Chapitre 12 – Explications
En rentrant, je sais que la soirée s’annonce d’ores et déjà compliquée. Les rideaux sont tirés et la porte déverrouillée : elle m’attend. A peine ai-je passé la porte qu’elle me saute dessus.
- Bon alors ? Qu’est-ce que tu m’as foutu ce matin ?? me dit-elle les bras croisés, au milieu du salon.
- Oula, mollo, laisses moi rentrer, OK ? je lui réponds, un peu acculé.
Je m’avance pour poser mes affaires, et je constate qu’elle a déjà fait le nécessaire pour m’éviter d’avoir des excuses qui me permettraient de ne pas aborder la conversation : la vaisselle est faite, le repas est prêt, le ménage aussi, mes chaussons sont prêts à être enfilés. Bref, rien d’autre à faire que de l’affronter.
- Bon allez, explique-moi là ! commence-t-elle à s’énerver, alors que je prends mon temps pour retirer mon blouson.
- OK, alors, je finis par dire une fois mes vêtements posés sur le dossier du fauteuil, avant de me racler la gorge en me retournant enfin vers elle. Comme je t’ai dit tout à l’heure, je voulais que Jason me foute enfin la paix avec ma soi-disant relation, parce qu’il est vraiment relou avec ses allusions, surtout niveau sexe. Et vu que j’étais un peu contrarié… Bref ma colère est montée et c’est parti tout seul.
- Comment ça, « contrarié » ?? me demande-t-elle en levant un sourcil.
- Oui, j’étais contrarié… je lui réponds avant de marquer une pause.
Elle me regarde perplexe, les yeux grands ouverts, d’un air interrogateur. Je ne vais pas y couper, c’est certains. Mais je ne peux pas lui parler de mes questions au sujet de ses sentiments, et des miens par la même occasion, j’ai bien trop peur de sa réaction et surtout de ses réponses.
- J’ai… euh… Je repensais à certaines choses… à un de mes rêves… je bougonne en évitant son regard, cherchant une échappatoire à cette situation. Enfin bref, ça n’a pas d’importance. Le résultat c’est que Jason m’a tellement saoulé, que j’ai fini par m’énerver et j’ai parlé sans réfléchir.
- Oui ça je te confirme… me dit-elle d’un air blasé.
Ouf, à priori elle n’insiste pas sur la raison de ma contrariété du matin. Trop heureux de ne pas aborder le sujet, j’enchaine aussitôt pour ne pas lui laisser le temps d’y revenir.
- Je sais pas pourquoi j’ai dit ça, c’est la première excuse que j’ai trouvé… Je me suis dit que si je disais que je n’avais plus de copine, il me laisserait tranquille une bonne fois pour toute.
- Oui c’est sûr… Mais maintenant il va dire quoi s’il te voit toujours aussi joyeux malgré ta soi-disant rupture amoureuse ? me dit-elle d’un air pensif.
- Je ne sais pas justement… Faut trouver la suite de mon histoire maintenant… D’autant que j’ai aussi dû me justifier auprès de Sophie, et que j’ai fini par lui dire que je m’étais disputé avec ma compagne mystère à cause de sa jalousie. Donc il faut déjà définir si ma « rupture » est définitive ou non, parce qu’heureusement j’ai laissé planer le doute au cas où quand même… Sinon faudra dire un truc du genre euh… Je sais pas moi, que finalement elle avait pas tort et que j’avais vraiment des vues sur une autre nana par exemple…
- Attends, attends… m’interrompt-elle précipitamment, soudainement songeuse. Y a un truc que j’ai dû louper là…
- Hein ?! lui dis-je surpris, stoppé dans mon élan.
- Tu as dit à Sophie que ta meuf était jalouse, c’est ça ? Et tu lui as dit que c’était la raison de votre dispute ?? me demande-t-elle d’un air soupçonneux.
- Euh… Bah… euh… je bégaye en m’apercevant de mon erreur.
- Réponds-moi, insiste-t-elle, avant de me faire sa tête du « je sais que tu ne me dis pas tout, alors accouches », les sourcils froncés, les bras croisés et la bouche en cul de poule.
- Euh… Oui… Pourquoi ? je lui réponds finalement, feintant l’innocence.
- Mais… C’est pas un peu le sujet de notre discussion d’hier soir ça ?? ajoute-t-elle en levant un sourcil, faisant visiblement le lien entre les deux.
- Euh… Bah, euh… Si, un peu… j’avoue en baissant les yeux.
Me voilà grillé… Quel imbécile, j’ai encore parlé trop vite. Décidemment il faut vraiment que j’apprenne à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de dire quoi que ce soit.
- Attends… Ne me dis pas que… C’était ça qui te contrariait ?? me demande-t-elle, étonnée.
Elle me regarde fixement d’un air suspicieux, et je n’ai pas d’autre choix que de confirmer. Je lui réponds donc par une petite moue gênée, avec un air de chien battu et un haussement d’épaules désolé.
- Mais pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt ?? s’exclame-t-elle vivement, apparemment vexée par mon manque de communication.
- Je… J’ai pas osé… Tu n’avais pas trop l’air d’avoir envie d’en reparler hier soir… Tu as fait comme si de rien n’était le reste de la soirée alors bon… j’essaie de me justifier timidement.
- Oui bon… C’est vrai que je n’ai pas voulu en reparler parce que… J’étais pas très fière de mon comportement pour être honnête… Mais je pensais que c’était OK pour toi, que tu m’avais pardonné mon écart et qu’on en parlerait plus ! Me dit-elle, déstabilisée. Pourquoi tu ne m’as pas dit que ça te tracassait à ce point ?
- C’est pas que ça me tracasse, je lui réponds finalement. Mais disons… que ça me fait me poser des questions…
- A propos de quoi ? me demande-t-elle doucement.
- A propos… de ce que ça signifie pour nous… Enfin, je veux dire… De la nature de notre relation finalement… Parce que, la jalousie… ça veut dire que tu tiens un peu à moi, non ? j’essaie de m’expliquer, un peu gêné, en évitant d’abord son regard, puis en plongeant mes yeux dans les siens essayant d’y lire une potentielle réponse sincère.
Elle se fige alors, prise au dépourvu, et semble hésiter à me répondre. Je vois ses joues rosir doucement. Elle cherche ses mots, ses yeux toujours rivés aux miens.
- Je… Heum… En fait… Oui, réussit-elle enfin à me répondre, avant un long soupir. Oui en effet, je tiens à toi, c’est vrai. Plus que je ne devrais d’ailleurs…
- Je ne vois pas pourquoi ça serait une mauvaise nouvelle, je lui dis aussitôt, avec un sourire triomphant et le cœur battant.
- Parce que… Il ne faut pas… bégaye-t-elle, hésitante. Enfin… Oh et puis tu le sais très bien après tout ! s’exclame-telle d’un seul coup. On ne peut pas, c’est tout... C’est une relation secrète… Enfin… tu vois, quoi… Dès le début on avait convenu que…
- Que quoi ? Je finis par la couper, espérant enfin obtenir des réponses. Oui on avait dit que notre relation ne devait pas être révélée au grand jour, oui on avait dit que cela devait rester secret. Mais on n’a jamais dit qu’on devait s’interdire une relation plus profonde ! Je veux dire, une relation… autre que sexuelle quoi… avec… des sentiments ?
- Et après quoi ?? me demande-t-elle, dépitée. En admettant qu’il y ait vraiment des sentiments plus forts que ça entre nous, ça changera quoi ?
- C’est ma question justement ! je réplique aussi sec.
- Dans tous les cas, on ne pourra jamais vivre notre histoire en public, lâche-t-elle enfin. Alors à quoi bon ? Il vaudrait mieux ne pas s’attacher l’un à l’autre finalement… Je ne veux pas qu’on se fasse des idées pour rien… soupire-t-elle, en s’asseyant sur le bord du canapé, les bras ballants et l’air attristé.
Je la sens totalement déstabilisée, vulnérable. Elle semble perdue et triste, presque déprimée.
- Je t’ai déjà dit que notre relation actuelle, enfin… Le fait de vivre caché surtout, me convient bien, je lui réponds doucement, en m’approchant d’elle pour lui prendre les épaules d’un geste réconfortant.
- Oui je sais bien, mais… Enfin ça ne va pas durer comme ça éternellement, tu t’en doutes bien… Je veux dire… qu’on ne peut pas envisager un avenir à deux dans ces conditions, on est d’accord ? me demande-t-elle d’un ton las.
Mon cœur fait un saut périlleux dans ma poitrine. Elle a réfléchi à un futur ensemble, avec moi ! J’ai envie de danser, de chanter, de crier ma fierté ! Mais je garde tout cela pour moi, esquissant simplement un rictus de satisfaction tout de même.
- Ecoutes, me dit-elle en apercevant mon sourire. Je n’ai rien d’autre à t’offrir qu’une relation secrète, quand bien même elle représente bien plus que du sexe entre nous. Je ne suis pas prête à nous mettre en mauvaise posture, surtout toi… Moi, on me pardonnera parce que je suis déjà une célébrité, mais toi…Tu risques bien plus gros que moi dans cette histoire. Et je ne veux pas que tu ais des ennuis à cause de moi.
- Et si moi ça m’est égal ? je tente d’avancer.
- Ne sois pas stupide… me soupire-t-elle en souriant légèrement. Tu connais les conséquences si notre histoire venait à se savoir : Tu pourrais perdre ton boulot, et moi je pourrais aussi perdre le contrat pour ce film, et je devrais quitter le plateau, tout comme toi, et peut-être qu’on ne se reverrait plus jamais du coup, et peut-être aussi que…
- Avec des « si », on refait le monde, je l’interromps doucement, la sentant partir dans des considérations de plus en plus complexes, au bord de l’implosion.
- *soupir*… Oui, peut-être… Mais ça ne sert à rien de se faire de faux espoirs. Il faut être lucide : Si on en arrivait là, on en souffrirait tous les deux. Et ça ne veut pas dire qu’on pourrait continuer notre relation après ça pour autant… Alors… On devrait juste profiter des moments présents et… Mieux vaut ne pas espérer plus, vraiment… Même si j’avoue que cela m’a traversé l’esprit… ajoute-t-elle en rougissant fortement, un petit sourire aux lèvres.
Elle relève la tête et plonge de nouveau ses yeux dans les miens. Ils sont si profonds, son regard est si intense… Et je sens la chaleur et l’attirance s’installer une nouvelle fois entre nous. Elle est sincère, je le vois. Mes sentiments grandissants pour elle sont réciproques, je le lis dans son regard. Néanmoins, notre amour ne pourra jamais être vécu comme tel, malheureusement, quel que soit la nature de notre relation. Elle a raison, et je dois le reconnaître à contrecœur.
- Bien, je finis par dire, reprenant mes esprits et me détournant de son regard pour m’assoir à mon tour sur le bras du fauteuil en face d’elle. Et donc ? On fait quoi maintenant ?
- Comment ça ? me demande-t-elle, l’air un peu paniqué.
- Bah pour mon histoire. Par rapport à ce que j’ai dit à Jason.
Elle se déride aussitôt et me sourit, soulagée.
- Aaah… Oui ! Oui, Jason, bien sûr. Euh… Eh bien… me dit-elle en mettant un doigt sur sa bouche, en pleine réflexion. Tu pourrais dire que vous vous êtes rabibochés finalement, non ?
- Oui, pourquoi pas. C’est une idée…
- Après tout, tout le monde à droit de se tromper… non ? ajoute-t-elle avec un petit air confus.
Et je comprends qu’elle fait référence à sa propre jalousie. Je ris d’un rire léger, avant de me lever pour lui prendre les mains, l’aider à se relever, et la saisir par la taille pour l’amener contre moi délicatement.
- Oui, en effet, on a tous droit à l’erreur.
Puis je l’embrasse tendrement, et ses bras s’enroulent autour de ma nuque pour mieux me serrer contre elle. Et nous restons quelques instants enlacer l’un contre l’autre, profitant au maximum de nos corps respectifs, dans un moment de dépit face à la réalité de notre amour impossible.
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