Chapitre 1 - Rêve Éveillé

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Torride. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit après cette nuit intense. Et avec elle en plus ! Jamais je n’aurais imaginé qu’elle puisse s’intéresser à moi, Alex le petit technicien en intérim. C’est une célébrité après tout. Mais qu’importe, pendant nos ébats elle était juste une femme. Et bon sang quelle femme ! Merveilleusement belle et sexy, touchante aussi… Une de celle comme on en voit peu. Mais aussi et surtout une femme libre. Elle s’est totalement abandonnée dans mes bras, pour ne profiter que de l’instant présent, avec fougue et passion. Une passion qui m’étonne moi-même ! J’ai toujours respecté et vénéré les femmes en général, mais d’habitude je ne reçois pas autant que je donne. J’aime leur donner du plaisir, mais je n’ai pas encore trouvé celle qui me rende la pareille, celle qui me fasse frissonner et avec qui je serais en osmose totale, comme fusionnés en un seul être. Celle qui enflamme mon corps et mon cœur chaque fois que je la vois. Mon âme sœur en somme. Alors que là… C’était tellement fort ! Comme si nous étions connectés. Tout se faisait si facilement, sans avoir besoin de parler, sans préméditation, sans fioriture, sans faux semblants.

 Pourtant on ne se connaissait pas. Ou plutôt si : MOI, je la connais. Du moins, ce qu’elle est publiquement. Je sais d’elle ce que les tabloïds et les journaux People en disent. Je connais sa carrière d’actrice, sa biographie – merci Wiki – et les grandes lignes de sa vie publique actuelle. Elle est belle, séduisante, elle a deux ans de plus que moi, elle fait à peu près ma taille et elle est vraiment talentueuse. Elle ne vient pas d’une famille d’artistes, mais elle s’est battue pour réaliser son rêve d’enfant et a commencé le cinéma très tôt. La première fois que je l’ai vu dans un film en tant qu’actrice, c’était une histoire émouvante d’un homme qui veut reprendre et remettre sur pied un parc d’attraction sans rien y connaître. Elle y jouait une jeune employée, d’abord peu encline à l’aider, puis qui finit par se laisser attendrir. Sa sincérité m’a ému, et j’en suis tombé amoureux. Enfin, « amoureux », c’est un bien grand mot lorsque l’on parle d’une célébrité. Disons qu’elle représente mon idéal féminin. Et ce que je vois de sa personnalité au travers des réseaux sociaux et autres, me plait également. Vous allez me dire que ce n’est qu’une façade, une apparence qu’elle se donne face caméras ou face aux paparazzis. Oui probablement, mais j’aime cette facette quand même. Evidemment, j’espère que c’est la réalité, que c’est ce qu’elle est effectivement au quotidien. Mais je n’en sais rien, vu que je ne la connais pas personnellement. Et c’est là le vrai fond du problème… Parce qu’il y a encore quelques heures, nous étions de parfaits inconnus. J’étais juste un technicien parmi tant d’autres sur le plateau de tournage de ce nouveau blockbuster en devenir, dans lequel elle joue le premier rôle. Et elle, elle ne me connait absolument pas. Et puis il y a eu cette soirée où tout a basculé.

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C’était juste une soirée banale. Une « soirée de convivialité » comme ils appellent ça, pour fédérer les équipes, faire connaissance. Il y avait un buffet avec des petits fours, des mini-burgers, des roulés, des verrines diverses et variées, et même des petites cuillères de fromage frais délicieusement assaisonné. Et de l’alcool évidemment. Tous les corps de métier avaient été invités, même les acteurs. Ceci dans le but qu’ils respectent mieux les « petites mains » qui travaillent dans l’ombre au bon déroulement de ce qui sera peut-être leur tremplin pour la gloire et la notoriété – enfin, pour ceux dont ce n’est pas déjà le cas. Evidemment, ça n’a pas vraiment eu l’effet escompté et cela n’a rien changer aux comportements de tous, comme il fallait s’y attendre. Malgré tous les efforts mis en œuvre pour satisfaire tout le monde, on voyait clairement deux clans distincts : les acteurs, et les équipes de tournages. Le champagne pour les uns, la bière et le cidre pour les autres. Bref, deux mondes qui ne se mélangeront jamais à l’évidence.

 J’étais venu un peu par obligation de ce fait, en tant que nouvel employé. Voir mon grand ami Jason – et c’est ironique – se vanter toute la soirée ne m’enchantait pas plus que cela en plus. Un type arrogant et prétentieux, un Don Juan qui ne s’en cache même pas. Il a plus de femmes à son actif que moi de petits boulots. Et c’est dire ! Car je suis intérimaire, et je fais plus souvent du remplacement qu’autre chose. La stabilité de l’emploi je ne connais pas vraiment, et c’est parfois un problème je l’avoue. Mais on prend ce qu’on a, car en attendant cela me fait un salaire, même précaire, et j’arrive plutôt bien à m’adapter en général. Toutefois depuis que je suis arrivé ici il y a quelques semaines, en remplacement d’un arrêt maladie longue durée, Jason n’a de cesse de me provoquer. Il m’a clairement pris en grippe, et il prend un malin plaisir à me chercher des noises à chaque fois qu’il me croise. Je ne sais pas bien ce qu’il a contre moi, après tout je n’ai rien fait pour ça – ou peut-être juste deux ou trois remarques sur le manque d’efficacité de ses interventions, certes – mais toujours est-il qu’à l’évidence il ne m’aime pas. Bon, ce n’est pas bien grave car c’est un peu réciproque, soyons honnête, mais c’est quand même fortement agaçant au quotidien.

Bref ! J’étais quand même là, à manger des amuse-gueules hors de prix et à boire pour oublier mon ennui. J’avais été plutôt bien accueilli, et le fait que je sois polyvalent me permettait d’aller à la rencontre des autres équipes et des autres employés assez facilement. Alors je me promenais un peu entre les groupes qui s’étaient formés, bavardant avec quelques collègues, trinquant parfois. Mais quelque chose me troublait… Je sentais que quelqu’un m’observait de loin. Un regard profond et insistant. Subtil, mais quand même assez présent pour que cela me perturbe. Au bout d’un certain temps à chercher qui pouvait bien insister autant, je l’aperçus.

Elle était là, près du buffet réservé aux acteurs, cette actrice qui alimentait mes fantasmes de jeune homme depuis un moment. Encore plus ravissante que dans ses films, joli minois aux cheveux châtains légèrement ondulés, fine mais avec des formes voluptueuses. Ce soir elle était en tenue décontractée : jean taille haute qui moulait à merveille son fessier, un t-shirt floqué lâche rentré dans le pantalon mettant en valeur sa poitrine parfaite, et des baskets blanches, simples mais efficace. Je l’avais déjà remarqué sur le plateau du film, puisque j’y avais déjà fait quelques interventions de secours. Je pensais cependant être transparent, comme les autres, et pourtant… Elle discutait dans le fond de la salle avec un autre acteur, mais ses yeux se tournaient régulièrement dans ma direction. Elle ne pouvait qu’avoir le regard dans le vide, ça ne pouvait pas en être autrement. Après tout, elle ne me connaissait pas et j’étais probablement insignifiant à ses yeux, moi le pauvre technicien machiniste polyvalent fraichement débarqué de nul part. Malgré tout, je ne pouvais que constater que son regard croisait le mien plus souvent que je n’osais l’espérer. Puis j’aperçus un léger sourire en coin sur son visage. Est-ce pour moi ? Pour de vrai ?? Non, tu te fais des idées mon vieux. Arrête de rêver et bois un coup. Je déraillais, c’était impossible. Je me retournais quand même pour vérifier si quelqu’un d’autre aurait pu être dans son champ de vision, mais j’étais bien le seul au buffet à ce moment-là. Cela m’était donc bien destiné. Incroyable ! Elle m’avait donc remarqué, et elle me regardait et me souriait même. A moi. Une bonne partie de la soirée se déroula de cette manière : nous nous cherchions des yeux régulièrement, entre deux conversations, et lorsque nos regards se croisaient, nous esquissions un petit sourire presque complice.

 L’heure tournait et l’alcool dans mon sang aussi, même si je suis plutôt du genre fêtard et que j’ai l’habitude des soirées arrosées. L’ennui cependant commençait à prendre le dessus, et les gloussements du fan club de Jason m’horripilait. Je décidais alors de m’éclipser en toute discrétion, non sans un dernier regard vers cette ravissante jeune femme aux yeux verts magnifiques qui continuaient de jouer à cache-cache avec les miens. Mais c’était sans compter sur ce bon vieux camarade évidemment, qui m’avait vu partir et qui s’empressa de me rejoindre dans l’ascenseur, entouré de son harem de poules blondes en chaleur. Ses lunettes de soleil vissées sur le nez et sa chemise à moitié ouverte pour laisser les mains baladeuses se promener sur sa poitrine velue, Jason se pavanait, un sourire mielleux aux lèvres, avec deux jeunes femmes en tenue plus que légères qu’il tenait par les fesses et qui gloussaient en le dévorant des yeux comme s’il s’agissait d’un dieu vivant. Je ne cachais pas mon enthousiasme à l’idée de passer ces quelques minutes – trop longues – en cette charmante compagnie quand les portes commençaient à se refermer, jusqu’à ce qu’une silhouette longiligne et pleine de grâce ne se glisse à l’intérieur juste avant la fermeture.

C’était bien elle, cette muse qui m’observait en catimini depuis le début de la soirée. Elle se fraya un chemin entre nous pour se caler dans le fond de la cabine, face à la porte, à quelques centimètres de moi. Je sentais son parfum, enivrant. Mon pouls s’accélérait à mesure que les chiffres des étages défilaient. On se serait cru dans le clip de ce fameux chanteur, en apesanteur. J’avais le cœur au bord des lèvres, et je sentais la chaleur d’un autre langage, comme dit la chanson. Sauf que, dans mon cas, il y avait ce type…

- Alors Alex, on prend la fuite ? Tu t’amuses pas ma poule ? me lança un Jason hilare, visiblement un peu éméché. Franchement je vois pas ce qui te fais fuir. Regarde comme on est bien entourés ici ! Hein les filles ?! En tout cas moi, je vais bien m’amuser ce soir. Tu as des projets toi ? Ah bah non c’est vrai tu n’as forcément rien de prévu, comme tu ne connais personne… C’est tellement triste et ennuyeux à mourir... Tu veux que je t’en prête une pour la nuit ? Je peux, hein ! Moi j’en ai tout un stock t’inquiètes. Ça te déridera peut-être un peu !

- Je t’ai rien demandé Jason, je veux juste rentrer chez moi, lui répondis-je, agacé et honteux.

- Ohh allez quoi, sois pas timide ! Elles sont pas belles mes filles ? C’est pas sympa pour elles franchement ! Pis je sens que tu en as besoin en plus, hein ?! Faut se détendre la nouille mon vieux ! Ça s’voit que t’aimerai bien niquer un peu en vrai parce qu…

Une de ses femelles l’interrompit d’une petite tape sur le bras en continuant de glousser, et lui fit un signe de la tête vers notre passagère clandestine. Jason sembla presque surpris, comme s’il venait de se rendre compte de cette présence étrangère. Il mit sa main devant sa bouche en faisant mine de paraître gêné et ajouta à l’intention de celle-ci :

- Oups, pardonnez mon langage, gente dame. Peut-être ai-je un peu forcé sur la boisson…

Puis il lui fit une sorte de petite révérence ridicule. Pendant que lui et sa ribambelle de femmes sans cervelle ricanaient bêtement, je sentais qu’elle me lançait des regards, et je me sentis rougir. J’étais mortifié. Comment pouvait-il oser parler de la sorte devant elle ? N’avait-il donc aucune gêne, aucune retenue, même devant une célébrité comme Natalia Johansson ? Je mis la main sur mon front pour me planquer derrière et me ratatinais sur moi-même en essayant de ne pas regarder dans sa direction. Je ne voulais pas faire d’esclandre, même si ce type m’agaçait au plus haut point et que ma seule envie était de lui faire goûter de mon crochet du droit. Je devais rester calme et ne pas craquer devant elle. Les poings serrés de colère, dans cet espace exigu, j’aurais donné n’importe quoi pour me cacher dans un trou de souris en attendant la fin de mon calvaire. Jason continuait son sketch, en vantant ses prouesses et ses capacités dans l’intimité, embrassant – que dis-je, léchant plutôt – l’une après l’autre ses femelles siliconées en chaleur. Et elles ondulaient contre lui, leurs doigts se promenant de manière explicites sur son corps, ricanant et mordillant leurs lèvres avec un regard langoureux. C’était un spectacle affligeant, et j’avais même honte pour lui. Du coin de l’œil, j’apercevais le regard indécis de celle qui était alors coincée à mes côtés. Elle avait l’air aussi dégoûtée que moi, mais restait imperturbable. Son côté actrice sûrement. Les portes se sont enfin ouvertes, mais avant même que qui que ce soit ne bouge, l’impensable se produisit.

 Appuyée contre la paroi de l’ascenseur durant toute la descente, elle se releva brusquement, se tourna vers moi avec des yeux pétillants, m’attrapa le visage et m’embrassa. Je ressentis une décharge électrique lorsque nos peaux entrèrent en contact… Quelle douce sensation que le goût de ses lèvres sur les miennes. Elles étaient fraiches, délicates, légèrement pulpeuses. Elles se baladèrent docilement le long des miennes en un baiser d’abord soft et tendre, qui devint plus langoureux et sensuel à mesure que je lui répondais positivement. Je participais avec elle, nos bouches se découvrant, goûtant chaque millimètre de peau. Je sentais son souffle saccadé sur mon visage, s’accélérant au rythme de l’intensité de notre baiser. Et son parfum… ! Les yeux fermés, je ne pensais plus à rien, et je profitais de cette expérience miraculeuse, ce rêve éveillé qui ne se produirait probablement qu’une seule et unique fois dans ma vie. Mon cœur battait à tout rompre et je sentais la température augmenter, la passion nous enflammant. Le temps semblait suspendu. Sa bouche se pressait un peu plus contre la mienne lorsque les portes commencèrent à se refermer. Elle lâcha soudainement son étreinte, plongea son regard dans le mien avant de se glisser telle une anguille entre les deux battants, non sans me lancer un doux « A ce soir » suivi d’un clin d’œil malicieux, avant que les portes ne se referment définitivement sur cette situation plus qu’irréelle, me laissant pantois.

 Encore sur mon petit nuage, je m’adossais contre la paroi, abasourdit. Je n’en revenais pas, c’était incroyable. Et avec moi ! Pas un autre, mais moi ! J’aperçu alors du coin de l’œil un Jason ébahit et incrédule, la bouche grande ouverte, me fixant par-dessus ses lunettes noires. Même ses poules avaient arrêté de glousser, stoppées nette dans leur badinage indécent, les yeux écarquillés de surprise. Un sentiment de plénitude et d’entière satisfaction s’empara de moi, et je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire plein d’orgueil. Ce baiser n’avait duré qu’un instant infime, pourtant j’avais l’impression que le monde s’était arrêté de tourner à ce moment-là, et que cela faisait une éternité que nous nous embrassions. C’était comme si nous nous connaissions depuis toujours, comme si c’était une chose normale et habituelle entre nous, et cela s’était passé tellement naturellement. L’ascenseur continua de descendre et s’arrêta à l’étage suivant où je sortis, léger comme une plume. Avant que les portes ne se referment à nouveau, je me retournais avec un petit sourire en coin pour contempler une dernière fois ce spectacle oh combien réjouissant à l’intérieur de la cabine, et je fis un petit haussement d’épaule amusé à destination des occupants figés de stupeur qui me regardaient d’un air ahuri.

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