Chapitre 7 – Avenant au Contrat

11 minutes de lecture

Après une bonne journée de boulot, je rentre chez moi comme d’habitude. En ouvrant la porte encore verrouillée, je sais qu’elle n’est pas à l’intérieur et que je vais donc passer ma soirée seul devant Netflix. Ça tombe bien, la prochaine saison de ma série favorite va bientôt sortir et je n’ai toujours pas fini la dernière avec nos rendez-vous de plus en plus fréquents. Je referme la porte à clef, et part prendre ma douche directement. Elle est nécessaire au vu des nombreuses tâches de graisses et d’huile sur mes mains provenant des machines récalcitrantes du jour. Après un bon savonnage en règle et – je l’avoue – un petit temps de décompression sous l’eau bien chaude, je sors de la salle de bain en tenue décontractée et m’installe tranquillement en mode chill sur mon canapé d’angle. J’ai pris le temps de prendre un paquet de ces petites billes de chocolat aux cacahuètes dont je raffole pour accompagner mon moment de détente en solitaire.

 Soudain, on cogne avec force à ma porte, à plusieurs reprises, après s’être énervé sur la poignée qui reste désespérément fermée. J’aperçois l’ombre d’une silhouette encapuchonnée à travers le rideau de la fenêtre jouxtant mon entrée, à priori très nerveuse. Qui peut bien venir troubler ma superbe soirée célibataire à cette heure-ci ? Et ça continue de tambouriner avec vigueur ! Je me lève en grognant, peu enclin à accueillir quelqu’un ce soir malgré l’insistance manifeste de mon visiteur mystère. Trainant des pieds, je m’approche de la porte en ronchonnant et finis par l’ouvrir. Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle rentre en trombe dans la pièce et claque la porte derrière elle. Elle enlève sa capuche à la hâte et je peux alors constater qu’il s’agit de Natalia. Elle semble cependant en plein stress, voire dans un état second.

- Bah alors ?? J’ai cru que tu n’ouvrirais jamais… me dit-elle en retirant son sweat. Je suis désolée, je suis un peu en retard, je sais. Mais t’inquiètes, j’ai bien fait attention de ne pas être surveiller ni suivie dans la rue.

- Euh… OK c’est pas grave t’inquiètes pas. Mais je t’en prie, entre...

- Oui pardon, je me suis dépêchée d’entrer avant qu’on ne me voit et qu’on me reconnaisse, me coupe-t-elle, avant d’ajouter après un court instant à regarder autour d’elle : Je ne te dérange pas j’espère ?

- Non non, je regardais la télé. Euh… Est-ce que tout va bien ? je lui réponds.

- Oui oui, m’assure-t-elle, peu convaincante néanmoins.

Elle me sourit et prend mon visage entre ses mains pour m’embrasser tendrement. Je sens bien que ce baiser est différent de d’habitude.

- Tu es sûre que tu vas bien ? j’insiste ensuite en observant son visage avec attention.

- A vrai dire… euh… Je ne sais pas… bégaye-t-elle d’un coup, en changeant radicalement d’attitude et en s’agitant légèrement.

Elle semble complètement perdue et perturbée. Elle tripote le bord de son t-shirt nerveusement, tête baissée et le regard dans le vide. Et elle ne cherche pas à me sauter dessus comme à chaque fois que nous nous retrouvons, ce qui est vraiment inhabituel. C’est bien la première fois qu’elle se pointe chez moi sans avoir des intentions bien précises concernant le déroulement de la nuit. Au lieu de ça, elle reste debout dans l’entrée du salon, à se triturer les mains frénétiquement. Quelque chose la tracasse, je le vois bien.

- Est-ce que… tu veux t’assoir ? Tu veux quelque chose à boire ? lui dis-je doucement.

- Euh… bah… je sais pas… non… en fait, non… je voulais te dire… enfin… avant toute chose, il faut que tu saches que… je ne suis pas sûre… d’avoir la tête à faire l’amour ce soir.

Pris au dépourvu par sa remarque que je trouve presque offensante, je reste immobile, estomaqué. Elle n’avait pas besoin de me le dire pour que je m’en rende compte, au vu de son état d’agitation avancée. Et je ne suis pas en manque à ce point, pour qui me prend-elle ? Je peux aussi penser autrement qu’avec ce que j’ai entre les jambes.

- Que fais-tu là alors ? je lui réplique, moi-même surpris par le ton un peu trop sec de ma voix.

- Pour être honnête… Je ne sais pas… me répond-elle d’un air triste, la tête baissée.

Je la sens vulnérable, et même au bord du craquage je dirais. C’est inédit, cette situation entre nous. Je me sens démuni et je ne sais pas trop comment réagir face à elle, même si je sais parfaitement ce que je ferais en temps normal. Le problème, c’est que nous deux, c’est une histoire de sexe normalement. En tout cas, c’était notre accord. Mais voilà qu’il n’en est absolument pas question aujourd’hui. Ai-je le droit de procéder différemment du coup, de la prendre dans mes bras par exemple ? Est-ce que je dois simplement la consoler, être son confident, son ami, ou juste me taire et attendre ? Pendant que mon cerveau cherche une réaction appropriée, je la vois qui s’effondre soudain, en pleurs.

- Oh non… snif… excuse-moi… v-vraiment… je ne sais pas ce qu’il m-m’arrive… sanglote-t-elle en se cachant le visage dans les mains. J’ai passé une j-journée de merde… je n’en p-peux plus…

Elle relève la tête et je peux voir les larmes couler le long de ses joues rosies, des spasmes la secouant au rythme de ses sanglots de plus en plus forts.

- Non… ne pleures pas s’il te plait… ça va aller, je lui murmure en la prenant finalement dans mes bras, amenant sa tête contre ma poitrine et caressant ses cheveux pour la calmer. Attends, viens t’assoir, je vais te chercher un peu d’eau, et tu vas tout me raconter. Ça te fera du bien, j’ajoute en l’aidant à atteindre le bord du canapé.

Elle s’assoie et je m’absente quelques minutes, le temps de lui ramener un verre que je lui tends. Elle boit difficilement une gorgée, et ses sanglots s’atténuent. Je m’accroupis face à elle pour masser délicatement ses genoux – en tout bien tout honneur et sans arrière-pensées – afin de la détendre. Elle me dit enfin sur un ton d’excuse en s’essuyant les yeux :

- Je suis désolée… La journée a été difficile…

- Je comprends ne t’inquiètes pas, ça arrive. Tu veux en parler ? je lui demande après un temps d’hésitation.

- Pas maintenant… soupire-t-elle, un peu gênée. Je…

- Non mais OK pas de problème, tout va bien ! je la coupe pour éviter le malaise. Après tout, on n’est pas obligé de parler pour autant finalement.

J’essuie délicatement une larme qui ruisselle sur sa joue, avant d’ajouter d’une voix douce et avec un petit sourire que je veux réconfortant :

- Tu veux regarder la télé avec moi, pour te détendre un peu ?

Elle me répond en haussant les épaules, dans un petit hoquet. Je m’installe dans le canapé tel que j’étais avant qu’elle ne débarque, et je remets en route l’épisode en streaming. Je la sens qui trépigne à côté de moi, crispée et tendue, regardant à droite à gauche sans savoir vraiment quoi faire. Je l’interroge du regard, et elle finit par me demander, un peu hésitante :

- Je… Je peux venir dans tes bras ?

Je lui confirme de la tête avec un sourire attendri, et je tends le bras vers elle pour qu’elle vienne se caler contre mon torse, qu’elle enlace alors dans un geste affectueux, presque naturel. Je sens une larme venir s’écraser sur mon t-shirt. Pour la consoler, j’effleure tendrement son épaule et son biceps, et sa tête s’abandonne contre ma poitrine, apaisée. La soirée se passe sans que rien de plus intime ne se produise entre nous. C’est la première fois que nous ne faisons pas l’amour durant un de nos rendez-vous. Nous avons simplement regardé la télévision, serrés l’un contre l’autre, comme un couple lambda.

#

Depuis cette soirée, notre relation a beaucoup évolué : Il ne s’agit plus désormais d’une histoire purement et uniquement sexuelle.

Ce soir-là, après avoir regardé deux voire trois épisodes d’affilé de ma série Netflix, elle s’était simplement endormie contre moi. De peur de la réveiller, je n’avais pas osé me lever, et nous avions passé la nuit telle quelle, enlacés l’un contre l’autre dans le canapé. Au petit matin, elle avait pris une douche rapide et était repartie sans un mot, comme d’habitude. Mais cela avait tout changé entre nous, et maintenant il arrive plus fréquemment qu’elle vienne me voir et qu’il ne se passe rien d’autre que des moments simples de partage, en discutant de la pluie et du beau temps, ponctués de baisers softs et de rires complices.

 Un soir où je rentrais tranquillement après ma journée de travail, je l’ai trouvé assise sur mon lit, les genoux repliés sur elle-même, en train de lire un document assez volumineux.

- Salut beau gosse ! m’a-t-elle lancé avec un petit sourire en levant les yeux vers moi au-dessus d’une paire de lunettes à monture large – depuis quand elle porte des lunettes ?? – Tu as passé une bonne journée ?

Après que je lui confirmais que celle-ci avait été plutôt calme, elle se replongea aussitôt dans sa lecture. J’entrepris alors d’aller retirer la crasse de mon corps pour mieux me glisser à ses côtés, d’humeur coquine et pensant faire notre affaire comme à l’accoutumé.

- Tu lis quoi ? lui susurrais-je à l’oreille, en passant ma main sur son ventre pour la taquiner et faire monter la tension. Ça a l’air passionnant…

- Le scénariste a modifié la quasi-totalité du script. Du coup je dois tout réapprendre par cœur avant demain… soupira-t-elle, renfrognée, en claquant le paquet de feuilles sur ses genoux.

- Ah… dis-je en comprenant aussitôt les conséquences sur le programme de la soirée. Un coup de main ?

Elle me regarda d’un air surpris en haussant les sourcils par-dessus ses lunettes, puis me tendit finalement sa paperasse en silence. Je m’installais plus confortablement, m’adossant au mur, et commençais à feuilleter les pages noircies.

- Bien, lui ai-je dis après quelques minutes. A partir de quelle scène veux-tu qu’on commence ?

Et je lui ai fait répéter son scénario une bonne partie de la nuit. Nous jouions les rôles, comme si nous étions deux acteurs en plein tournage. Elle est vraiment douée ! Bon… évidemment cela a fini par dégénérer, et la fin de soirée fut plus chaude que le début. Mais nous étions encore plus complice qu’avant, surtout lorsqu’elle riait à mes chatouilles avant de me couvrir de baisers tendres et affectueux.

Le lendemain, elle a débarqué avec une pizza, que nous avons dévoré assis en tailleur sur le sol de mon salon, en bavardant à propos du tournage. Les révisions que je lui avais fait faire avaient été efficaces, et elle voulait à tout prix me remercier – ce que je trouvais inutile, évidemment.

 Ce genre de soirée arrive désormais régulièrement, et nous sommes de plus en plus proches, de plus en plus câlins, en plus de nos nuits torrides. Soyons lucide tout de même, cela part toujours très vite dans de fougueux ébats lorsque nos peaux se rencontrent. Cependant, vu de l’extérieur et si quelqu’un pouvait effectivement nous voir ensemble, n’importe qui pourrait dire que nous sommes un véritable couple amoureux. Et c’est bien de cela dont il est question : l’amour et mes sentiments pour elle. Car effectivement, plus le temps passe et plus j’en tombe fou amoureux. Ce que je voyais d’elle dans les tabloïds s’avère exact finalement, et confirme qu’elle est belle et bien ma femme idéale, aussi bien physiquement que moralement et mentalement. J’aime son sourire et sa plastique de rêve, autant que j’aime nos conversations et nos débats endiablés sur les effets spéciaux qui pourraient être intégrés au film dans lequel elle tourne. J’aime lorsqu’elle rit aux éclats à une de mes blagues, ou au contraire lorsqu’elle s’énerve à propos d’un sujet sur lequel nous sommes en désaccord. J’aime nos moments de câlins tendres et affectueux, tout comme je suis toujours autant excité lorsqu’elle me regarde avec ses yeux pétillants de désir et ses caresses à la limite de l’indécence, avant de me provoquer ouvertement en mettant ses atouts en valeur de manière coquine. Et ainsi, le simple « plan cul » se transforme petit à petit en une belle amitié naissante, je dirais même en amour pour ma part. Le seul bémol, c’est que je ne sais pas bien ce qu’elle ressent elle, et si mes sentiments sont réciproques…

Pour autant je ne me fais pas trop d’illusions, car je garde en tête que tout ceci doit rester secret, et qu’elle n’acceptera probablement jamais d’assumer au grand jour notre relation. Dans un sens, je me dis qu’elle n’a pas tort et que ce n’est pas plus mal d’ailleurs : J’imagine le scandale que cela provoquerait pour elle, et surtout je suppose que nous aurions alors toute la Presse sur le dos. Finis les petits rendez-vous en catimini, il y aurait sûrement tout un tas de paparazzis bien cachés – mieux que Jason, évidemment – en permanence dans la rue, à la sortie du studio et peut-être même dans mon jardin, à l’affût du moindre mouvement de notre part. Je ne suis même pas certain que Natalia arriverait à atteindre encore ma porte sans encombre ! Sans parler de moi… cela changerait complètement ma vie aussi. Imaginez les flashs qui crépitent sans arrêt à mes fenêtres, les appels incessants des journalistes pour demander une interview, sans parler de mon entourage qui serait également harcelé… Non non, sans façon ! Je préfère autant ne pas être mis sur le devant de la scène, et encore moins que ma vie privée soit étalée dans tous les médias.

Du coup, je me dis que notre situation actuelle restera ainsi pour le moment, et que c’est très bien. Nous continuons donc nos rendez-vous en cachette, même si ceux-ci deviennent moins impulsives et crapuleuses, que amicales et tendres. Je ne suis plus aujourd’hui une simple source de plaisir sexuel, mais aussi une épaule sur laquelle elle peut s’appuyer si elle a besoin. Et nos rapports durant la journée au studio évoluent également malgré nous : il arrive maintenant qu’elle vienne à ma rencontre pour me parler lorsque je suis en train de travailler sur une machine de son plateau de tournage par exemple, ou qu’elle fasse exprès de prendre une pause en même temps que moi pour me rejoindre à la machine à café. Cela nous permet de garder le contact entre deux soirées, car nous ressentons finalement de plus en plus le besoin de se voir et de se parler au moins une fois par jour. Même si dans ces moments-là, la conversation reste banale et innocente, et que nous nous parlons comme si nous ne nous connaissions pas plus que ça, bien sûr. Parfois un rire ou deux en ressortent, mais cela peut être assimilé à une conversation cordiale, comme deux personnes qui travaillent au même endroit peuvent se parler habituellement. Et j’espère être le seul à voir l’attirance et la complicité dans ses yeux lorsqu’elle me fixe intensément avec ce petit sourire aguicheur.

Annotations

Vous aimez lire Mushu80 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0