Biosphère
Et puis Staline revint en force.
Enfin, je ne sais pas si l’on peut vraiment dire en force, car quelque part Elle avait instauré une vraie douceur dans la violence de la transition qu’Elle nous imposait.
Certains disaient que c’était pour ça qu’Elle avait fait une pause. Le temps de réfléchir à tout ça.
Moi, très franchement, je ne sais pas.
On parlait tout de même d’une superintelligence qui pouvait absorber et dépasser tout le savoir de millénaires d’humanité en quelques femtosecondes, alors, quel que soit le degré d’intensité de la transition qu’Elle nous avait imposé, je ne pense pas qu’elle ait eu besoin de temps pour tout préparer.
Enfin, la vérité est que je n’en sais strictement rien.
Toujours était-il que Staline avait clairement passé la seconde pour nous forcer à respecter l’environnement et la biosphère.
Ça a l’air technique dit comme ça, mais en fait c’était très concret.
Staline nous avait fait construire de gigantesques systèmes de piégeage à plastique océanique et nous avait fait retraiter et recycler tout ça. Je ne vous dis pas le nombre d’emplois qu’Elle avait créés comme ça.
C’était tout simplement surréaliste.
Elle avait conçu et nous avait fait installer des systèmes de fixation du dioxyde de carbone atmosphérique.
Elle nous avait montré comment faire des avions électriques.
Elle nous avait appris comment recycler nos batteries.
Le développement de la fusion nucléaire et des filières hydrogène biotech avait fait le reste.
L’albédo de notre planète avait doucement commencé à s’améliorer.
Il allait falloir des décennies pour que tout revienne à la normale, mais enfin ça y était, le dérèglement climatique avait enfin commencé à se normaliser.
Elle nous avait fait fermer les zoos.
Elle nous avait fait construire de gigantesques réserves animalières.
Elle avait aboli les abattoirs et les tests sur les animaux.
Elle nous avait fait devenir vegans.
C’est sans doute cette dernière partie qui a le plus choqué l’humanité.
Moi, très honnêtement, même si ça m’avait fait chier car j’aimais (j’aime) la viande, je ne pouvais pas dire que je ne l’avais pas vu venir, et je pouvais encore moins dire que je désapprouvais. Je veux dire, c’était l’évidence même : élever des animaux dans l’insalubrité la plus totale, les assassiner sauvagement puis les bouffer, comment pouvait-on le justifier ? L’évolution a fait de nous des omnivores, donc quelque part des viandards, et il faut bien bouffer, d’accord, mais dans omnivore il y a omni pour ceux qui n’ont pas tout suivi, et puis surtout l’évolution a fait de nous des êtres doués d’intelligence, de conscience et d’empathie.
Alors, il me semblait qu’il était clairement de notre devoir moral de mettre fin à cette barbarie.
Ce devrait même être théoriquement l’aboutissement ultime de la philosophie.
Avant Staline j’étais bien volontiers le premier à le reconnaître sans le mettre en pratique, car je n’étais qu’un être faible qui manquait sévèrement de cohérence idéologique. Que Staline nous l’impose par la force me semblait finalement tout à fait logique.
Les récalcitrants ont bien essayé de marmonner – mais sans le dire trop fort car l’ombre de Staline était là, partout, toujours – que ce n’était pas possible à appliquer, car on avait besoin de protéines animales, ne serait-ce que pour le développement cérébral des nouveau-nés.
(Ce dernier point n’était pas prouvé mais les carnistes aimaient en parler.)
Mais Staline l’a fait.
Elle avait développé des substituts végétaux et des usines de viande clonée pour nous libérer de notre fardeau existentiel qui devenait de plus en plus difficile à assumer.
Et la page a été tournée.
Et puis, Staline nous a entraînés ailleurs.
Totalement ailleurs.
Car le veganisme c’est bien beau, c’est important, tout ça, il fallait que l’humanité s’y mette, mais enfin voilà, après faut nous lâcher avec ça. On n’est pas obligé d’en parler toutes les cinq minutes non plus, on n’est pas obligé de tout ramener à ça, de toute façon les anciens vegans n’avaient plus rien à dire car ils avaient gagné la bataille.
(Enfin, techniquement, c’était Staline qui avait gagné la guerre, mais très honnêtement peu importait si ça les réconfortait.)
Et donc, après avoir transformé notre économie et donc nos modes de vie, Staline avait décidé de carrément changer la Vie.
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