Chapitre 16 – La Preuve Obligatoire

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Après l’aveu de ma supposée liaison avec Sophie à Jason, la rumeur s’est bien évidemment répandue comme une trainée de poudre dans tous les studios, même si à priori peu de personne semble y prêter réellement attention. Parfois certains nous regarde d’un air amusé ou nous lancent des clins d’œil complices, d’autres gloussent sur notre passage ou chuchotent en nous regardant en coin. D’autres encore nous disent qu’ils sont contents pour nous et que nous formons un beau couple sans s’éterniser sur le sujet. Mais dans l’ensemble, la plupart nous laissent tranquille et semblent même s’en foutre royalement. J’ai tout de même eu un collègue qui est venu me féliciter gaiement avec une tape dans le dos, en me disant que j’avais touché le « gros lot » avec Sophie car c’est, je cite, « une super nana, plutôt canon et bien gaulée, carrément bandante même ! ». J’avoue ne pas avoir su trop quoi répondre à cette remarque à part « merci », mais cela a bien fait rire la principale concernée qui en a même piqué un phare lorsque je lui ai raconté.

Au quotidien, Sophie et moi pouvons désormais augmenter nos caresses et mots doux, tout en restant sobres bien entendu. Suivant ce que nous avions convenu ensemble, nous évitons au maximum d’avoir à prouver notre amour par un baiser, dans la mesure du possible.

Seul Jason semble bizarrement encore septique concernant notre relation. Il continue de nous observer et scrute chacun de nos gestes l’un envers l’autre. Nous essayons donc d’être le plus possible démonstratifs, tout en maintenant nos soi-disant convictions. Car bien que les relations entre collègues du même service soient – elles – autorisées, nous préférons « ne pas mélanger vie privée et vie professionnelle », comme nous le disons si bien pour justifier le fait que nous gardons une certaine distance au travail. Mais je crains fort que cet argument ne soit pas suffisant pour Jason. Son visage trahit souvent son manque de confiance envers notre révélation, et il nous jette régulièrement des regards suspicieux.


 Ce midi, alors que le soleil a refait son apparition depuis quelques jours, Sophie et moi décidons de nous poser un instant dehors après le repas. Assise entre mes cuisses, la tête appuyée contre mon torse, elle prend la lumière les yeux fermés. Il fait doux et une dose de vitamines nous fait le plus grand bien. Pendant qu’elle bronze, je cale ma bouche dans le creux de son cou pour y dépose un petit bisou tendre avant de m’étendre face au soleil également. Jason passe alors, accompagné de ses collègues tout aussi bêtes que lui, et nous lance :

- Alors les z’amoureux ? On bulle ? Quand vous aurez fini votre petit manège ridicule, vous nous le direz.

- De quoi tu parles, Jason ? lui demande Sophie en relevant la tête et en se protégeant les yeux avec sa main pour le regarder.

- Oh c’est bon hein ! Ça marche peut-être avec les autres, mais avec moi ça ne prend pas. Je sais que c’est un fake votre histoire. C’est juste pour pas que je vienne fouiner dans ta vie, Alex. Tu peux l’avouer hein !

- Je ne comprends pas, là, je lui répond en fronçant les sourcils d’incompréhension. Je dis rien, tu me fais une scène parce que soi-disant tu sais mieux que moi ce qu’il se passe dans ma vie, et là que je t’ai avoué que je sors belle et bien avec Sophie pour qu’on peut enfin vivre notre amour tranquillement, il faut encore que tu trouves le moyen de venir me faire chier… Sérieux, t’as rien d’autre à foutre ?! C’est quoi le problème avec moi exactement ? Tu ne peux pas me laisser vivre en paix avec la femme que j’aime, maintenant que tu as découvert qui c’est ??

- Sauf que c’est pas elle, ta vraie meuf ! Je le sais !

- Ah oui, j’oubliais que tu sais mieux que moi qui est ma propre femme…

- Arrêtes, tu sais très bien de quoi je parle ! Je t’ai vu en embrasser une autre si tu te souviens bien, et je suis persuadé que c’est elle ta véritable petite amie ! Tu fais semblant de sortir avec Sophie pour pas que je parle à tout le monde de ton histoire avec tu-sais-qui pour tu-sais-quelle raison !

- De quoi ?? T’en as embrassé une autre ?? s’insurge Sophie en se redressant pour me faire face.

- Mais non, pas depuis que je suis avec toi voyons. Il parle de ce qu’il s’est passé dans l’ascenseur l’autre coup. Tu sais ? Je t’avais raconté pourtant…

- Aaaah oui, ah, OK.

- Pis l’autre elle dit rien !!! Elle est cocue et elle est contente !! rétorque Jason en montrant Sophie.

- Eh oh, « l’autre » elle va t’en dire des choses si tu continues de lui manquer de respect, répond Sophie avec un regard noir.

- C’est pas ma faute si t’es assez bête pour être le dindon de la farce !! Pauv’ cruche va ! Il se sert de toi, enfin !!! Et tu t’en rends même pas compte !!

- Il ne se sert absolument pas de moi ! D’ailleurs il m’a dit pour l’ascenseur, on ne se cache rien. Pis c’est du passé, c’était un juste un jeu, une sorte de défit pour elle. Maintenant il est avec moi, tu le vois bien !!

- Moi je ne vois rien du tout, à part des petites caresses ridicules que n’importe qui pourrait faire à un ami proche pour s’amuser. A moins que tu ne sois de mèche avec lui, et dans ce cas forcément… Ça doit bien t’amuser toi aussi !

- Bah je vois pas ce qu’il te faut de plus pour te prouver qu’on est ensemble ! Je réplique pour aider Sophie. On passe notre temps ensemble, on mange ensemble, on se fait des bisous et des câlins sans arrêt, et sans se cacher maintenant ! Grâce à toi d’ailleurs !

- Mais je vous ai jamais vu vous embrasser. Un vrai baiser je veux dire ! Sur la bouche, quoi !

- Sans rire, t’en ai encore là en vrai ?? On se croirait à la maternelle, j’hallucine…

- Bah vas-y, fais-le alors !!!

- T’es sérieux ?? réagit Sophie en écarquillant les yeux. Faut vraiment qu’on fasse ça devant toi pour que tu sois enfin convaincu qu’on est vraiment en couple ? Non mais tu déconnes ?!

- Pourquoi tu ne veux pas le faire dans ce cas, si ce n’est parce que vous n’êtes pas réellement ensemble ?

- Je sais pas, peut-être parce qu’on n’a pas besoin de faire ça en public pour prouver qu’on s’aime ? je lui répond d’un ton cassant.

- S’il n’y a pas d’ambiguïté, ça ne devrait pas vous poser de problème de vous embrasser devant nous ! déclame Jason en écartant les bras d’un air triomphant devant une assistance hilare.

- Je ne vois vraiment pas ce que ça va t’apporter de plus… je soupire en essayant de gagner du temps.

Je croise furtivement le regard de Sophie, qui semble tout aussi paniqué intérieurement que moi. Elle lève la tête vers le ciel et soupire d’un air désespéré en fermant les yeux. Je crois bien que le moment fatidique est arrivé, et elle le sent également. J’essaie de lire dans son regard son approbation avant de lancer le Go auprès de Jason, tout en cherchant une autre alternative au cas où. Elle me regarde enfin et rapidement je devine qu’elle pense la même chose que moi : Nous n’avons plus le choix.

- Pffff c’est ridicule, vraiment… Soupire-t-elle fortement avant de se positionner entre mes jambes, à genoux face à moi.

Nos regards se croisent et un bref instant j’aperçois une lueur d’appréhension au fond de ses yeux bleus. Elle se rapproche de moi et attrape mon visage dans ses mains. Je surprends un infime temps d’hésitation, à peine perceptible, juste avant que nous fermions tous deux les yeux, et que nos bouches se rencontrent dans un baiser d’abord timide, puis plus prononcé, comme deux amants réellement attirés l’un par l’autre. Ses lèvres sont douces également, et elles ont plutôt bon goût. Je m’en veux aussitôt de penser cela. En même temps, je me dis que ça sera plus facile pour la suite, dans le cas où il faudrait renouveler l’expérience. J’imagine que c’est mieux, car sinon j’aurais quelques réticences à recommencer, forcément ! Nous restons ainsi à nous embrasser quelques secondes – qui me paraissent une éternité – avant qu’elle ne se décolle lentement de mon visage. Nous rouvrons les yeux en même temps et nous nous regardons. Un soupçon d’incrédulité nous traverse alors en un éclair. Ce n’était vraiment pas désagréable du tout, et je constate qu’elle semble ressentir la même chose. Elle passe sa langue sur sa lèvre inférieure, comme pour récupérer un peu le goût des miennes, avant de la mordiller doucement de manière plutôt sexy, et de se redresser légèrement.

Je reprends soudain mes esprits, me souvenant de la présence de Jason et de ses acolytes. Je me retourne donc vers eux d’un air blasé, suivi de près par Sophie, pour les surprendre en bug.

- Ça te va ? je lui lance alors fièrement.

L’assistance reste figée et médusée, à nous observer comme si nous étions des extraterrestres.

- Bah quoi ?? C’est pas ce que tu voulais qu’on fasse ?? J’ajoute pour en rajouter une couche, satisfait de l’effet obtenu.

- Mouais… finit par lâcher Jason d’un air perplexe. Mais ça ne prouve rien.

- Sérieux ?! Rolala ! s’énerve Sophie. Nan mais c’est bon là ! T’as eu ce que tu voulais, fiche-nous la paix maintenant ! Allez, dégages, toi et tes guignols là ! Houst !

Elle leur fait signe de déguerpir d’un revers de main, se retourne et se rassoit entre mes jambes, dans sa position initiale, pour prendre le soleil. Je regarde les « guignols » d’un air amusé avec un sourire en coin, avant de hausser les sourcils et de passer mes bras autour de sa poitrine pour l’enlacer tendrement.

Visiblement encore sous le choc et contrarié par ce qu’il vient de voir, Jason flanque ses mains dans ses poches, et hoche la tête vers ses collègues avant de leur lancer un nonchalant « Allez ! On bouge » en s’éloignant, suivi de près par ces petits chiens bien dressés.

Une fois assez loin pour ne plus nous entendre, je relâche la pression dans un profond soupir. Sophie rouvre un œil et me demande s’ils sont bien partis. Après ma confirmation, elle soupire à son tour.

- Pfffioou ! Purée il est chiant sérieux… Y a pas moyen qu’il nous foute la paix, faut toujours qu’il vienne faire son relou. J’suis sûre qu’il est jaloux au fond !

Je souris mais reste légèrement crispé en regardant devant moi, les yeux dans le vide. Ce baiser m’a déstabilisé et je ne sais quoi en penser. Sophie me regarde d’en dessous et comprend mon malaise. J’ai l’impression qu’elle aussi l’a ressenti, car elle se replonge très vite dans sa fausse sieste de bronzage.

- Bon… Au moins… Ça, c’est fait, me dit-elle en fermant les yeux.

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