téléphones vibrent les uns après les autres, entraînant un enchaînement de départs plus ou moins souhaités de la salle, tant et si bien que, dix minutes plus tard, je me retrouve de nouveau seule, assise en une contemplation stupide et expectative de l’écran de mon téléphone.
— Quel service as-tu choisi ? me demande Clarisse, visiblement étonnée.
— Cardiologie. Avec Alexandra Ruiz.
— Alex ?
Le sourire de Clarisse devient étrangement énigmatique, impossible à déchiffrer.
— Eh bien, bon courage.
Mon visage se fige d’effroi. Quoi ? Que veut-elle dire par « bon courage » ? Je sens mon estomac se nouer d’angoisse. Je m’apprête à questionner Clarisse un peu plus dans le détail lorsqu’une femme fait irruption dans la pièce, visiblement essoufflée, consultant nerveusement sa montre.
— Vraiment désolée pour le retard Clarisse ! Une série de bouchons sur l’autoroute… Comme d’habitude quoi. Parfait, qui est en cardio donc ?
La jeune pharmacienne est, à sa façon, ravissante. J’ai presque du mal à lui donner la trentaine. Avec son visage plein de vie, ses yeux bleus pétillants et sa petite silhouette galbée débordant de dynamisme, Alexandra Ruiz inspire à la fois la douceur et la force de caractère. Un léger frisson me parcourt le corps.
— Moi, articulé-je, ne laissant pas le temps à Clarisse de répondre.
Les mouvements de la dénommée Alexandra cessent subitement tandis qu’elle lève la tête dans ma direction afin de me détailler de la tête aux pieds. Pendant ce qui me semble être une éternité, je la laisse me dévisager, me sonder, me juger. Une lueur malicieuse illumine soudainement son regard de la couleur de l’océan. Un sourire étire son visage et je sens mes épaules s’affaisser de soulagement. Elle ajoute, ouvrant largement les bras :
— Bienvenue alors ! Je suis sûre qu’on va bien s’amuser !
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