28. Frostbite
Le frostbite en anglais est une blessure provoquée par un froid extrême. Lorsqu'elle provoque une hypothermie, elle devient mortelle. Si aucun traitement n’est réalisé et qu’on reste encore dans cet état, on meurt.
J’avais passé une semaine inoubliable avec Zénaïde, à poncer ensemble toute la région, revivant notre complicité d'autan et lorsqu’elle était partie, laissant son empreinte indélébile peupler nos murs, j’avais enfin démarré le nouveau plan que j’avais imaginé pour me débarrasser de cette nouvelle menace. Je l’avais observée quelques temps et ce que je pouvais dire est qu’elle me rappelait beaucoup Carole.
Elle lui tournait autour et se présentait comme une nana sans prise de tête, dynamique, croquant la vie à pleine dent. Encore une reine des abeilles, bordel.
Mon plan se déroulerait en deux étapes : la piéger et la tuer, juste après. Je n’avais pas envie de perdre du temps avec de la parlotte. Il fallait que je me charge vite de son cas.
- Demain, c’est l’anniversaire de la fondation du cabinet où tu travaillais, non ?
Il était en train d’aider Maria à faire ses devoirs, tandis que je préparais le dîner. J’adorais cette période de l’année. L’ouverture des vitres étaient condamnés par les verglas, la neige s'écraisait silencieusement par terre et sur le rebord de la fenêtre. La vapeur provenant des casseroles en ébullition envahissait la cuisine et la buée brouillait la vue de l’extérieur, depuis la vitre. Il faisait chaud et humide, mais c’était agréable. Ça réchauffait les cœurs et créait une ambiance familiale, à l’approche des fêtes. Cette année, la famille d’Eva se passerait de sa présence, et les prochaines années également et c’était très bien comme ça.
J’avais retourné le problème des millions de fois dans ma tête. Devais-je en arriver là avec cette femme, encore une fois, lorsque je m’étais jurée qu’Angers serait un renouveau ?
Comme lui, elle avait été promue collaboratrice et travaillait donc à ses côtés. Pourtant, cela ne les avait pas empêché de continuer à se voir pour bosser mais un soir, en rentrant d’une promenade avec Maria – durant laquelle elle m’avait royalement ignorée, préférant converser avec sa poupée – il m’avait prise à part pour m’expliquer – non surtout m’avouer – qu’elle avait parlé avec lui de façon inappropriée de comment leur relation pourrait devenir plus physique, et qu’il l’avait brutalement rejetée. Ensuite, ils avaient discuté de ça et elle avait promis de ne plus jamais s’aventurer sur ce terrain-là. Depuis, ils étaient toujours obligés de se côtoyer mais il me promettait que ce problème était réglé.
J’avais dû me retenir de ne pas faire un bain de sang, le soir même. A y voir de plus près, elle semblait être typiquement le genre de femme qui lui plairait. Je n’avais jamais compris pourquoi il était resté avec moi autant d’années et puis, je me suis rappelée combien il était soucieux du bonheur de Maria. Il ne restait que pour elle. Peut-être qu’il ne m’avait pas tout dit et qu’en réalité, il la voyait secrètement mais souhaitait que Maria vive avec « ses deux parents ensemble », comme le scandait tant de parents.
Bref, quoi qu’il en soit, elle avait signé son arrêt de mort par le simple fait de ressentir de l’attirance pour lui. Je ne pouvais pas le tolérer. Elle méritait de mourir. Dans d’atroces souffrances, s’il le fallait.
C’était pour cette raison que j’allais m’arranger pour l’éliminer proprement sans laisser de trace et sans qu’il ne se doute de rien. J’avais également une petite de douze ans à préserver. Même si elle semblait de moins en moins me supporter. Mais au fond, tant que cela n’altérait d’aucune manière ma relation avec son père, cela ne me posait pas de problèmes. Pas encre.
- Tu te souviens d’un détail aussi insignifiant ? il avait demandé, en riant.
- Oh, aller ! C’est pas insignifiant ! Tu comptes y aller ?
Il secouait la tête.
- Non, je préfère être ici.
Je lui avais tapoté l’épaule.
- Tu sais me parler, toi !
Il avait attrapé la main pour le tirer vers lui et m’embrasser brièvement mais si tendrement.
Maria ne s’était pas retenue de pousser un bruyant soupir pour signaler sa présence mais surtout pour réclamer de l’attention. J’étais donc retournée aux fourneaux pour guetter la cuisson quand il me demandait si je voulais qu’il prenne le relai mais l’enfant était intervenue d’un cri d’agacement :
- Et moi ! Tu dois m’aider ! râlait-elle.
- Oui, pardon, s’était-il excusé en baissant la tête, amusé devant notre petite. Allez, tu as résolu le problème ? Combien restent-t-ils de gâteaux à madame Legoutécélavi.
Satisfaite, elle avait poursuivit ses devoirs, avec entrain, jusqu’à ce qu’on passe à table. Comme toujours, après s‘être lavée, habillée et avoir préparé ses affaires pour demain, elle s’était précipitée vers lui, tandis qu’on préparait le lit pour dormir, et lui souhaitait bonne nuit.
Ma grande et petite fille… elle était tant de choses. Tant d’émotions, d’idées et de goûts. Et je n’en connaissais aucune.
- Fais un bisou à maman et vas dormir, d’accord ?
Elle s’était approchée de moi, le regard fuyant et s'était hissée rapidement sur la pointe des pieds pour déposer un bisou sur ma joue avant de repartir en courant jusqu’à sa chambre. J’ignorais quand pour la dernière fois elle n’avait pas rouspété quand il fallait interagir avec moi mais une pointe de soulagement m’avait envahie. Y avait-il encore de l’espoir pour recréer un lien ?
Lorsqu’à son tour, il avait sombré dans les bras de Morphée, j’avais quitté notre lit pour me diriger vers le salon. Là, se trouvait une petite boîte où j’avais acheté un téléphone intraçable. Il avait coûté cher, mais heureusement, cela était passé inaperçu étant donné que j’avais utilisé l’argent de mon héritage auquel je n’avais jamais touché, souhaitant le laisser à ma fille… au cas où. Mais c’était une situation urgente. Ce n'était de toute façon rien, par rapport à ce que le compte contenait, que chaque année, j’alimentais toujours plus de toute façon.
J’avais pris un immense risque avec Leïla en lui écrivant au nom de mon mari, avec un simple portable jetable. Si je ne m’étais pas débarrassée de son téléphone, il aurait été soupçonné. A l’époque, les technologies légales n’étaient pas aussi abouties. Aujourd’hui, il était très facile d’accéder au journal d’appel, avec l’arrivée des smartphones. Tuer devenait chaque année plus délicat. C’était devenue un art, destiné à une élite. Dont je faisais partie, malgré moi. Lorsqu’Eva aura disparu sans laisser de trace, sa famille et ses proches s’inquièteront, une enquête serait ouverte, alors je ne devais pas laisser entrevoir un quelconque lien entre nous et elle.
J’avais écrit à cette femme, encore une fois à son nom « Rejoins-moi au centre-ville, aussi vite que possible. On doit parler. »
Quand j'étais arrivée, elle m’avait tout de suite reconnue, à son regard qui était devenu d’un coup très craintif.
- Je le savais, elle avait soufflé.
- C’est vous Eva ?
Je m’étais avancée lentement jusqu’à elle, tandis qu’elle restait plantée ici, sans sourciller, pourtant, animée par une grande peur.
- Ecoutez… je crois qu’il faudrait que je m’en aille, d’accord ? avait-elle baragouiné, incertaine.
- Non, restez. N’avez-vous donc aucune dignité ? On va seulement parler.
La température était frigorifiante et tous les lieux publics étaient fermés.
- Dans la voiture. Et vite, ou je vais vraiment m’énerver.
Elle m’obéissait docilement.
- Il ne m’avait jamais vraiment parlé de toi, avant, tu sais, avais-je lancé, à l’intérieur.
J’activais le contact, direction les bois, mais surtout le lac.
- Ne tournez pas autour du pot, s’il vous plait. Vous me menacez, vous savez ça ? C’est interdit.
- Ah ! Mille excuses ! C’est la première fois que vous vous faites menacer, hein !
- Vous me faites flipper, Sofia. Il m’avait dit que vous étiez une femme gentille, prévenante et très résiliente, mais qu’il avait souvent la sensation de ne pas vous connaître. Je crois enfin le comprendre.
- Très bien donc vous saviez que j’existais, en fait. Dans ce cas, pourquoi de tous les hommes à Angers et sur terre même, pourquoi c’est sur mon mari que vous avez jeté votre dévolu ?
Elle n’avait pas répondu. J’essayais en vérité de la provoquer. Voir jusqu’où elle irait pour me faire peur à moi et comment m’atteindre. De toute façon, quoi qu’elle me dise, je n’allais pas la laisser quitter cette bagnole, saine et sauve. Elle allait mourir.
- Vous m’emmenez où là ?
- Chez moi. On va discuter tous les trois.
- Attendez… il…
- Non, alors ne vous avisez pas de le prévenir. Ou vous mourrez.
J’avais stoppé la voiture et fixé cette femme. Cette fois-ci, elle était réellement terrifiée.
- J’ai un couteau juste à côté de moi. Je vous promet que sentir une lame déchirer sa peau est d’une douleur extrême. Vous ne voulez pas le vivre.
- Je vous jure que je ferai rien.
- Je ne vous crois pas.
Elle avait fouillé, suffoquante sa poche et me l’avait tendu. Satisfaite, je l’avais jeté à l’arrière.
- Et l’autre ? Je sais que les avocats ont souvent un autre appareil sur eux. Ou vous voulez que je sorte mon appareil à moi.
Elle me l’avait jeté à la figure, sans concession.
- C’est bien.
Nous reprenions la route, toujours en silence. Bientôt, l’espace fut envahi par ses bruyantes et saccadés respirations. Elle savait que c’était la fin mais elle continuait de prier et d’espérer. C’était tellement pathétique.
Comme une mouche qu’on écrasait mal et qui peinait à avancer encore un peu pour se sauver mais dont la mort était inévitable.
- Vous n’avez pas répondu à ma question. Pourquoi mon mari ? Je sais… je sais que c’est facile de tomber amoureuse de lui. Il est gentil, à l’écoute, irrésistible…
- Sofia, je vous jure que s’il ne m’avait pas envoyé des signaux, j’aurai jamais rien tenté.
- Ça va être de sa faute, maintenant ?
- Je mens pas. Vous verrez quand on sera arrivé.
J’avais resséré mon emprise sur le volant, en m'efforçant de ne pas foncer sur un mur, pour la tuer. Elle savait qu’elle était dans la merde et elle essayait de se sauver, du mieux qu’elle pouvait.
- Ça tombe bien, on y est.
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