Chapitre 27 – Le Calme

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Après cette révélation à Jason, tout me semble beaucoup plus facile à vivre au studio. Mes rendez-vous avec Naty à la machine à café passent crème et ne me font plus peur. Quand Jason nous surprend en train de discuter pourtant bien sagement, je lis même dans son regard une pointe de jalousie et cela me fait tellement plaisir ! Je suis certain qu’il meurt d’envie de venir faire son mielleux pour essayer de me voler la vedette auprès de cette célébrité qu’il n’a pas lui-même réussi à approcher. Ou juste qu’il trépigne de lui demander si mon histoire est bien réelle.

 Sophie et moi continuons de jouer la comédie concernant notre relation, et Natalie entretient les rumeurs avec nous. Quand on le peut cependant, on ne se prive pas d’un petit geste attentionné ou d’un effleurement de doigts pour se rappeler notre désir réciproque.

Le seul point qui me chagrine un peu, c’est que tout ceci reste fictif et que la véritable nature de notre relation désormais n’a toujours pas été évoqué clairement. Je ne sais donc toujours pas si ses sentiments sont bien réels et s’il s’agit bien d’amour dont il est question entre nous. Enfin… Pour ma part, je sais parfaitement que je suis complètement dingue d’elle. Elle m’obsède en permanence, occupe sans arrêt mon esprit. Elle a pris possession de tout mon être et je ne saurais plus me passer d’elle. Sa présence chez moi chaque soir de la semaine est une nécessité aujourd’hui. J’ai besoin de la prendre dans mes bras, de sentir sa peau, son odeur… Elle est ma raison d’être. Le temps me semble une éternité lorsque je suis dans l’obligation de l’attendre seul. Heureusement, maintenant, nous arrivons à communiquer par message et je ne m’inquiète plus lorsqu’elle rentre tard car elle pense bien à me prévenir avant. Mais les week-ends restent bien souvent une torture pour moi. Et ma famille le ressent, un peu trop à mon goût d’ailleurs.


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Ce vendredi soir, je rentre exténué chez mes parents pour y passer le week-end. Le travail s’accélère peu à peu, et les journées sont de plus en plus chargées. Je suis cependant soulagé car j’ai réussi à voir Naty avant de partir. C’est donc plutôt souriant que j’ouvre la porte d’entrée du vieux corps de ferme rénové avec soin par ma famille.

- C’est moi ! je lance à la volée, en posant mon sac par terre.

J’entends dévaler l’escalier et j’ai à peine le temps de me retourner que ma sœur cadette me saute dans les bras.

- Outch ! Ah mais tu es là toi aussi !! je m’exclame en l’enlaçant bien fort.

Lola n’est pas souvent présente le week-end car elle poursuit ses études dans la région lyonnaise, où elle loge donc désormais à l’année. Elle veut être ingénieure dans les laboratoires, et a été admise en école polytechnique l’an passé. Mes parents sont très fiers d’elle, et moi aussi. Nous sommes très proches depuis tout petits, malgré notre écart d’âge, et j’avoue qu’elle me manque lorsque je retourne dans le nord.

- Che chuis chi contente dwe te refoir ! bafouille-t-elle, la bouche enfouie dans le tissu de mon t-shirt, qu’elle serre fort.

- Moi aussi ma Lolo !

- Ah c’est toi, Alex, mon chéri ! lance ma mère en sortant la tête de la cuisine, tout en s’essuyant les mains sur un torchon. On t’attendait de pied ferme ! Enfin… Surtout Lola !

Ma mère est toujours en ébullition quand ma sœur remonte. Elle sort la belle vaisselle et mijote ses petits plats préférés pendant des heures. Une fois détaché de ma frangine, je m’avance dans la cuisine pour embrasser ma mère sur le front.

- Bonjour M’man. Papa n’est pas là ?

- Il est dans le jardin. Il se bat avec le motoculteur depuis hier, mais il refuse de l’apporter en réparation… Tu connais ton père…

Oh oui, je ne le connais que trop bien ! Mon père est une vraie tête de mule lorsqu’il s’agit de mécanique. C’est lui qui m’a transmis sa passion, et c’est grâce à lui que je me suis lancé dans mon métier actuel. Même si mes parents n’approuvent pas toujours mon style de vie et qu’ils s’inquiètent souvent de mon manque de stabilité professionnelle, ce n’est cependant pas lui qui me fera une réflexion car il sait qu’il est en partie à l’origine de ma carrière. Je sors donc le rejoindre. Il est effectivement en train de jurer, penché sur cette pauvre machine qui crache des volutes de fumée noire n’augurant rien de bon.

- Salut Dad ! Qu’est-ce que tu bricoles encore ?

- Ah ! Salut fils ! Ce foutu motoculteur ne veut plus démarrer ! Regarde : Quand je lance le démarreur, il s’étouffe, on dirait. J’ai déjà tout démonté mais je ne vois pas ce qui cloche…

- Tu veux que j’y regarde avec toi ?

 Et nous passons la soirée les mains dans le cambouis, à torturer l’engin à la lumière du spot installé sur le cabanon de jardin. Vers vingt et une heure, l’estomac de ma sœur n’y tient plus, et elle vient finalement nous chercher à coup de grands gestes et de jurons. Mon père la sermonne pour son langage châtié, mais nous finissons tout de même par abandonner notre besogne. Ce n’est que partie remise car nous y retournons dès demain matin, comme lorsque j’étais gosse. On n’abandonne pas chez les Paleton !

 Après un décrassage en règle dûment imposé par la maitresse de maison, c’est la famille au complet qui s’installe à table. Les discussions endiablées se succèdent dans la joie et la bonne humeur, la fratrie étant réunie. Après l’interrogatoire de Lola par les parents, arrive le mien, tenu de main de maitre par la frangine que je soupçonne de se venger. Je lui raconte donc rapidement les diverses installations et leur utilité dans le processus de tournage, l’ambiance parfois tendu du studio, les difficultés que je rencontre à réparer les erreurs de Jason, et ma nouvelle collègue pas si inconnue que ça. Lola ne se souvient pas de Sophie, mais elle se rappelle qu’à l’époque j’étais en admiration devant les yeux bleu azur d’une jeune fille qui, d’après elle, faisait déjà chavirer mon cœur. J’insiste sur le fait que nous sommes avant tout collègue, même si effectivement nous sommes un peu plus proches désormais, voir amis. Le regard de tous les membres de la famille en dit long sur leur vision peu convaincue des choses. Mes parents ayant déjà entendu mon récit durant les week-ends précédents, ils retournent cependant à leurs occupations sans vraiment trop écouter le reste de notre conversation.

 A la fin du repas, nous buvons notre café tous ensemble, repus par le festin maternel. Au milieu d’une conversation avec mon père et ma sœur, mon téléphone vibre dans ma poche de jean, m’indiquant l’arrivée d’un message. Je jette un œil et je constate qu’il s’agit d’un doux message de Natalia. Malgré moi, je souris en le lisant en douce sous la table.

- Qu’est-ce que tu caches comme ça, toi ?! m’assène Lola, qui n’a pas perdu une miette de la scène.

- Hein ?! Bah rien… je lui réponds, soudain pris au dépourvu, en rangeant mon téléphone.

- C’est ça ouais ! Fais pas genre, je t’ai vu hein ! L’autre il lit un message en cachette sous la table, il sourit comme un gros bêta et il dit qu’il n’y a rien ?? Et mon œil aussi ! C’est qui ??

- De quoi tu parles ?

- C’est quiii ??? insiste-t-elle fortement, en trépignant d’impatience.

Je regarde autour de moi, et constate que mes parents sont désormais très attentifs. Ma mère s’est arrêtée dans son geste, la cafetière à la main, et mon père me fixe du regard d’un air interrogateur, tenant sa tasse en attente du précieux liquide.

- Haaaannn !! s’exclame Lola. C’est Sophie, c’est ça ?! C’est ta meuf ! Tu sors avec elle en fait ! Je m’en doutais que t’avais une meuf, et j’suis sûre que c’est elle !!

- Hein ?! Mais non ! Je t’ai déjà dit que c’était une amie, bordel !!

- Menteur !! Bah dis-nous qui c’est, alors ! Parce que tu as une copine, j’en suis certaine !

- Et qu’est-ce qui te fais dire ça ?

- Tu as l’air plus joyeux, plus épanouie, alors que tu n’arrêtes pas de te plaindre de ton boulot…

- Ah oui, ça c’est vrai ! réplique ma mère. On l’a remarqué aussi, ton père et moi. Hein, Alain ?

- Et tu souris bêtement quand tu reçois un message ! reprend Lola. Il a une petite copine, j’vous dis ! ajoute-t-elle à destination des parents.

Me voilà démasqué, encore une fois. Décidément je ne suis vraiment pas doué pour leur cacher des choses… Mon père reste muet, mais me fixe intensément. Je sens que lui aussi attend ma réponse. Ma mère et ma sœur trépignent, le sourire jusqu’aux oreilles. Je prends finalement une grande inspiration et finis par lâcher :

- Oui OK, c’est vrai. J’ai quelqu’un…

Ma sœur laisse exploser sa joie en levant les mains au ciel, poings serrés, victorieuse. Ma mère pose aussitôt la cafetière, manquant de brûler la main du paternel au passage, et contourne la table pour venir m’attraper le visage et me couvrir de baisers.

- Mon fiston chéri ! ENFIN !

- M’enfin Maman, c’est bon quoi ! Ce n’est pas la première nana que j’ai, quand même ! Je lui rétorque un peu vexé en me débattant. Pis j’ai dit que j’avais une petite amie actuellement, j’ai pas dit qu’on allait se marier non plus, hein !!

- Oui mais d’habitude tu n’en parles même pas. C’est du sérieux, là, non ??

- Oui, oui… Enfin… Je crois…

- Comment ça, « tu crois » ?? intervient Lola, brusquement stoppée dans sa danse de la joie.

- C’est récent. Et je ne veux pas mettre la charrue avant les bœufs, mais… Enfin, pour moi c’est sérieux oui. Mais ça l’a aussi été avec certaines de mes ex, hein ! Même si, là, c’est différent, je l’avoue… Disons que ce n’est pas simple pour autant.

- C’est qui ?? insiste de nouveau ma sœur. C’est Sophie ou pas ??

- Non, ce n’est pas elle. Je te le répète : Sophie est une amie. Une bonne amie, certes, mais une amie seulement.

- Alors c’est qui ? Comment elle s’appelle ? Elle fait quoi comme job ? Elle a quel âge ?

- Oula oula, tout doux ! je rétorque, acculé. Elle s’appelle Natalia et elle a deux ans de plus que moi, mais c’est tout ce que je peux vous dire. Le reste, je préfère le garder pour moi pour l’instant.

- Comment ça ?! s’offusque ma mère, les mains sur les hanches. On est ta famille, tu peux tout nous dire, tu sais !

- Oui je sais m’man, mais pour le moment je vous assure que je ne peux rien vous dire de plus. C’est compliqué, mais en gros, elle n’a pas vraiment le droit de sortir avec moi normalement. On se voit en cachette uniquement.

- Ouuuuh, mais c’est une vraie histoire d’amour de contes de fées alors ! S’enthousiasme Lola, en sautillant sur place. C’est trop mignooonn !

- Ouais bah t’emballes pas trop hein… Parce que c’est surtout une histoire d’amour interdite. Donc ça veut dire : Pas certaine d’aboutir à quelque chose, tu vois…

- T’as pas une photo ? Qu’on voit un peu son joli minois !

- Bah non justement !! Je ne peux PAS avoir de photo d’elle puisqu’on n’est pas censé se fréquenter ! Andouille !!

- Peu importe, intervient maman. Tu es heureux ?

- Oui. Je profite de chaque instant avec elle en tout cas.

- Eh bien alors, moi, je suis contente pour toi, mon fils ! Si cela te rend heureux quand même, c’est l’essentiel. Peut-être que ça n’ira pas plus loin, peut-être que si, mais pour le moment tu sembles épanoui et amoureux, et c’est tout ce qui compte pour nous. Hein, Alain ?

Mon père acquiesce d’un hochement de tête entendu, un petit sourire attendri aux lèvres. Il n’a pas pour habitude de montrer ses sentiments, mais son regard me signifie une certaine fierté. C’est qu’ils vont me faire chialer en plus !

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