Chapitre 29 – Dépression
Je n’en reviens toujours pas. Je ne comprends pas ce qu’il vient de se passer. Je ne comprends pas comment nous avons bien pu en arriver là. Comment cela a-t-il pu se produire ? Comment peut-elle me laisser planter là, après tout ce que nous avons vécu ensemble ? J’étais pourtant certain que nous étions en accord, que nous éprouvions tous deux des sentiments réels l’un pour l’autre. C’était devenu si fort entre nous. Je ne peux pas croire que tout cela se révèle finalement faux, que je me sois trompé à ce point. C’est insensé.
Je reste figé, seul dans mon salon, à fixer la porte obstinément, en espérant qu’elle la franchise de nouveau pour revenir me dire que tout ceci n’était qu’une vaste blague, un canular. Mais ce n’est pas le cas. Et les heures défilent, lentement, alors que je végète, solitaire et immobile. Tout se bouscule dans ma tête. Je suis au trente-sixième dessous : Mon bonheur s’écroule. Moi qui venais d’en toucher deux mots à ma famille, en plus… Je croyais dur comme fer à la possibilité de notre amour, même si cela me demanderait des sacrifices. Je croyais tellement qu’il y avait réellement quelque chose de plus entre elle et moi… Comment ai-je pu être aussi bête… Evidemment que cela n’allait pas durer, je m’y étais pourtant bien préparer à cette éventualité après notre première fois ! Tout ceci était trop beau pour être vrai. Je me suis clairement fait des illusions, et je m’en veux terriblement de ne pas avoir écouter la petite voix dans ma tête qui me le criait haut et fort depuis le début. Je suis vraiment trop stupide…
Et pourtant… Pourtant, j’ai du mal à croire à son récit d’une rencontre improbable lors d’une soirée improvisée, durant laquelle elle serait soi-disant tombée soudainement et totalement amoureuse d’un mec qu’elle ne connaissait absolument pas avant. On ne change pas ses sentiments aussi vite, c’est impossible. Ou alors, c’est qu’elle n’en avait pas vraiment pour moi, ce dont j’ai quand même beaucoup de mal à croire au vu de l’état de notre relation ces derniers temps. Je ne peux pas m’être fait de fausses idées à ce point. Il y a eu des signes tout de même, j’en suis certain. Et puis d’abord, c’est qui ce type ? Un producteur, à ce qu’elle a dit ? Un producteur, et elle ne le connaitrait pas d’avant ?? C’est ridicule… Cette histoire n’a aucun sens. Dans son métier, elle connait forcément tous les producteurs sur le marché. A moins qu’il soit fraichement débarqué dans le milieu ? Mais dans ce cas, que faisait-il à un gala auquel aurait été invité des personnalités prestigieuses comme elle ? Un nouveau qui a de bonnes relations, pistonné peut-être ?
Je n’en peux plus. Je bouillonne, je tourne en rond comme un lion en cage. Je n’arrive pas à me mettre dans la tête qu’elle ne reviendra plus. Qu’elle m’a belle et bien largué. Notre histoire ne peut pas se terminer ainsi.
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Les jours qui ont suivis, j’ai pourtant dû me rendre à l’évidence : Tout est bien fini entre elle et moi. J’ai passé mes soirées à l’attendre mais elle n’est jamais revenue.
Mon moral est au plus bas, je fais les choses par réflexe mais je ne vis plus vraiment. J’ai perdu ma joie de vivre, ma bonne humeur. On dirait un robot, je n’ai plus goût à rien. Même les attaques de Jason ne m’atteignent pas. Je ne ressens plus rien, je me sens vide.
Lorsque je la croise au loin, je me souviens que j’ai apparemment toujours un cœur, car il se serre alors si fort que j’ai l’impression d’étouffer. Et elle ne me calcule pas, elle ne me regarde même plus. Il n’y a plus de petits rendez-vous à la machine à café, plus de petites discussions informelles, plus de clins d’œil ni d’effleurements de peau volés. Tout s’est arrêté d’un coup, sans crier garde. Elle ne parait pas forcément plus heureuse qu’avant toutefois. J’aimerai lui parler, lui poser des questions pour éclaircir la situation. Pour comprendre surtout.
Alors que je l’observe de loin, avec l’envie folle de la rejoindre, Sophie s’aperçoit de mon désarroi et tente de comprendre ce qui ne va pas, inquiète.
- Euh… Ça va Alex ??
- Hein ?! Euh… Oui, oui…
Ma tête de dépité ne la convainc pas du tout, et elle me regarde d’un air d’incompréhension. Son regard suit le mien et elle aperçoit alors Natalia. Elle hausse un sourcil d’un air interrogateur.
- Tout va bien, vous deux ? me chuchote-t-elle finalement, en se rapprochant pour ne pas être entendue.
Je ne réponds pas. Que dire, surtout ? Je ne suis pas sûr d’arriver à lui expliquer, alors que je suis moi-même perdu. Je baisse la tête et je sens les larmes monter.
- Oh, Alex ? Bah réponds-moi, qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne va pas ??
- Non, je lâche dans un soupir, la gorge serrée.
Je relève la tête et elle aperçoit mes yeux remplis de larmes. Je ne suis pas du genre à me lamenter et à pleurer pour rien, même si je suis quelqu’un de sensible. Mais là… Je ne peux plus retenir ma peine, tellement celle-ci est immense. Je n’arrive pas à formuler ma phrase, celle qui rendra concrète notre rupture.
- Oh non… soupire-t-elle, déconfite et comprenant soudain. Que s’est-il passé ?
Je déglutis difficilement, retenant les larmes au coin des yeux, et lui explique :
- Elle a rencontré quelqu’un…
- Quoi ?! s’insurge Sophie. C’est impossible ! Tu déconnes ?!
Je me mords la lèvre pour essayer de ne pas craquer. Mais j’ai envie de hurler, de faire sortir toute ma colère et ma tristesse.
- C’est elle qui t’a dit ça ?? me demande Sophie.
J’acquiesce d’un hochement de tête, fixant des yeux le domino que je tente tant bien que mal de relier à ce foutu câble électrique pour m’occuper les mains.
- Mon Dieu… Bon, se reprend-elle. Écoutes, on n’va pas en discuter ici, OK ? Je viens te voir ce soir et tu me raconteras tout, bien tranquillement. Allez, remettons-nous au travail, ça t’occupera…
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Après notre journée de travail, c’est donc accompagné que je rentre dans mon petit chez moi. Nous n’avons pas prononcé un mot du trajet. J’ai, comme chaque soir, un pincement au cœur lorsque j’ouvre ma porte et que je réalise que personne ne m’attend plus désormais. Sophie prend les choses en mains et s’occupe de tout : elle m’assoit sur le canapé et commence à ranger mon bordel, laissé en plan depuis ma dernière visite catastrophique. Je la regarde s’affairer, et la question de ses véritables sentiments pour moi me traverse l’esprit. Natalia a-t-elle raison ? Serais-je mieux avec Sophie qu’avec elle ? Après tout, c’est vrai que Sophie est plutôt jolie elle aussi… Je ne peux pas dire que je ne la trouve pas séduisante en tout cas. Et elle prend soin de moi… Ce qui est certain, c’est que nous n’aurions pas besoin de cacher notre relation ! Mais ce n’est pas d’elle dont j’ai envie…
Pendant que je cogite de nouveau, elle passe dans la cuisine, pousse un soupir et revient, un verre d’eau à la main.
- Tu n’as pas manger depuis combien de temps ? me demande-t-elle, entre reproche et compassion.
- Je ne sais pas…
- Tiens, bois un peu au moins, me dit-elle en me tendant le verre.
Une fois une petite gorgée avalée difficilement, Sophie s’assoit à mes côtés et pose sa main sur mon genou tendrement.
- Bon. Alors ? Raconte-moi tout maintenant, me dit-elle d’une voix douce et attentionnée.
A la fin du récit de cette soirée plus qu’irréelle, Sophie ne dit rien. Elle encaisse, comme moi – qui ait fini par craquer, en larmes – et semble réfléchir, le regard dans le vide.
- C’est quand même bizarre… lâche-t-elle enfin, en se grattant le menton. C’est une histoire insensée, cette nouvelle conquête, non ? Enfin, moi, ça me parait tout de même rudement louche ! Genre elle rencontre un mec, comme ça, et d’un coup elle en tombe éperdument amoureuse ?! J’n’y crois pas une seule seconde ! Y’a un truc, ce n’est pas possible autrement… Ou elle le connaissait déjà, peut-être même qu’elle le fréquentait en même temps que toi. Ou tout ça n’est qu’une excuse pour mettre un terme à votre relation.
- Mais pourquoi voudrait-elle arrêter notre relation, justement ?? Quelle en serait la raison ? C’est la question que je me pose depuis ce soir-là…
- Y a-t-il réellement une raison valable d’ailleurs ? Tu n’as rien vu venir ?
- Tout allait bien d’après moi. Je ne comprends vraiment pas…
- Il y a forcément un élément déclencheur. Elle ne peut pas retourner sa veste comme ça, sans raison !
- Peut-être… Mais lequel ? Dans tous les cas, elle m’a largué et ça, c’est un fait. Tu le vois bien au quotidien, toi aussi : Elle ne me calcule même plus ! J’en suis malade, j’te jure…
Sophie a un petit pincement de lèvres compréhensif, et frotte mon dos pour me consoler.
- Tu devais te douter que ça arriverait un jour, non ?
- En vérité, j’en étais arrivé à croire qu’il y avait bien quelque chose de plus profond ces derniers temps… Il y a eu des signes qui ne trompent pas, quand même ! On a parlé d’avenir tous les deux, on a même évoqué le fait de révéler notre relation au grand jour, même si on ne voyait pas de solution adéquate… Qu’est-ce que je vais devenir sans elle, moi maintenant ?!
- Moi je ne te lâcherai pas, promis.
- C’est gentil, mais malheureusement, et sans vouloir t’offenser, c’est d’elle dont j’ai besoin…
- Oui, je sais… Mais tu ne peux pas la forcer à t’aimer…
Elle a raison. Je sais qu’elle a raison. Pourtant, je n’arrive pas à me la sortir de la tête. Et encore moins du cœur.
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