Chapitre 1 : Retrouvailles
Mes parents ne connaissaient pas la date exacte de mon retour. Moi-même, je ne l'avais déterminée que lorsque Laùrewen m'avait informée, par un messager, qu'elle serait de retour à la mi-Loïg. Dès lors, je m'étais fixée comme objectif de rentrer avant elle à Nekmek. Je voulais saluer mes parents en premier, eux avec qui j'avais surtout communiqué par lettres ces deux dernières années. Quant au Roi Krust, il ignorait tout de mon retour ce jour-là, et j'espérais bien lui faire la surprise. Il avait été bien plus qu'un simple mentor dans la maîtrise de mes pouvoirs, presque un troisième grand-père pour moi, tandis que ses fils étaient comme des frères. J'étais impatiente de les retrouver, de découvrir leurs évolutions, et de partager avec eux mes rencontres et mes aventures. J'étais revenue de mon périple, la tête pleine de souvenirs et d'expériences.
L'Arbre-Maison, cet immense chêne visible à des kilomètres, marquait l'entrée de Nekmek. À chaque pas qui me rapprochait, les bruits familiers de la cité et son odeur si caractéristique me ramenaient à ces années où tout avait commencé pour moi. Ici, la sécurité régnait en maître. Les sentinelles surveillaient constamment l'entrée et les alentours, assurant un quotidien paisible. Le Roi Krust, généreux et attentif, veillait à ce que personne ne manque de rien. Nekmek s'étendait autant sous terre que dans les arbres, grâce à la magie et à l'entraide des habitants.
Je me dirigeai vers la gauche de l'Arbre-Maison, là où mes parents avaient élu domicile lorsque j'avais sept ans. C'était à cette époque que mon don avait été découvert, et il avait été évident que je devais rejoindre l'école de magie pour apprendre à le maîtriser.
Mon père, Darian, continuait de cultiver le blé et l'avoine dans les champs que le Roi avait mis à disposition pour nourrir la cité, et au besoin, les autres royaumes. Homme de cœur, il utilisait sa maîtrise de la magie de l'eau pour garantir des récoltes abondantes, même en temps de sécheresse. Il dirigeait plusieurs équipes, permettant ainsi à chacun, homme ou femme, de trouver sa place dans ces métiers d'agriculteurs. Sa force tranquille et son dévouement envers sa famille et son travail faisaient de lui un pilier de la communauté, respecté de tous.
À chaque pas, je percevais les vagues d’émotions des personnes que je croisais. Les rires des enfants, légers et insouciants, me chatouillaient l'âme comme une brise d'été. Les conversations animées, teintées de contentement ou de légère inquiétude pour des détails du quotidien, formaient un écho vibrant dans mon cœur. Chaque sourire, chaque regard croisé, c'était une petite étincelle d’énergie qui se fondait en moi, un rappel constant que c'était ici que j'avais grandi, appris, et tissé des liens indéfectibles.
Ma mère, Selène, se trouvait sur le perron de notre maison, entourée d'enfants qu'elle amusait tout en réparant leurs habits avec une dextérité magique. Réputée dans toute la région pour son talent de couturière, elle était la douceur incarnée, un phare pour ceux qui cherchaient du réconfort.
Je m'arrêtai à quelques mètres pour l'écouter. Dès que je concentrai mes pouvoirs sur elle, je ressentis sa profonde satisfaction, son bonheur tranquille d'être entourée de ces enfants. Il y avait cette plénitude qui émanait d’elle, cette chaleur douce qui enveloppait son être. Mais derrière cette tranquillité, je sentais aussi une fine pointe de nostalgie, une petite douleur sourde à l’idée que je lui manquais. Mon cœur se serra un instant, avant que l'amour que je lui portais ne reprenne le dessus.
Lorsqu’elle termina de réparer un vêtement, elle s'autorisa une pause, et j'en profitai pour m'avancer. Au moment où nos regards se croisèrent, une vague d'émotions me submergea. Je sentis d'abord sa surprise, suivie immédiatement d'une joie pure, éclatante, comme un rayon de soleil après une longue nuit.
Je me précipitai vers elle et la serrai dans mes bras, canalisant toute cette affection, cette reconnaissance, que je ressentais, en la lui transmettant à travers notre étreinte. Elle m'avait tellement manqué.
— Tyana… murmura-t-elle, les larmes aux yeux. Tu es si belle… Quand ton père rentrera ce soir, il n'en croira pas ses yeux !
Je souris, touchée par ses mots et par l'onde d'émotion qui accompagnait chaque syllabe.
— Merci, maman. Que dirais-tu qu'on prépare un petit repas pour fêter ça ?
Je perçus immédiatement son assentiment, mêlé à l'enthousiasme et à une pointe de fierté, et nous nous dirigeâmes ensemble vers le marché pour choisir les ingrédients de notre dîner en l'honneur de mon retour.
En chemin, les émotions des gens qui me saluaient me parvenaient comme des notes de musique. Les éclats de bonheur de ceux qui me reconnaissaient, la curiosité teintée d’amusement de ceux qui me proposaient de marier leurs fils, et même la malice contenue dans les sous-entendus de certaines mères... tout formait une symphonie que je percevais avec une intensité qui m’avait parfois manqué lors de mes voyages. Ma mère, elle, était tout à la joie de me retrouver, mais aussi impatiente d’entendre le récit de mes deux années d’absence. Pourtant, je préférais garder mes histoires pour le moment où nous serions tous les trois réunis autour de la table, pour que la chaleur de la maison accompagne mes souvenirs. Elle comprit et me raconta alors tout ce que j'avais manqué ici et au château, partageant avec moi des fragments d'émotions liées à chaque événement.
Il devait être environ huit heures du soir quand la voix grave de l'homme de ma vie résonna à l'entrée :
— Est-ce que les rumeurs que j'entends sont vraies ?
Un mélange de curiosité et de léger doute m'envahit à travers lui, mais c'était surtout l'amour et l'excitation qui s'en dégageaient.
Ma mère m'adressa un regard complice, pétillant d'une malice partagée :
— Je ne sais pas, quelles rumeurs ? répondit-elle en pouffant de rire.
Je me précipitai vers l'entrée et, dès que je pus, je me jetai dans ses bras. L’étreinte de mon père, forte et rassurante, me renvoya une vague de soulagement et de joie intense. Ces émotions familières, rassurantes, se mêlaient à la mienne, créant une harmonie parfaite, une connexion profonde qui m’avait tellement manqué durant ces deux années.
— Le dîner est prêt, papa. Viens t'installer, sinon je sens que maman va finir par devenir folle d'impatience, lui dis-je en riant doucement, ressentant cette légère impatience qu’elle tentait de masquer.
Mon père sourit, et je sentis toute la fierté qu’il avait pour moi s'amplifier, tandis qu'il s'installait à table. Nous le rejoignîmes pour trinquer et savourer notre repas.
Ce dîner fut un tourbillon d’émotions. À chaque question, chaque éclat de rire, je pouvais ressentir la curiosité insatiable de mes parents, leur fierté à peine contenue, et leur bonheur simple de me voir enfin rentrée. Ils écoutaient attentivement chacun de mes récits, assoiffés de détails, leur énergie débordante et enthousiaste renforçant la mienne. Lorsque mon père se leva pour débarrasser la table, le clocher du temple sonna minuit. Nous n'avions pas vu le temps passer, trop absorbés par le bonheur de nos retrouvailles.
Alors que nous continuions à discuter en faisant la vaisselle, je perçus une légère tension chez mon père, une inquiétude qu'il tentait de cacher derrière un masque de tranquillité.
— Penses-tu aller voir Krust avant le retour de Laùrewen ? demanda-t-il finalement.
Son ton me fit froncer les sourcils. Il y avait quelque chose qu'il ne me disait pas, mais je sentais aussi ce bouclier émotionnel qu'il avait dressé pour empêcher que je le sonde trop profondément. Il avait appris, avec le temps, à se protéger de mes perceptions, tout comme le Roi Krust.
— Oui, je comptais y aller demain matin, ou du moins, demander à le voir s'il est disponible. Pourquoi ? demandai-je, inquiète malgré moi, car ce que je ne pouvais pas percevoir éveillait toujours en moi une certaine appréhension.
— Il semblait préoccupé la dernière fois que nous nous sommes vus. Je n'ai pas réussi à lui tirer les vers du nez. Peut-être que toi, tu pourrais le convaincre de se confier. Tu as toujours su comment obtenir des réponses de lui, même quand il était réticent, dit-il en roulant des yeux. Peut-être qu’il se sentira plus à l’aise avec toi.
Je baissai les yeux, hésitante. J'avais toujours évité d'utiliser mon pouvoir sur le Roi sans son consentement, car je savais à quel point il tenait à son intimité.
— Tu sais, papa, je ne veux pas qu'il se sente obligé de me dire des choses qu'il souhaite garder pour lui. Et tu sais aussi que je ne le sonde pas, même involontairement, je respecte ses frontières, dis-je doucement, sentant sa tristesse mêlée de fierté pour moi.
Il me sourit, un sourire empreint de mélancolie, mais aussi d'un amour indéfectible.
— J'essaierai de voir ce que je peux faire, promis-je.
— Merci, Tyana, dit-il en s'approchant pour m'embrasser le front, un geste chargé d'affection et de gratitude que je ressentis au plus profond de mon être.
Nous nous installâmes ensuite dans le salon, sur les poufs que maman avait confectionnés il y a des années. Autour d'un verre de liqueur de fleurs de sureau, nous continuâmes à discuter, partageant des fragments de nos vies, unis par des émotions si intenses et si profondes que les mots seuls ne suffiraient jamais à les décrire.
Finalement, après de longues discussions, je leur souhaitai une bonne nuit et me dirigeai vers la salle d'eau, où l'eau courante, installée par les artisans de Gröhm, facilitait notre quotidien.
Une fois dans ma chambre, je pris mon carnet pour noter chaque détail de cette journée. Puis, je préparai mes affaires et mon esprit pour le lendemain, prête à affronter le Roi Krust et ses fils, que j'allais enfin revoir après tout ce temps.
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