Chapitre 13 – Fausse Piste

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Le lendemain, j’arrive au studio plus détendu qu’hier. Sophie m’attend appuyée sur la machine à café. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle se redresse et prend un air timide, comme si quelque chose n’allait pas, et regarde ostensiblement son gobelet qu’elle fait rouler entre ses mains. Je m’attends au pire vu la tête qu’elle tire… Que s’était-il encore passé qui va me plomber ma journée ? Je la salue, et insère une pièce dans la machine pour me faire couler un expresso. Elle m’observe du coin de l’œil et me répond par un « hum » à peine audible, la tête baissée.

- Ça va ?? je lui demande l’air inquiet.

- Oui oui… MOI, ça va oui… me répond-elle, un peu gênée. Et euh… Toi ? … Ça va ?

- Bah oui, je lui réponds banalement.

- Ah bon… Très bien alors, me dit-elle, pas très convaincue.

- Bon. Qu’est-ce qu’il y a ? T’en fais une tête… je lui demande doucement en me tournant vers elle pour la regarder en face.

- Bah… commence-t-elle à me dire, un peu hésitante. C’est surtout… Par rapport à toi… Tes soucis avec ta copine, tout ça…

Soudain je tilte et je me rappelle notre conversation d’hier.

- Aaaah ! Oui oh t’inquiètes pas, ça va aller ! je lui réponds alors d’un ton enjoué. On s’est expliqué hier soir et je crois qu’elle a compris qu’elle était allée trop loin. On s’est donné une seconde chance, on verra bien ce que ça donnera, j’ajoute en lui faisant un clin d’œil.

Je la vois se dérider d’un coup, soulagée par cette nouvelle.

- Ah ! Bon bah tant mieux alors ! me dit-elle en retrouvant le sourire. Ouff, j’ai eu peur quand même !

- Pourquoi ? je lui rétorque, l’air surpris.

- Bah… Je m’en serais voulu que ça casse à cause de moi…

- Bah non, y’a pas de raison de t’en vouloir à toi, tu n’y es pour rien… Pourquoi tu dis ça d’ailleurs ? je lui demande en haussant un sourcil d’incompréhension.

- Bah… Tu m’as dit que c’était parce qu’elle était jalouse, et surtout de tes collègues femmes, donc… Je me sentais en partie responsable tu vois… me dit-elle en se grattant la tête, confuse.

- Aaah ! Mais non, tu n’as pas à te sentir ni visée, ni fautive, vraiment ! je lui réponds joyeusement, en lui frottant le dos pour la rassurer.

Et bien sûr, c’est à ce moment précis que Jason passe dans le couloir et nous aperçoit alors, très proches. Nous rions tous les deux de ce quiproquo, notre café à la main, et je ne me rends pas compte qu’il nous observe d’un air soupçonneux, avant de paraître parfaitement satisfait de cette vision et de partir un grand sourire aux lèvres, en sautillant comme un enfant.

 Nous reprenons tous deux le travail sur le plateau, comme à l’accoutumé, sans plus aucune gêne entre nous. Je la taquine un peu, comme j’en ai l’habitude, et nous passons une bonne journée dans une ambiance plus détendue et amicale. J’aperçois cependant Jason au loin, qui papote avec d’autres équipes, en nous jetant par moment quelques regards en biais. Je ne sais pas ce qu’il manigance encore, mais je sens que c’est encore pour ma pomme…

Déconcentré par ses messes basses, je ne suis plus attentif à l’échelle que je tiens dans les mains, ni à Sophie qui en descend et finis par me marcher sur les doigts.

- AÏE !!! je crie soudain, en enlevant précipitamment ma main de la marche et en reculant.

- Oups ! s’exclame-t-elle, en retirant aussitôt son pied pour éviter de m’écraser encore plus, avant de glisser et de partir en arrière, déséquilibrée par son manque d’appui.

Heureusement, je me rapproche à temps pour la rattraper par-dessous les bras qu’elle agite dans le vide. Je me confonds alors en excuses, elle aussi. Une fois redressée, elle se retourne rapidement vers moi et attrape ma main pour ausculter mes doigts portants la trace de ses chaussures de sécurité, tout en continuant de s’excuser platement. Elle se met alors à me masser les phalanges, toujours en marmonnant des excuses incompréhensibles. Je lui explique qu’elle n’y est pour rien et que ce n’est pas la peine de se tracasser autant, car j’avais la tête ailleurs et que tout est ma faute. Puis je pose ma seconde main sur la sienne pour la calmer et qu’elle arrêter de tripoter mes doigts nerveusement. Je lui relève ensuite le menton pour qu’elle me regarde, et je m’aperçois qu’elle a presque les larmes aux yeux. Je lui souris alors en lui disant qu’il n’y a pas de drame car je n’ai rien de casser, et nous finissons par rire pour évacuer le stress que cela a occasionné.

Au fond la pièce, Jason nous observe avec attention, un sourire diabolique figé au visage. Lorsque je tourne la tête dans sa direction et que je croise son regard, son sourire s’élargit et il me fait signe qu’il a tout vu en mettant deux doigts pointés vers ses yeux, puis en me désignant.

Je ne sais pas bien ce qu’il croit avoir vu, mais je ne le sens pas bien, cette histoire… Il paraît très satisfait de lui-même, et cela m’inquiète. Que va-t-il encore lancer comme rumeur à mon sujet ?


 A midi, je décide d’aller me chercher vite fait un sandwich chez le boulanger en face du studio. Je prends donc l’ascenseur pour remonter au rez-de-chaussée, et lorsque les portes commencent à se refermer, une silhouette féminine se glisse dans l’habitacle. Natalia, essoufflée, vient se caler à mes côtés.

- Ça va ? je lui demande sans la regarder, alors que la cabine entame sa remontée.

- Pfiouuu … souffle-t-elle en s’adossant à la paroi. Il fallait que je te dise quelque chose. J’ai vu que tu partais vers l’ascenseur, je me suis dit que c’était l’occasion.

- Qu’y a-t-il de si urgent qui ne pourrait attendre ce soir ? je lui demande en fronçant les sourcils, toujours en fixant la paroi devant moi.

- C’est Jason… hésite-t-elle. Il raconte à qui veut bien l’entendre qu’il a deviné qui est ta copine mystère.

- QUOI ?? je m’exclame un peu trop vivement.

- Chut ! me coupe-t-elle précipitamment. Si j’ai bien compris, il croit que tu sors avec Sophie.

- HEIN ?! Mais comment il peut penser ça ??

Elle me regarde alors du coin de l’œil, un peu contrariée. Serait-elle suspicieuse elle aussi ?

- Peut-être qu’il a des raisons de le croire… me lance-t-elle en reportant finalement son regard sur les portes de l’ascenseur face à elle.

- Je n’vois pas pourquoi, c’est ridicule… On travaille ensemble mais ça s’arrête là ! Enfin… On s’entend bien c’est sûr, mais c’est tout quoi… dis-je, un peu pour moi-même en réfléchissant.

- Il dit qu’il a vu des choses… des gestes notamment, ajoute-t-elle, toujours avec son air soupçonneux, les sourcils légèrement froncés de contrariété.

- C’est n’importe quoi… je soupire. Tu ne le crois pas j’espère ??

- Je devrais ? me réplique-t-elle sèchement.

- Absolument pas, lui réponds-je aussitôt. Quoi que…

- PARDON ? s’exclame-t-elle en se redressant d’un bond, et se tournant vers moi.

- Non attends avant de t’énerver. Ce que je veux dire, c’est que si toi tu arrives à avoir des doutes, c’est que d’autres peuvent en avoir aussi, on est d’accord ? je lui dis en me frottant le menton pour réfléchir.

- Je ne vois pas où tu veux en venir… me répond Natalia, visiblement agacée.

- Bah ça veut dire qu’éventuellement… ça pourrait servir à brouiller les pistes ! je lui rétorque en retrouvant le sourire. Si les gens pensent que c’est avec Sophie que je suis… Pourquoi je démentirai après tout ?

- Mais… Mais elle est impliquée dans la dispute entre toi et Jason de la dernière fois, me rappelle-t-elle en se repositionnant contre la paroi.

- Arf, oui… c’est vrai… dis-je en réfléchissant à voix haute. Surtout que je lui ai dit ce matin même que je me suis rabiboché avec ma copine… Ou alors… Il faudrait que je la mette dans la confidence, d’une manière ou d’une autre, et qu’elle soit complice !

- Hein ?! s’étonne Naty, avec un rictus d’incompréhension.

L’ascenseur s’immobilise et la sonnerie annonce l’ouverture des portes. Je murmure un rapide « T’inquiètes » à Natalia et je sors de la cabine en lui faisant un clin d’œil. Je sais ce que j’ai à faire désormais.


 De retour de la boulangerie, je rejoins Sophie dans la salle de pause, en haut du bâtiment. Elle est assise près de la grande baie vitrée qui donne sur le balcon, accoudée à la table, les jambes croisées, une main tenant son sandwich et l’autre son smartphone. Le soleil se reflète sur ses cheveux d’un noir intense, et elle m’apparaît subitement plutôt séduisante. Je comprends alors pourquoi elle attire autant les hommes, mais comment se fait-il qu’elle les collectionne sans jamais se poser ? Elle relève la tête lorsque je m’installe en face d’elle, et me regarde de ses yeux bleu azur.

- Euh… Ça va ? me dit-elle d’un air surpris.

- Oui, oui. Je lui réponds en regardant autour de moi. Il faut que je te parle d’un truc… perso, j’ajoute à voix basse. Mais pas maintenant, il y a trop de monde.

Elle acquiesce et nous finissons notre repas en silence. Lorsque la plupart des tables sont désertes, je me penche vers elle pour rentrer dans la confidence. Elle en fait de même, ses yeux rivés aux miens avec un air impatient.

- Voilà, je commence à mi-voix. Tu sais, à propos de ma copine… En fait, on n’a pas trop envie que notre relation soit divulguée tu vois… – elle confirme chacune de mes phrases par un hochement de tête entendu – Le problème c’est que Jason veut absolument savoir avec qui je sors et ça m’agace. Alors j’avais pensé… Enfin non, ON a pensé… que tu pourrais peut-être euh… Nous aider.

- Mais oui, bien sûr ! me dit-elle, toute en joie. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Enfin… Pour vous ?

- Bah voilà… je continue un peu hésitant. En fait… Apparemment, Jason laisse entendre à ceux qui veulent bien l’écouter que… Enfin, que… – elle me fixe des yeux avec insistance, attendant la suite, et celui me met soudain mal à l’aise – ‘Fin il dit que… Qu’il pense que… C’est toi… ma copine, je veux dire…

Elle fronce les sourcils d’un air inquiétant, et je ne suis plus certain de mon plan. J’hésite à continuer maintenant, car elle semble soudain contrariée. Elle penche la tête de côté avant de me demander :

- Tu veux dire qu’il croit qu’on est ensemble ??

- Oui… Apparemment, je lui confirme à demi-mot, en surveillant les alentours.

Elle reste bouche bée de stupeur, et commence à rire d’un rire nerveux.

- C’est une blague ?? me dit-elle finalement en ricanant.

- Non… Mais ça va peut-être me servir pour la suite, j’ajoute précipitamment. Et je vais avoir besoin de toi… Enfin, si tu veux bien, t’es pas obligée hein !

- Bah dis-moi déjà ce que tu attends de moi, on verra après, me répond-elle en me regardant d’un air blasé.

- OK… Donc. En fait, on a pensé que c’est plutôt une bonne chose que Jason pense qu’on est ensemble, car ça brouille les pistes sur l’identité de ma vraie copine, tu vois ? – elle confirme en hochant la tête – Donc du coup, on se disait que tu pourrais euh… Comment dire ?... Confirmer. Ou Plutôt ne pas démentir cette rumeur, tu comprends ?

Elle écarquille les yeux et reste étrangement silencieuse. Après quelques instants, elle me dit :

- Euh… Attends… Tu me demandes de dire… Que je suis ta meuf, en fait… C’est ça ?

- Euh…En gros, ouais, c’est l’idée… je lui réponds un peu embarrassé en me tordant les mains.

- Mais euh… Tu sais que je suis célibataire et que j’ai pas l’intention de le rester, au moins ? Nan parce que, avec une rumeur comme celle-là, c’est pas comme ça que je vais trouver un mec du coup, me dit-elle avec un léger sourire crispé.

- Oui je sais… Je sais que ça risque de te demander des sacrifices… J’en suis conscient… Mais t’es pas obligée d’accepter cela dit…

Le silence s’installe entre nous, pesant. Je ne sais pas quoi lui dire d’autre, je sais que ce que je lui demande est un peu osé. Elle se redresse et s’adosse à sa chaise, elle semble réfléchir en me fixant du regard. Je sens que mon plan ne lui plaît pas trop, et je suis persuadé qu’elle va refuser.

- D’accord, dit-elle enfin en croisant les bras.

C’est impensable, je crois avoir mal entendu et je reste figé, la bouche et les yeux grands ouverts, sans avoir la certitude qu’elle soit totalement sérieuse.

- C’… C’est vrai ?? Tu… Tu veux bien ?? je lui demande en bégayant, encore sous le choc de sa réponse si catégorique.

- Ouais OK, j’accepte. Après tout… Ça peut être rigolo aussi ! Surtout de voir la réaction de Jason, tiens ! Vu que j’ai refusé ses avances… Que je sorte avec toi à la place, ça va bien lui foutre les boules ! ajoute-t-elle avant de rire de bon cœur.

Je n’en reviens pas : Non seulement elle accepte de jouer le rôle de ma copine sans aucune condition, mais en plus j’apprends que Jason lui a déjà fait du gringue ! Et qu’elle l’a envoyé bouler en plus ! C’est juste parfait, la supercherie sera encore meilleure que prévu.

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