Chapitre 6 - L'Accord Tacite
Et c’est ainsi que notre relation a commencé. Je ne sais jamais quand elle va débarquer, je vis au rythme de ses visites inopinées, même si j’espère chaque soir qu’elle sera là. Je suis parfois déçu, surtout quand elle espace un peu trop longtemps nos moments ensemble et que je me retrouve alors à attendre une semaine complète sans la voir. Durant ces périodes, j’en viens même à imaginer qu’elle regrette et qu’elle ne revienne plus. Et finalement elle m’attend de nouveau un soir, quand je n’y crois plus. Mais qu’importe, je m’en contente et cela me convient. Car lorsqu’elle est là, c’est encore et toujours la même passion, toujours la même intensité et la même connexion entre nous, le même désir profond et charnel qui nous transporte et nous fait grimper au septième ciel. Nous ne faisons plus qu’un.
J’ai fini par m’habituer à nos rendez-vous sans préavis. Quand je rentre le soir et que j’insère la clef dans la serrure, je sais aussitôt si elle m’attend ou non : Si ma porte s’ouvre sans avoir besoin de la déverrouiller, je sais que la nuit va être torride. Et l’on se retrouve alors comme au premier jour. Parfois même elle vient déguisée, histoire de pimenter la soirée. C’est très amusant et cela augmente un peu l’excitation il faut l’avouer, – surtout lorsqu’elle vient en Catwoman ou en infirmière sexy par exemple ! – mais je la préfère au naturel et sans artifices. Car dans ce cas, elle est elle-même, et c’est là qu’elle est la plus belle et la plus sensuelle à mes yeux. Nous avons baptisé à peu près toutes les pièces de la maison maintenant, et je connais ses formes par cœur. Je ne m’en lasse absolument pas, j’ai même l’impression que c’est réciproque. Je me donne toujours autant pour son plaisir, et elle s’offre toujours autant à moi, avec tendresse et passion. Nous n’avons pas besoin de parler, tout se fait si facilement.
De toute manière, que ce soit dans l’intimité ou au quotidien, on s’adresse à peine la parole, ou juste le strict minimum lorsque l’on se croise durant mes interventions sur le plateau de tournage où elle est, ou dans les couloirs lors des différentes pauses de la journée. La plupart du temps, il s’agit plutôt de simples politesses d’ailleurs. Même s’il arrive que nous échangions quelques regards, parfois accompagnés d’un sourire complice, mais dans l’ensemble on évite. Car c’est vrai, il faut l’avouer, que lorsque nos yeux se croisent, la tension peut très vite être palpable. Mon cœur s’emballe comme lorsque nous nous retrouvons le soir, alors je dois lutter pour ne pas craquer et avoir un geste ou un sourire un peu trop équivoque qui pourrait nous trahir. Je sens qu’elle en fait de même, car je vois dans ses yeux que son désir est aussi fort que le mien. Il se peut cependant que nos mains se frôlent par mégarde, lorsque je règle le matériel d’une des scènes à laquelle elle participe par exemple. Dans ce cas nous restons à bonne distance afin que cela ne dégénère pas, car ma pression sanguine peut augmenter à une vitesse folle et cela peut très vite se voir. Les autres ne peuvent cependant ressentir qu’une forme de gêne entre nous grâce à nos efforts conjoints. Et heureusement d’ailleurs, car il ne faut absolument pas éveiller les soupçons. D’autant qu’il y en a un qui me surveille de très près maintenant !
Depuis notre dernière conversation, Jason est de plus en plus sur mon dos. Il a décrété qu’il me démasquerait, et il donne effectivement toute sa personne pour essayer de me piéger. Il me suis partout, en me regardant du coin de l’œil d’un air soupçonneux, les sourcils froncés. Je ne peux plus travailler tranquillement sans qu’il soit présent. J’ai l’impression de passer un examen à chaque intervention tellement il m’observe avec insistance, pensant probablement déchiffrer la vérité dans un de mes gestes ou une de mes expressions faciales. Jusqu’à venir dans les toilettes en même temps que moi pour vérifier en dessous des portes que je sois bien seul dans la cabine ! Par moment je sifflote ou je lui lance un « bonjour », pour bien montrer que je ne suis pas en train de rouler une galoche à quelqu’un, et me moquer un peu de son petit manège au passage. Il fait mine alors de se laver les mains, et repart comme si de rien n’était. Cela me fait rire en tout cas, car peu importe ses nombreuses tentatives, il ne pourra jamais nous surprendre ensemble au studio. Nous savons rester discrets et nous ne nous retrouvons jamais en dehors de chez moi. Même si là aussi, il arrive à me fliquer. Certains soirs, il me prend en filature jusqu’à ma petite maison. Je le sens derrière moi qui se cache tant bien que mal dans les buissons ou derrière des voitures dans la rue, avec une discrétion toute modérée évidemment. C’est hilarant d’ailleurs, et j’ai souvent envie dans ces cas-là de me retourner vivement pour le surprendre en flagrant délit d’espionnage. Je rêverai de voir sa tête incrédule, stoppé net dans une dernière roulade, vaine tentative de camouflage raté ! Au lieu de ça, je fais comme d’habitude et je rentre chez moi tout guilleret. De temps en temps, pour brouiller les pistes, je change d’itinéraire ou je fais un petit détour, pour faire durer le plaisir de mon poursuiveur préféré. Et si ce jour-là correspond à une des visites de Natalia et que ma porte s’ouvre facilement, je fais semblant de l’ouvrir normalement, comme si elle avait été verrouillée comme les autres jours, et je rentre chez moi en la refermant précautionneusement à clef. J’attends alors pour appuyer sur l’interrupteur de la lumière et je fais un signe discret, devenu une sorte de code entre nous, à ma compagne clandestine pour qu’elle reste dans l’ombre jusqu’à ce que je ferme à la hâte les rideaux, ou pour qu’elle aille au plus vite dans ma chambre, à l’arrière de la maison, avant que je n’éclaire la pièce. Il arrive aussi qu’elle m’attende directement sur mon lit, allongée ou assise de manière explicite, le regard de braise, parfois même complètement nue. Et alors il ne nous faut pas très longtemps avant que nos deux corps ne fusionnent à nouveau dans une passion effrénée. La grande majorité du temps de toute façon, c’est elle qui arrive en premier dans mon logement – je ne sais toujours pas comment elle peut entrer si facilement à ce propos. Et si ce n’est pas le cas, c’est qu’elle ne viendra pas, ou bien elle me suit de très près et se faufile pour entrer rapidement derrière moi, lorsqu’elle est sûre que je n’ai pas été suivi par Jason. Tout ceci est bien huilé désormais, nous savons ce que nous avons à faire pour ne pas se faire prendre. Ce qui me permet d’affirmer que Jason n’obtiendra jamais les preuves qu’il souhaiterait obtenir pour confirmer ce qu’il a vu dans l’ascenseur.
Nos rendez-vous sont devenus une sorte de rituel maintenant, et je profite de chacun d’eux au maximum. Lorsqu’elle est là, elle est ma priorité absolue. Je ne pense à rien d’autre que de lui faire prendre son pied – et le mien par la même occasion – et j’imprime dans mon esprit chaque partie, chaque centimètres carrés de ce corps de déesse qu’elle a la bonté de m’autoriser à toucher. On peut dire que nous sommes amants et j’en suis fier, même si je ne peux m’en vanter ouvertement. C’est d’autant plus flatteur que cela se fasse en catimini, dans le dos de tous, sans que personne ne s’aperçoive de rien. Pas même son garde du corps, le gorille de la dernière fois, qu’elle arrive à semer à chacune de ses visites, je ne sais trop comment d’ailleurs. J’ai l’impression de partager quelque chose de plus avec elle. Car même si nous ne nous parlons pas beaucoup pendant nos soirées sexuellement intenses et débridées, je lis dans ses yeux une certaine complicité de plus en plus forte. C’est comme un secret bien gardé, un lien qui nous unit intimement l’un à l’autre. Nous n’avons rien signé, pourtant il y a bien une sorte d’accord qui s’est installé, un contrat dont les termes n’ont pas été clairement énoncés mais que nous avons accepté tous les deux sans rien dire. Il est défini implicitement entre nous qu’il s’agit d’une relation essentiellement sexuelle voire charnelle, pas d’attachement et pas de relation de couple à proprement dit. Aucun de nous n’a l’autorisation pour cela de toute manière, et nos carrières respectives pourraient en pâtir grandement en cas de divulgation. Nous sommes les seuls à savoir ce qu’il se passe entre nous et à savoir que nous nous connaissons bien plus, intimement même, que ce que peuvent imaginer les autres. L’unique information qu’ils peuvent éventuellement avoir, c’est que je fréquente quelqu’un en ce moment, étant donné que mon adorable collègue m’as-tu-vu s’est empressé de répandre la rumeur concernant ma vie sexuelle intense du moment au sein des équipes de tournage. Je n’ai rien nié évidemment, ce serait purement ridicule vu mon état euphorique, mais personne ne sait de qui il s’agit. La plupart des collègues ne me posent d’ailleurs aucune question, tout comme je ne cherche pas non plus à m’appesantir sur le sujet. Cela reste de l’ordre du privé et chacun l’a bien compris. Seul Jason n’a à priori aucunement l’intention de respecter cette règle, car je sais qu’il questionne tous ceux à qui j’ai eu le malheur de parler, pour essayer de grapiller quelques informations croustillantes. C’est peine perdue étant donné qu’ils n’ont pas plus d’éléments que lui, mais le bougre insiste fortement quand même.
Bref, tout se passait à merveilles et tout fonctionnait comme sur des roulettes pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que notre relation prenne finalement un nouveau tournent.
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