Chapitre 2 : Disparition
Lorsque je me présentais devant les portes de la résidence du Roi de Nekmek, l’un des gardes me reconnut et me fit entrer, m'accompagnant jusqu'au salon de réception des invités. En chemin, il engagea la conversation, me demandant des nouvelles des lieux que j'avais visités.
En pénétrant dans le salon, les couleurs vives et les nuances de vert ravivèrent en moi le souvenir de la beauté de ce lieu. La brise matinale qui s'insinuait par les fenêtres me détendit, apportant avec elle l'odeur fraîche et réconfortante de l'humidité des arbres et de la mousse. Je soupçonnais Rowan de manipuler la magie pour que la demeure soit perpétuellement imprégnée de cette senteur, en souvenir de sa mère défunte.
Le garde me demanda de patienter pendant qu'il informait la gouvernante, qui devait à son tour prévenir le Roi de ma présence. Je m'assis sur l'un des sofas et me concentrais sur ce qui m'entourait. J'essayais de percevoir les multiples vies animales qui habitaient l'Arbre. En même temps, je sentais les présences des personnes résidant dans ce palais. Habituellement, seuls les membres de la famille royale, leurs amis et les serviteurs loyaux vivaient ici. Il fallait des circonstances exceptionnelles pour que les membres du conseil se déplacent jusqu'à cette demeure, car la plupart des réunions et des entrevues avec le peuple de Nekmek se tenaient dans une grande salle, entre l’école et la bibliothèque.
Je me permis de sonder mentalement les environs pour savoir si les garçons étaient dans les parages. Je ne trouvais qu’Abelord, l’aîné de la fratrie, qui semblait travailler dans le Salon d’État.
C’est alors qu'un bruit me sortit de ma méditation. En revenant à moi, je découvris que c’était Krust qui arrivait. Je coupai immédiatement mon pouvoir pour ne pas le sonder, car je lui avais juré de ne plus jamais le faire après avoir acquis le contrôle de mes capacités.
Je me levai, et lorsqu’il entra dans la pièce, il sourit et ouvrit les bras, dans lesquels je me précipitai pour l’enlacer.
« Ma chère petite fille… » murmura-t-il en humant mes cheveux. « Tu sens la nature, et tu rayonnes de beauté. »
Sa voix grave et légèrement rauque réchauffa mon cœur. Il avait vieilli durant ces deux dernières années. J'avais moi-même changé, mais je voyais que c’était l'anxiété, bien plus que la fatigue, qui avait laissé des marques sur lui.
« Je suis si heureuse de te revoir, Krust. J'espérais ne pas tomber sur un jour de conseil, mais la chance est avec moi », dis-je.
Je remarquais une petite ride, si fugace, apparaître sur son front, ce qui m'indiqua qu'il était préoccupé.
« Que se passe-t-il ? Je vois bien que quelque chose te tracasse », ajoutais-je en levant les mains, pour ajouter rapidement : « Non, je ne t'ai pas sondé, je le lis simplement sur ton visage. »
Il soupira, et je vis ses épaules s'affaisser. Il me tourna le dos en me faisant signe de le suivre.
« Viens, allons au Salon. Je vais demander qu'on nous apporte des boissons et des en-cas pour discuter de tout cela. »
Je le suivis, et mon regard se posa sur les portraits accrochés ici et là. Je constatais que les plus jeunes de ses fils, Allard et Rowan, avaient bien changé et gagné en maturité. Malgré leur adolescence, ils étaient aussi beaux que leurs frères aînés. Je ne vis cependant pas de nouveau portrait d'Anselme, ce qui me fit supposer qu'il ne donnait toujours pas beaucoup de nouvelles à son père. Je me permis tout de même de lui dire :
« Toujours pas de nouvelles d'Anselme, d’après ce que je vois ? »
« Hum ? Si, nous échangeons de temps en temps, mais surtout pour des informations depuis Baldüm, bien plus que pour des affaires familiales. »
Je percevais dans sa voix la peine que cela lui causait, mais aussi une certaine résignation. Étant fille unique, je n’avais pas ce genre de souci, mais je pouvais comprendre la position d’Anselme, qui, en tant que second, pouvait être déçu de sa place. Même si Krust et Sandrine avaient pris soin de lui comme de l’aîné et des suivants, tout le monde n'accepte pas aisément sa situation.
Je sortis de mes pensées lorsque nous entrâmes dans le Salon d’État. Cela faisait bien plus de deux ans que je n’étais pas entrée dans cette pièce. Nous y jouions à cache-cache quand nous étions plus jeunes, pendant que Krust et Abelord étaient en réunion avec le conseil à la Chancellerie. Je ne pus retenir un sourire nostalgique en repensant à toutes nos heures de jeu ici.
Je vis justement Abelord penché au-dessus du gigantesque bureau en forme de croissant de lune, sur lequel étaient étalés des papiers et des cartes d’Elarea. Ce dernier n'avait ni femme ni enfant, et cela lui convenait parfaitement pour le moment. Il était présent en tant que second du Roi, mais le peuple de Nekmek le respectait déjà comme s'il était Roi. C’était lui qui se rendait dans le reste d’Elarea pour rencontrer les autres Rois et Reines et qui parlait au nom de Krust lors des visites officielles à Baldüm, la capitale. Il releva la tête lorsqu'il nous entendit arriver, et son regard changea en se posant sur moi. Il m’avait éduquée comme ses frères, il avait été là pour moi et pour mes parents. Il vint à ma rencontre pour me serrer dans ses bras et déposer un baiser sur mon front.
« Te voilà de retour ? Tu dois avoir tant de choses à nous raconter ! »
Je confirmai d’un signe de tête.
« Oh que oui ! Mais je pense que nous avons un sujet plus urgent à aborder, n'est-ce pas ? »
Je me penchai sur le côté afin de regarder Krust, qui demandait à un valet de nous apporter de quoi nous sustenter, avant de s’asseoir en se frottant le front, las.
Abelord retourna à ses documents pour en ramasser une dizaine et me les tendit. Je pus voir qu’il s’agissait de notes militaires, mais, ne maîtrisant pas leur jargon, je relevais la tête vers Abelord pour lui demander silencieusement la signification de tout cela. Je pouvais voir les sceaux des autres cités, celles dotées de groupes militaires, mais je n’en comprenais pas plus.
« Nous ne pouvons pas tout te divulguer, tu comprends bien », commença Abelord. « Mais il se trame quelque chose à Valküm, et nous ignorons complètement de quoi il s'agit. Nous avons perdu la trace de Balzuk depuis de nombreux mois, et même nos espions n'ont aucune idée d'où il pourrait se cacher. »
Je me figeai. Balzuk, celui qui avait déclenché la guerre des Hommes il y a 569 ans. Nous pensions que, depuis tout ce temps, il serait mort. Aucun homme ne peut vivre si longtemps. Seuls les peuples de Jawka et Jigma peuvent vivre des centaines d’années. Nous savions qu'il était affaibli, à la fois par son âge et par les assauts qu'il avait lancés au fil des siècles, que les Rois et Reines avaient repoussés avec bravoure et fermeté. S'il avait disparu...
« Pensez-vous qu'il est mort ? Ou trop affaibli pour se montrer ? » demandais-je.
« Aux dernières nouvelles, lors de sa disparition, ses troupes sont restées à Valküm, protégeant l’île de toute intrusion. Mais plus aucun bateau n'est affrété, et aucune attaque n’a été signalée, nulle part sur Elarea. »
« Comment est-ce possible ? » J'étais choquée par ces nouvelles. Cela pouvait être la meilleure comme la pire des nouvelles.
Krust se leva pour m'apporter un thé vert fumant et prit la parole :
« Nous ignorons ce qui se passe. C'est pourquoi nous rappelons nos plus grosses unités pour qu'elles puissent se reposer et reprendre des forces. Nos armées sont restées bien trop longtemps éloignées de leurs foyers. C’est pour cela que nous formons nos soldats avec plus de rigueur et que nous poussons les jeunes recrues à travailler tant leur endurance magique que physique. »
« Les autres cités font-elles de même ? »
« Oui, nous en avons discuté il y a quelques mois pour que chaque garnison soit équilibrée. Même les peuples qui n’ont jamais eu d’armée très développée pour les grandes guerres ont commencé à mettre en place des entraînements militaires », me répondit Abelord.
Je déposais les documents sur le bureau et allais m’asseoir, le thé fumant entre les mains, sidérée par ces nouvelles. Pourquoi devrions-nous continuer à nous préparer à combattre si le Grand Seigneur des Enfers a disparu ? Que cela pouvait-il bien signifier ?
Krust vint poser une main réconfortante sur mon épaule et pressa légèrement ses doigts.
« Nous essayons de préserver le peuple du mieux que nous pouvons, mais malgré nos échanges par courrier ou par messagers, le renforcement de nos entraînements commence à faire jaser dans certaines cités. Nous devrions bientôt annoncer la nouvelle, mais nous essayons de trouver la meilleure façon de le faire. Une fois cela accompli, la culpabilité de cacher quelque chose à mon peuple disparaîtra, et je pourrai relâcher mes vieux nerfs. »
Annotations
Versions