Chapitre 21 – L’Escapade

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Aujourd’hui, c’est le jour J. J’avoue que le stress monte à mesure que la journée se passe et que l’heure fatidique approche. En fin de matinée, mon plan se met en place et je donne le top départ.

 Après avoir averti Sophie par SMS, je me précipite vers la loge de Natalia. J’arrive en courant au moment où elle sort, attendu par Claudio devant sa porte.

- Ah, ouf, vous êtes encore là ! je lui lance en reprenant mon souffle. Christiane m’envoie vous chercher : elle a fait une retouche sur un de vos costumes pour lundi, mais elle a un doute sur une mensuration. Elle voudrait vous le faire essayer.

- A cette heure-ci ?? me répond Natalia d’un air étonné.

- Oui oui, elle voudrait vous voir au plus vite car lundi elle n’aura pas le temps avant que vous ne repreniez votre scène avec ce costume. Elle voudrait finir avant de partir en week-end, et vu qu’elle termine à midi, du coup… Enfin… si cela ne vous dérange pas…

- Bon euh… OK, d’accord.

- Je vous accompagne, car elle n’est pas dans son atelier de couture habituel.

Nous marchons d’un pas cadencé vers une pièce au fond du studio, suivi de près par son garde du corps. En arrivant devant la porte, j’indique à Natalia qu’elle est attendu là-dedans. Elle entre et ferme la porte derrière elle, laissant Claudio dehors, et je repars l’air de rien après lui avoir souri poliment. A l’intérieur, une multitude de portants remplis de vêtements s’alignent autour de la pièce. Au centre, Sophie patiente derrière un paravent, devant lequel elle a disposé le déguisement obtenu en amont au péril de son orgueil.

- Mais… Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?? s’insurge Natalia. Christiane ?

- Chut ! lui répond Sophie, restée planquée. Mettez ce qui se trouve sur la chaise devant vous et ne posez pas de question. Ensuite, vous passerez derrière le paravent pour vous maquiller, puis vous sortirez par la porte au fond. Une surprise vous y attend.

- C’est quoi cette mascarade ?

- Ne craignez rien, on ne vous fera pas de mal, au contraire. Allez ! Dépêchez-vous ! Il va falloir ruser si vous voulez échapper à votre gorille !

Après un temps d’hésitation, Naty obtempère finalement. Elle enfile la robe à fleurs, les bijoux, les baskets en toile et la perruque blonde, avant de contourner le paravent et de se retrouver face à une coiffeuse sur laquelle est disposé divers accessoires de maquillage. Sophie, qui s’est glissé furtivement derrière un des portants pleins de costumes juste avant elle, reste stupéfaite en découvrant l’identité de son invitée. Elle dévisage Natalia avant d’esquisser un large sourire satisfait pour elle-même.

- Mettez d’abord le far à paupières et le rouge à lèvres qui sont devant vous, lui indique-t-elle, toujours cachée. Ensuite vous apposerez un point sur votre visage avec le crayon marron pour dessiner un grain de beauté, où vous voulez.

Natalia suit les instructions à la lettre, un peu incrédule et cherchant la source de la voix, en vain. Elle ne comprend pas bien à quoi rime tout cela, mais elle sent que c’est bienveillant et qu’elle ne craint rien.

- Impeccable, lance Sophie après que Natalia ait fini. Maintenant, mettez les lunettes et sortez en silence par la porte à votre droite. Je m’occupe du reste.

Naty obéit et ouvre la porte, avant de se figer lorsque je me retourne vers elle, coiffé d’un bonnet et d’un sweat de chantier vert dont le col est remonté jusqu’à mon nez.

- Mais… Alex ?!?

- Chut ! Viens, suis-moi et ne fais pas de bruit, je lui chuchote en la prenant par la main, après un instant de surprise amusée en la voyant ainsi déguisée.

- Mais qu’est-ce que tu fous ?? C’est quoi ce délire ? me lance-t-elle en se libérant de ma main et s’arrêtant nette pour me faire face, les mains sur les hanches, légèrement énervée.

- Chut je t’ai dit ! Tu verras, c’est une surprise. Tu as confiance en moi ?

- Euh…

- Tu as confiance en moi ??

- Oui !! Oui, j’ai confiance en toi, évidemment…

- Alors suis-moi et ne pose pas de question, je lui rétorque avec un clin d’œil, avant de reprendre sa main pour la guider derrière moi.

Nous sortons en catimini par l’arrière du bâtiment, puis nous longeons le mur d’enceinte de la propriété jusqu’au grand portail. Le vigil est dans sa loge, l’opération « diversion » va commencer !

Sophie arrive par la cour, vêtu de son manteau et de son sac à main. Lorsqu’elle nous aperçoit, cachés derrière la loge, prêts à nous faufiler pour nous évader, elle s’effondre soudain par terre en se tenant la jambe et hurlant de douleur.

- AÏE !! OUILLE !! Houtch, ça fait mal !! – Elle en rajoute des tonnes, c’est indécent… Elle pourrait être comédienne elle aussi… – Oulala, je me suis tordu la cheviiille…

Le gardien sort en courant pour lui porter secours, trop heureux de jouer le chevalier servant auprès de cette jolie fille qu’il reluque dès qu’il le peut. Natalia et moi en profitons pour nous glisser en dehors de l’établissement, en prenant garde de ne pas être filmés par les caméras de surveillance. Du coin de l’œil, je vois également accourir Claudio, attiré lui aussi par les gémissements de Sophie.

Une fois à l’extérieur, nous rejoignons ma voiture, que j’ai pris soin de garer sur le parking visiteurs au préalable. Nous montons précipitamment, je mets en route le moteur et je démarre en trombe.

- Où est-ce qu’on va ? me demande Naty, l’air un peu inquiète.

- Tu verras bien. Si je te le dis, ça ne sera plus une surprise, je lui réponds en balançant mon sweat polaire et mon bonnet sur la banquette arrière, puis en lui tendant un sac avec des sandwichs pour le trajet.

 Nous roulons ainsi en silence pendant presque trois heures avant d’arriver sur la Côte Picarde. Je gare la voiture et descend rapidement, avant de faire le tour du véhicule et d’ouvrir la portière à la fausse blonde magnifique que j’ai kidnappé.

- Tu viens ?

Natalia sort de la voiture en s’aidant de ma main, et regarde autour d’elle d’un air perdu.

- On est où ? me demande-t-elle tout intimidée, cachée derrière ses grosses lunettes et les longs cheveux blonds de sa perruque.

- Chez moi ! Enfin… dans ma région je veux dire. Ici c’est Saint Valéry, une petite ville médiévale en bord de mer. Tu vas voir, il y a le port et la digue sur laquelle on peut se promener. Et il y a des supers restau aussi ! Et le centre médiéval est super sympa…

- Non mais attends ! Je ne peux pas me promener comme ça voyons… m’interrompt-elle. On va me reconnaître…

- Pas ainsi déguisée ! C’est là toute l’astuce ! Et puis ici, les gens n’ont pas l’habitude de croiser des personnalités donc ne t’inquiètes pas, ils ne verront rien. Allez, viens ! lui dis-je en lui tendant la main.

Et nous nous baladons tous deux sur le vieux port, sous un beau ciel bleu de printemps délicatement rafraîchis par une légère brise marine. Nous croisons des promeneurs, mais aucun ne prêtent attention à Natalia, et elle finit par se détendre enfin. Je lui prends la main et lui fais découvrir la baie, les phoques que l’on aperçoit au loin sur les bancs de sable, les kayaks qui suivent la marée, les pêcheurs qui rentrent au port avec leurs cargaison, les cormorans qui font sécher leurs plumes au soleil. Elle s’émerveille de tout, comme une enfant qui n’a jamais vu le monde extérieur. Elle est si belle ainsi libre.

Sur la grande place, le marché du terroir nocturne est déjà installé. Nous déambulons entre les stands de produits locaux, main dans la main, dégustant les spécialités régionales toutes plus délicieuses les unes que les autres. Je lui fais goûter la bière traditionnelle, les fromages du pays, les salicornes et les amandes grillées. Puis je décide de l’emmener manger des moules de bouchot dans un petit restaurant au bord de la digue que j’affectionne particulièrement.

Pendant le repas, je constate qu’elle a complètement oublié sa notoriété et ne se soucie plus du tout du regard des gens. Même sous son déguisement, elle fait se retourner les hommes sur son passage – et Dieu sait comme je les comprends ! – mais cela ne l’inquiète plus, et elle profite du moment pleinement. Elle rayonne de plaisir, souriante et pimpante, s’extasiant devant chaque nouvelle chose que je lui fais découvrir. Elle rit de bon cœur à chacune de mes petites blagues, chacune de mes anecdotes sur la région et ses habitants. Elle taquine même le jeune serveur saisonnier, qui pique un phare dès qu’elle lui parle. Malgré son déguisement de fortune, elle est toujours aussi belle et je la vois telle qu’elle est en dessous : cette femme splendide, pleine de vie et d’humour. Une femme simple qui veut juste vivre comme tout le monde.

Après le café, je lui propose une balade digestive le long de la digue. Nous bavardons en marchant, et finissons notre parcours sur la plage au bout du chemin, pile au moment du coucher de soleil sur la mer calme. Elle décide de s’assoir sur le sable face à ce spectacle, et je m’installe derrière elle pour qu’elle puisse s’appuyer contre moi. L’air est doux et l’instant est magique. Nous pouvons profiter l’un de l’autre en toute liberté, savourant chaque caresse et chaque baiser sans contraintes et sans risque.

Lorsque que le soleil a entièrement disparu à l’horizon, nous entendons un petit air de musique au loin.

- Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-elle en se redressant d’un bond.

- Je n’en sais rien… On dirait qu’il y a une guinguette tout près…

Je me lève et l’aide à en faire de même, et nous avançons en direction du bruit. Au détour d’une ruelle, nous nous retrouvons sur une toute petite place dans la ville historique, sur laquelle est installée une dizaine de grandes tables de collectivité en bois. Une serveuse fait des aller-retours depuis le bistrot d’à côté, son plateau garnis de bières et de cocktails maison. Une poignée de personnes se déhanchent sur la piste de danse improvisée, dans l’espace libre laissé un peu plus loin, sous les guirlandes de lampions accrochées entre les arbres et les candélabres de la ville. L’endroit est bucolique.

- Oh une fête ! Trop bien !! Allez viens, on y va ! s’exclame Natalia en me tirant par le bras.

Arrivés devant le bar, je lis les propositions de boissons et lui demande :

- Tu veux boire quelque chose ?

- Oui, je veux bien, merci. Je te laisse choisir, je te fais confiance !

Elle a ce sourire en coin malicieux un peu moqueur qui fait vaciller mon cœur. Je passe donc commande au bar et lorsque je me retourne, nos deux cocktails dans les mains, elle n’est plus là. Un peu en panique, je la cherche des yeux, et la trouve finalement en train de se déhancher sur la piste au milieu des autres badauds du soir. Je l’obverse de loin avec un petit sourire satisfait. Elle est tellement sexy lorsqu’elle se lâche ainsi. Elle bouge gracieusement, fermant les yeux pour mieux s’imprégner des sons qui l’entourent. Et puis d’un coup, comme si elle s’apercevait soudain que je ne suis pas près d’elle, elle me cherche du regard, me sourit et me fait finalement signe de la rejoindre. Je lui réponds par un signe de tête négatif, lui montrant les verres que je tiens toujours avec un air penaud. Elle hausse les épaules et vient récupérer son cocktail, dont elle boit une gorgée rapidement avant de me lancer :

- Tu viens danser ?

- Euh… ouais mais non en fait… je n’sais pas trop bien danser moi tu sais…

- Mais si rooohh ! Allez fais pas ton timide, viens danser avec moi s’il te plait ! J’ai envie de me bouger là ! Je veux profiter de ce moment avec toi !

Elle me regarde avec ces yeux mielleux et pétillants d’envie, et je fonds littéralement. Comment résister à ce joli minois lorsqu’elle me fixe avec cette intensité ? Après tout, c’est SA soirée, je ne peux rien lui refuser.

- Bon… d’accord. Mais ne te moque pas de moi hein !

Elle affiche un large sourire, et j’ai tout juste le temps de poser nos verres sur la table la plus proche avant qu’elle ne m’entraine vers la piste en se faufilant au milieu de la foule. Nous dansons alors ensemble, timidement pour ma part. Puis les rythmes latino nous emportent et elle me prend les mains pour que je la fasse tourner sur elle-même. Nous rions de bon cœur, elle est magnifique. Et heureuse ! Lorsque la musique devient plus caliente, elle vient se caler devant moi pour me faire suivre ses mouvements d’ondulation. Elle se colle littéralement contre moi et je sens son bassin se frotter contre mon bas ventre. Je respire son parfum enivrant, mes mains suivent les courbes de son corps, ma bouche effleure la peau de son cou pendant que ses doigts passent dans mes cheveux et glissent le long de ma joue jusqu’à mon torse dans une danse sensuelle. Je perçois les regards envieux de certains hommes autour de nous, et je me sens tellement fier.

Puis la chanson s’arrête d’un coup, et un son beaucoup plus calme se fait entendre dans les hautparleurs : Un slow. Elle se retourne, un peu surprise par ce changement brutal, et m’interroge du regard. Je m’approche et l’enlace par la taille avec un sourire enjôleur. Elle passe ses bras autour de mon cou en me souriant à son tour, puis nous tournons lentement en rythme, son menton posé sur mon épaule. Elle se redresse ensuite et plonge ses yeux dans les miens à travers ses fausses lunettes, nos visages à quelques centimètres l’un de l’autre. Plus rien n’a d’importance à part nous deux. La musique nous enveloppe et tout disparait autour : la clientèle, la serveuse, les danseurs… Je ne vois plus qu’elle. Mon cœur bat la chamade, il va sortir de ma poitrine si ça continue. Je sens sa chaleur, son souffle, ses mains qui caressent ma nuque délicatement. Instant idyllique.

- Alex… Je voulais te dire... me murmure-t-elle, si près de ma bouche. Merci. Pour tout. Pour cette soirée magique, ces moments du quotidien que tu as partagé avec moi aujourd’hui. Merci d’avoir pris des risques pour m’emmener ici avec toi, pour me faire découvrir ta région, tes racines, la vraie vie surtout. C’est vraiment adorable.

- Je l’ai fait pour toi, et uniquement pour toi.

- Alors, merci d’avoir fait tout ça pour moi.

Je me noie dans ses yeux profonds. Son visage se rapproche de moi doucement, jusqu’à ce que nos lèvres se retrouvent avec tendresse et passion, dans un baiser chaste mais si profond.

Soudain, des applaudissements et des huées retentissent autour de nous, nous faisant sursauter. Tout le monde nous regarde et nous acclame avec le sourire. Certains nous sifflent même avec enthousiasme ! Un peu perdus au début, nous regardons autour de nous d’un air incrédule, puis nous comprenons que la foule nous félicite pour le bisou, pensant probablement que nous ne sommes pas encore en couple et qu’il s’agit de notre premier rendez-vous. Nos regards se croisent et nous rions de leur méprise, comme deux amants pris en flagrant délit. Natalia rougit et vient se blottir contre moi, un large sourire aux lèvres, encouragée par leur approbation.

Nous décidons de rester pour danser et rire avec les fêtards du quartier encore un peu. Alors que je retourne au bar pour nous reprendre des boissons, le barman me lance gaiement, tout en essuyant un verre :

- Joli brin d’femme, t’as d’la chance p’tit gars ! Faut pas la laisser passer, hein !

- Ouais, parce qu’une nana comme celle-là, ça court pas les rues ! approuve un client à côté.

- Merci, je leur réponds avec un sourire entendu, avant de me retourner pour admirer l’élue de mon cœur. Ça, je ne risque pas de l’oublier.

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