[1] Bienvenue chez nous ! (7/7)

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[7.]

En remontant l’allée menant au parking des visiteurs, je me sens tout simplement éreintée, tant physiquement que psychologiquement. La nuit est tombée au-dehors et le froid mordant me rattrape malgré le trench que je resserre encore un peu plus autour de ma pauvre silhouette frissonnante.

Enfin parvenue à la voiture, j’ouvre rapidement la portière côté conducteur, balance sans ménagement mes affaires sur la banquette passager et me coule à mon tour sur le siège en grelottant. Je glisse la clé dans le contact et allume le moteur, montant le chauffage à son maximum. Enfin un peu de chaleur… J’ai bien cru que cette première journée ne se terminerait jamais !

La solitude me gagne rapidement tandis que j’attends patiemment que mon corps se décontracte enfin et je m’octroie le droit de pousser un long soupir tout en laissant ma tête retomber en arrière contre le siège. Les larmes montent sans que je ne puisse les contrôler et je ne peux que les laisser couler le long de mon visage, impuissante. Je n’ai même plus la force de les retenir un instant supplémentaire. J’ai besoin d’évacuer toute cette tension, cette angoisse, cette tristesse qui me noue l’estomac ou elle risque de me consumer. Toutes les paroles échangées au cours de la journée me reviennent brusquement en mémoire et semblent m’assaillir de toutes parts et chacune d’entre elles s’enfonce en moi comme la lame aiguisée d’un poignard transperçant ma poitrine.

Je tends la main et augmente le volume de la radio, bien décidée à ne pas me laisser submerger par ma peine et ma fatigue et m’engage sur l’avenue principale de la grande ville. Je ne parviens chez mes parents qu’après avoir évité de justesse deux accrochages et m’être faite klaxonner pas moins de cinq fois aux feux du boulevard.

— Alors, comment s’est passée cette fameuse première journée ? demande mon père depuis le canapé du salon tandis que je referme la porte dans mon dos, tremblante de froid.

— Ça va, ça va, je mens tout en me débarrassant de mes chaussures sur le tapis de l’entrée.

Je me rends compte que je n’ai pas pris le temps de réfléchir à ce que j’allais bien pouvoir dire à mes parents. Leur chantonner que tout s’est merveilleusement bien passé serait un mensonge et ils s’en rendraient surement vite compte, mais leur avouer toutes les difficultés auxquelles je m’étais retrouvée confrontée tout au long de cette journée me ferait passer pour une petite fille chétive et geignarde et je ne voulais pas de cette image. Je décide de temporiser tout en venant prendre place autour de la table à manger.

— J’ai obtenu le service que je voulais. Ma responsable est sympa et on a pas mal de boulot.

— Tu dois être épuisée ? demande ma mère tout en ramenant le plat qu’elle vient de faire réchauffer au micro-ondes à mon intention.

— Oui.

Je lui souris doucement. Sans le savoir, ma mère vient de me trouver la meilleure excuse au monde. Je saisis ma fourchette et commence à piocher dans le plat avec envie. Mon maigre repas du midi fait que mon estomac crie famine depuis un moment et l’odeur dégagé par l’assiette posée devant moi exalte mes papilles avec délice. Je mâche une première bouchée avant de l’avaler, trop heureuse de pouvoir enfin mettre quelque chose dans mon estomac.

— Et comment sont les internes ?

Je me raidis. J’avais espéré que les questions de mes parents s’en tiendraient là, en vain. Je pioche une nouvelle fois dans mon assiette, pensive.

— La plupart me paraissent sympas, dis-je – et ce n’est pas vraiment un mensonge -, mais on n’a pas encore eu le temps de tous se rencontrer. Donc je ne voudrais pas m’avancer.

Mon père hoche la tête. Une façon de me faire savoir qu’il a compris que je ne veux pas m’étendre sur le sujet.

— Vous aurez tout le temps d’apprendre à vous connaitre, j’en suis sûr.

Je fais la moue. Si seulement…

— Eh bien moi, souffle ma mère en venant se laisser tomber sur la chaise face à moi, tu ne devineras jamais ce qu’il m’est arrivé aujourd’hui !

Je souris. Au moins le sujet de ma première journée est-il clos. S’ensuit une discussion très animée qui parvient à nous tenir en haleine presque tout le reste de mon dîner.

-

Une fois le repas et l’épineuse question de l’inspecteur pédagogique passée, je décide qu’il est temps pour moi de prendre congé pour aller me reposer et, après avoir souhaité une bonne nuit à mes parents et prétexté encore une fois être épuisée, je me coule jusqu’à mes « appartements » afin de prendre une bonne douche. La chaleur de l’eau a le don de me délasser avec délicatesse et je profite au maximum de cette douche bien méritée pour détendre mes muscles fatigués de la crispation incessante de cette journée.

Je me sèche ensuite rapidement, enfile mon pyjama – un vieux pantalon de jogging et un sweat ample aussi doux qu’une peluche - et me glisse dans mon lit, me pelotonnant avec bonheur dans mes couvertures. Je sais que je devrais sans doute en profiter pour dormir un peu et reprendre des forces pour la dure journée du lendemain mais c’est plus fort que moi, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Je saisis donc mon téléphone portable et consulte mes messages. La plupart sont sans intérêt et ne nécessitent pas de réponse immédiate de ma part mais je finis par en trouver un de Jessica, daté d’un peu plus tôt dans la soirée.

« Coucou ! Alors, comment ça s’est passé ? »

J’observe le message en faisant la moue, ne sachant trop que répondre. Jessica est ma meilleure amie depuis presque dix ans, lui mentir ne servirait rien. Je prends donc le temps de lui composer un message bien fourni, lui expliquant presque toute ma journée dans le détail : l’abject comportement du patient, les compliments d’Alexandra sur la qualité de mon travail, le soutien amical de Maude et Claire et les pics incessants d’Ethan, sans oublier le rire goguenard de Marine et mon humiliation lors de la visite matinale.

Je dois attendre presque dix minutes avant de recevoir une réponse.

Aïe mais ne t’inquiète pas ! Ce n’était que le premier jour ! Vous ne vous connaissez pas encore c’est pour ça. Une fois que vous aurez appris à travailler ensemble ça ira mieux je pense.

Je ne peux m’empêcher de sourire devant le pragmatisme de mon amie. J’aimerais tellement qu’elle puisse prédire l’avenir… Je tapote sur mon téléphone pour composer ma réponse.

J’aimerais beaucoup que tu aies raison.

Cette fois-ci, son message ne se fait pas attendre.

Mais tu sais très bien que j’ai toujours raison voyons ! Tu verras, on en reparlera dans quelques mois ! Je dois te laisser, j’ai à faire pour demain. Tu devrais en profiter pour te reposer, je suis sûre que tu en as besoin… Bonne nuit et gros bisous !

J’observe l’écran de mon téléphone en soupirant. Je sais qu’elle a sans doute raison, je la remercie donc et lui souhaite bonne nuit à mon tour puis éteins la lumière. La chambre est à peine plongée dans l’obscurité que je sens mon esprit vagabonder à nouveau dans les couloirs d’un hôpital, à la recherche d’une paire d’yeux aussi sombres qu’une nuit sans étoiles…

***

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