Chapitre 11 – L’Explosion

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Elle ne m’a pourtant pas reparlé de ses éventuels sentiments après ce soir-là. Et je n’ai pas eu l’occasion non plus de lui parler des miens. De toute manière, pour être honnête, je n’ose pas le lui dire. Comment réagirait-elle si je lui avouais mon amour ? Même si cette dernière conversation et sa jalousie avérée me donne un espoir, il reste le problème de se dévoiler au grand jour. En admettant qu’elle a aussi des sentiments amoureux pour moi, serions-nous capables de vivre notre idylle en cachette en permanence ? Est-ce que notre histoire tiendrait dans de telles conditions ?

Toutes ces questions me paraissent bien stupides cependant, dans la mesure où je ne sais pas concrètement ce qu’elle ressent pour moi réellement. Et je crains qu’à force d’attendre et d’espérer trop de notre relation, je me retrouve à la perdre définitivement. Car ça, je ne le supporterai pas. Je me suis trop attaché à elle maintenant pour faire volte-face, je préfère encore rester son amant invisible, ou même juste son ami, que de ne plus la voir du tout.

 C’est donc un peu contrarié que j’arrive ce matin au studio, où m’attend ma collègue Sophie, une jolie brune frêle aux yeux d’un bleu pâle étincelant, arrivée en renfort depuis quelques temps sur le plateau. Je croyais d’abord qu’il s’agissait d’une inconnue, mais il s’avère qu’en vérité nous nous connaissions déjà. Sa façon de me regarder avec insistance, un petit sourire timide aux lèvres, lorsqu’elle a fait la visite du site la première fois m’avait paru suspecte, et j’avais fini par découvrir que nous nous étions déjà croisés au collège. Aussi nous nous sommes tout de suite bien entendu, nous remémorant des souvenirs d’enfance parfois, et le travail en est facilité. D’autant que fine, elle l’est assurément, mais fragile pas du tout ! Et elle me donne un bon coup de main au quotidien, notamment sur la partie branchement de câbles grâce à ses doigts longs et fins passe-partout.

- Oooh toi… Tu n’as pas l’air de bons poils, me lance-t-elle en fronçant les sourcils en me voyant arriver.

- Hein ? Ah si si, ça va t’inquiètes, je lui réponds la tête ailleurs malgré tout. On a quoi ce matin ?

- HEEYYY !! s’exclame une voix tonitruante derrière moi.

- Oh non, pitié pas lui, soupire Sophie en levant les yeux au ciel.

Jason arrive dans mon dos et s’affale sur moi en passant un bras sur mes épaules. Il est tellement brutal que je manque de m’étaler sous son poids.

- Oula eh oh, du calme ! je ronchonne en retirant son bras vivement, après avoir retrouvé l’équilibre tant bien que mal. Qu’est-ce que tu veux encore ?

- Eh bé ! Quel accueil ! me dit-il joyeusement. Tu pourrais être plus sympa quand même ! Qu’est-ce qu’il y a ? T’as pas fait kékette hier soir, c’est ça ??

- Roh le relou… soupire Sophie. T’es vraiment chiant avec tes questions à la noix, sérieux…

- Laisses, c’est pas grave, je dis à l’intention de Sophie. C’est parce qu’il parle pour lui là en fait.

- Oooh mais ne t’inquiètes pas pour moi mon bichon, me répond aussitôt Jason. Ça va très bien de ce côté-là, je te remercie. Toi en revanche, ça n’a pas l’air d’aller fort, vu ta tête de ce matin. Qu’est-ce qu’il se passe ? Elle t’a quitté ta nana, c’est ça ? Elle s’est enfin rendu compte qu’elle s’était trompé de mec et que tu es un looser en vérité ? ajoute-t-il en ricanant d’un air supérieur.

- N’importe quoi, personne ne dirait ça de lui, se révolte Sophie, visiblement énervée. C’est un mec bien, Alex ! Bien mieux que toi en tout cas !

Surpris par sa remarque, je la regarde en écarquillant les yeux, d’un air interrogateur.

- De quoi tu te mêles, toi ? lui réponds Jason d’un ton sec en la regardant de travers. Tu la connais sa meuf ? Ou peut-être même que c’est toi en fait ?!

- Ça te ferait bien chier que ça soit vrai, hein ? lui répond Sophie d’un air menaçant.

- Bon, ÇA SUFFIT ! je m’exclame, passablement agacé par leurs chamailleries ridicules, en haussant le ton. De toute façon, ça ne regarde personne d’autre que moi, que ça te plaise ou non, Jason ! Pis MERDE QUOI !! Tu m’saoules, j’en ai marre que tu viennes te mêler de ma vie en fait !! Je sors avec qui je veux, et si je n’veux pas en parler, c’est MON problème !! En plus, si tu avais un semblant d’intelligence, tu aurais remarqué que Sophie est arrivée APRES que j’ai commencé à fréquenter quelqu’un !! Donc c’est forcément pas elle, parce qu’on ne se connaissait pas avant !! Mais pour en déduire ça, faudrait encore que tu connectes tes neurones !!! Abruti…

Les mots sont sortis de ma bouche sans crier garde. Tout le plateau m’a entendu lui hurler dessus, et s’est retourné vers nous pour mieux nous écouter, y compris Natalia. Sophie, d’abord choquée par mon ton agressif et ma rage soudaine, pouffe de rire en m’entendant dénigrer la capacité intellectuelle de mon interlocuteur. Jason, lui, reste planté là, bouche bée, à me regarder d’un air ébahit. Il remarque ensuite les regards tournés vers nous, et essaie de reprendre un peu de contenance en se raclant la gorge et en replaçant son col de chemise.

- Haheum… Oui, bon… C’est pas la peine de t’énerver, mec. C’était juste une blague, je voulais juste te détendre un peu… essaye-t-il de se justifier.

- J’ai pas besoin de ton aide, on est pas potes en fait, je le coupe sèchement. Et si tu veux tout savoir : Oui en effet, elle m’a largué. Ça te va ??

Il semble pris au dépourvu, et hésites à me répondre, le regard furetant autour de lui.

- Ah. Euh… Bah euh… Désolé pour toi… bégaye-t-il, un peu par obligation.

- Y a pas de quoi… pis en vrai tu t’en fous donc bon… je lui réponds d’un air blasé en haussant les épaules.

- Bon… Bah… Je vais te laisser alors… me dit-il avant de tourner les talons et de s’enfuir, la tête basse, au milieu des badauds qui nous écoutaient furtivement.

- Ouais c’est ça, casses-toi… je murmure en le regardant s’éloigner d’un regard noir.

J’aperçois au loin Natalia qui me fixe d’un air inquiet, les yeux grands ouverts, et je préfère éviter de croiser son regard. Je lui expliquerai plus tard, ce n’est pas du tout le moment d’éveiller les soupçons. Je prends ma feuille de route sur le pupitre, et lorsque je me retourne, je me retrouve face aux yeux bleu saphir de Sophie, qui me regarde d’un air déconfit.

- Quoi ? lui dis-je en haussant un sourcil.

- Oh euh… Rien… Enfin si… Je voulais te dire… Je suis désolée pour ta copine moi aussi … balbutie-t-elle l’air gêné en fuyant mon regard.

- T’inquiètes, ça va aller. Bon on s’y met ou bien ? je lui lance en montrant le papier dans mes mains.

- Oui, oui, dit-elle avant de m’emboîter le pas vers le local technique, moi en lisant les instructions du jour, et elle en fixant le sol obstinément.

Je sens son malaise mais je ne relève pas. Dans ma tête, les idées fusent et je cogite à une vitesse folle. Je dois absolument trouver une histoire cohérente pour justifier ce que je viens d’avancer au sujet de ma relation mystère. Je suis d’humeur un peu morose aujourd’hui certes, mais pourquoi diable ais-je dit que tout était finit avec elle ?! Je ne pourrais pas être crédible tous les jours en plus, étant donné que je continuerai de voir ma véritable relation – Natalia – en secret, et que je serai donc toujours aussi heureux lorsque j’aurais passé la nuit dans ses bras, comme un homme épanoui que je suis réellement. Non mais quelle idée j’ai eu, vraiment… C’est malin ! Me voilà dans de beaux draps désormais. Je vais devoir trouver un prétexte pour expliquer ma joie de vivre des prochains jours, malgré ma soi-disant rupture… Une nouvelle conquête peut-être ? Ou alors je peux dire que je préfère le célibat ? Mon cerveau bouillonne et je ne m’aperçois pas que Sophie s’est arrêtée de marcher.

- Oh eh ! Qu’est-ce tu fous ?? me lance-t-elle vivement.

- Hein ? Ah oui pardon… je lui réponds, sorti brutalement de mes réflexions, et opérant un demi-tour pour la rejoindre.

- Eh beh... Ça ne va vraiment pas fort… Tu veux en parler ? finit-elle par me demander timidement.

Je ne sais que lui répondre, car je n’ai pas encore défini intérieurement la suite de ma supercherie. Je me contente donc de hausser les épaules d’un air indécis.

- Tu sais… Tu ne devrais pas garder tout ça pour toi, si ça t’affecte à ce point… me dit Sophie sur un ton reflétant une réelle envie de me venir en aide.

Je m’en veux de lui faire croire que je souffre alors que ce n’est pas le cas… Pourtant il faudra bien que j’aille jusqu’au bout, maintenant que j’ai lancé l’idée.

- Oui… enfin, non… enfin… Je sais pas trop… En fait, je ne sais pas si c’est réellement fini entre elle et moi. J’ai dit ça pour que Jason me lâche la grappe, mais… Disons qu’on s’est plutôt fortement disputés hier soir, voilà, lui dis-je pour essayer de me justifier, tout en cherchant une excuse valable intérieurement.

- Ah… Oui, je comprends… Tu penses qu’il y a encore un espoir avec elle quand même ? me dit-elle doucement, essayant de ne pas me blesser plus encore.

- Je ne sais pas… J’espère, surtout… je lui réponds d’un air faussement attristé.

- Et euh… commence-t-elle à me dire, apparemment gênée. C’est quoi la raison de votre dispute exactement ? Enfin… Si c’est pas indiscret bien sûr ! se reprend-elle rapidement.

- Non t’inquiètes, je sais que je peux te faire confiance, à toi, je lui réponds avec un petit sourire et un clin d’œil. En fait… Elle est jalouse des autres nanas que je fréquente, et encore plus quand ce sont des collègues de travail.

- Ah meeeerde ! s’exclame Sophie. Donc en quelque sorte, je suis une des raisons de votre dispute… me dit-elle en se frottant la tête d’un air désolé.

- Ah non non mais t’inquiètes pas, hein ! je rétorque aussitôt. Moi ça ne me gêne pas, et je ne vois pas où est le mal. Après tout, j’y suis pour rien si je travaille AUSSI avec des femmes, hein ! Et c’est ce que je lui ai dit d’ailleurs… Mais elle n’a pas eu l’air très convaincue…

Je prends un air déçu et triste, pour être plus crédible, et j’espère que Sophie va me croire car ce n’est pas tout à fait un mensonge finalement.

- OK… Mais tu sais, je ne veux pas que tu ais d’ennuis à cause de moi hein…

- T’inquiètes pas pour ça, va ! Tu n’y es pour rien, toi non plus, tu fais juste ton job. Et si Madame est jalouse, bah tant pis. Moi, je ne peux pas me permettre de refuser de travailler avec des collègues femmes, ce serait sexiste et puis de toute manière, c’est pas moi qui décide du recrutement. Elle finira bien par le comprendre. Enfin… J’espère… dis-je en faisant mine d’être chagriné. BON ! On s’y met quand même ? je lui lance gaiement après un bref instant, pour changer de sujet et casser la morosité ambiante qui commençait à s’installer.

 Et nous reprenons nos activités comme d’habitude. Mais je sens régulièrement le regard insistant de Natalia sur moi, lorsque je passe près d’elle. Elle semble perturbée par la scène de tout à l’heure. Il faut que je trouve un moment pour lui expliquer vite fait, elle ne tiendra pas jusqu’à ce soir à priori. Je la vois qui s’approche alors du local technique pour prendre un harnais de sécurité, et je saute sur l’occasion pour aller lui parler discrètement.

- Qu’est-ce que tu fabriques ? C’était quoi ce bordel ?? me murmure-t-elle entre ses dents sur un ton de reproche lorsque nous sommes assez proches, tout en enfilant le harnais.

- T’inquiètes pas, je gère. On en reparle ce soir, mais je voulais juste que Jason me laisse tranquille au sujet de ma relation mystère, je lui réponds tout bas en évitant de la regarder, faisant mine de chercher un outil dans la caisse à l’entrée du local.

- J’espère que tu gères bien alors… Parce que maintenant, tout le monde a bien entendu que tu étais de nouveau célibataire, me lance-t-elle à mi-voix avant de s’éloigner sans un regard, la tête haute.

Oui bah ça, j’ai bien compris, merci… Je sais très bien que je me suis mis moi-même dans un sale pétrin, je n’avais pas besoin qu’elle me le dise… En même temps, c’est aussi un peu de sa faute ! Si elle ne m’avait pas fait sa crise de jalousie aussi… Non mais qu’est-ce que je raconte ? J’essaie de me dédouaner c’est lamentable… Bon. Soyons lucide et essayons de finir cette journée sans autre déboire. A deux, on trouvera bien une solution ce soir.

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