Chapitre 30 – Pression

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 La fin du tournage approche et le travail de Natalia lui prend un peu plus de temps désormais : entre les dernières scènes du film qui s’accélèrent pour tenir les délais, et les répétitions et autres enregistrements pour son doublage, elle court partout et c’est à peine si je la croise en ce moment. Elle paraît parfois très fatiguée. Je le vois, même si nous ne nous sommes pas reparlés depuis notre rupture unilatérale.


 Cela fait maintenant un mois complet que nous sommes séparés, mais je ne pense toujours qu’à elle en permanence. Je n’en peux plus, je survis plus qu’autre chose. Pour moi, c’est comme si l’horloge s’était arrêtée ce soir-là. Sophie a beau être très présente et adorable avec moi, je n’arrive pas à l’oublier ni à passer à autre chose. Heureusement que le travail me prend pas mal de temps, et que cela me permet de m’occuper au moins pendant la journée. Mais lorsque je peux l’apercevoir et que je constate son manque d’énergie, j’ai envie de lui remonter le moral, de la serrer dans mes bras pour lui dire que tout se passera bien et à quel point je l’aime. J’espère que mon remplaçant le fait à ma place, et correctement…

Sophie a prétexté à ma place un deuil dans ma famille, afin que personne ne me pose de question sur mon humeur actuelle alors que nous n’avons pas mis fin à notre histoire, même si cela n’a plus aucun sens aujourd’hui. C’est elle qui a insisté pour continuer tout de même. Je n’ai toujours pas compris pourquoi mais après tout, en quoi cela peut-il être gênant ? Elle dit que ça pourrait me servir à la rendre jalouse quand même, et que peut-être elle finirait par regretter sa décision. J’ai des doutes, mais je préfère la laisser y croire. Elle fait tellement son possible pour m’aider et me remonter le moral, que je n’ai pas la force de la contredire. Chaque jour, elle fait en sorte que je n’ai pas le temps de cogiter, ni au travail ni chez moi. Elle essaye d’être toujours joyeuse et de me faire rire. On s’envoie beaucoup de message et on discute pas mal. Parfois le soir, elle me raccompagne et on boit une bière ensemble, pour que je ne reste pas seul trop longtemps. Il n’y a pas à dire, j’ai une amie en or.


 Au studio, on sent une effervescence grandissante. Les équipes s’agitent dans tous les coins du studio, quel que soit le corps de métier. Les scènes les plus faciles ont déjà étaient retenues et mises en boîte, restent quelques cascades à tourner. Malheureusement, les plannings de chacun sont très chargés, et il est parfois difficile d’organiser le croisement de tous les protagonistes pour une seule et même partie du film. Sans parler des diverses promotions que les acteurs et producteurs doivent tenir, afin d’assurer le succès de la sortie en salle du futur blockbuster.

Tout le monde est à un niveau de stress élevé et les embrouilles ou galères s’enchainent parfois sur les plateaux. Les boulettes s’accumulent car tout est fait à la va-vite. De mon côté, je passe mon temps à réparer les erreurs de plus en plus fréquentes, notamment celles de Jason, et cela commence à m’horripiler sérieusement. Même s’il a parfaitement compris que ce n’était pas la grande forme pour moi en ce moment, il continue de me casser les pieds. On dirait qu’il prend un malin plaisir à saboter le travail, sachant que cela aura un effet sur le mien. Je n’ai cependant pas la force de me battre contre lui, mais cela devient compliqué à gérer quand même, car je n’ai pas que ça à m’occuper. Je cours déjà sur tous les fronts, alors que lui ne semble pas plus angoissé que d’habitude, comme s’il vivait sur une autre planète. Certains prennent son comportement pour une maitrise de lui-même face à la pression de fin de tournage, Sophie et moi pensons plutôt qu’il n’en a juste rien à faire, et que ça l’amuse de me mettre encore une fois des bâtons dans les roues. Le problème, c’est que cela n’affecte pas que mon travail à moi…


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 Aujourd’hui doit être tournée la dernière cascade du film. Le décor a été terminé à la hâte la veille, à la demande de la production, dans le plus grand hangar du studio. Tout le monde s’active, courant dans tous les sens pour que tout soit prêt. Sophie et moi finissons de réparer la casse sur les branchements hasardeux des électriciens surbookés, bousculés sans cesse par les équipes techniques, eux-mêmes mis sous pression par le réalisateur qui doit absolument tenir les délais imposés.

Je m’agace un peu de l’agitation ambiante, n’étant pas vraiment jovial et mentalement épanoui en ce moment. Sophie tempère tant bien que mal mes humeurs, en étant des plus compréhensive avec moi, mais elle aussi commence à s’énerver de cette ambiance plus que stressante, propice aux erreurs.


 A midi, le bruit court que la doublure attitrée de Natalia Johansson s’est grièvement blessée, et qu’elle risque de ne pas pouvoir assurer la fin du tournage. C’est la catastrophe, le réalisateur est en panique. Il hurle son désespoir dans tout le studio, s’arrachant littéralement les cheveux. Cette cascade est une des plus importantes et plutôt dangereuse à tourner. Les costumières proposent de grimer une autre cascadeuse professionnelle, mais cela ne le convainc pas du tout. Les équipes numériques proposent également de tout miser sur les effets spéciaux, mais c’est finalement la solution de Natalia qui est retenue : Elle fera elle-même cette scène.

 Lorsque la décision arrive jusqu’à mes oreilles, cela ne m’enchante pas vraiment. Je m’inquiète même pour elle, sachant qu’elle m’a confié avoir le vertige et que ce plan s’avérait déjà compliqué et dangereux avant cela : Accrochée à deux câbles en haut d’un mur de plus de vingt mètres de hauteur, elle va devoir se laisser tomber dans le vide en imitant une course folle à la verticale le long d’un bâtiment. Evidemment, un gros matelas de réception l’attendra en bas du faux mur, mais l’appréhension sera forcément énorme et intense. Dans un sens, j’admire son courage, mais je sais qu’elle va énormément stressée, et cela ne me dit rien qui vaille. Il se pourrait même qu’elle n’y arrive finalement pas du tout, et qu’elle reste tétanisée, sans que je ne puisse lui venir en aide.

 Alors que je reviens dans le hangar où est installé la façade fictive qui permettra sa course verticale, Natalia est en pleine discussion avec le coordinateur de cascade. Elle analyse avec lui le plan et les différentes actions pour lui assurer une totale sécurité. Lui comme elle, ne semblent pas très rassurés et discutent vivement des dernières améliorations à apporter. Je ressens son stress d’ici, je la connais par cœur : elle triture ses doigts, serre les poings régulièrement, ronge ses ongles, trépigne sur place, passant en appui d’une jambe à l’autre, se mordille les lèvres. Même son visage est visiblement en plein doute : ses yeux sont fuyants et scrutent autour d’elle comme un insecte pris au piège. J’essaie de la croiser, ou ne serait-ce que son regard pour la rassurer, en vain. Au vu des risques importants pris pour cette scène, Sophie et moi devons aider à ajouter quelques caméras supplémentaires, afin d’avoir besoin du moins de prises possibles et d’éviter de rejouer la cascade de trop nombreuses fois. Je n’ai donc malheureusement pas le temps de m’appesantir et je me vois dans l’obligation d’abandonner ma tentative de réconfort à distance. Et c’est à contrecœur que je repars vaquer à mes occupations professionnelles en compagnie de ma collègue préférée, qui a bien compris mon petit manège et tente de me reconcentrer sur le travail.

 De son côté, Natalia cherche aussi à me voir, mais le timing n’est pas bon et nous ne faisons que de nous éviter. Elle réclame après moi autour d’elle, mais les employés sont tellement préoccupés par leurs propres préparatifs, que personne ne peut ou n’a le temps de lui répondre. De toute façon, je cours dans tous les sens pour aider au maximum les machinistes, il est donc difficile de me localiser avec exactitude. Sophie entend parler de sa recherche et m’en fait part. Je suis surpris d’apprendre que Natalia souhaite me voir, même si mon cœur reprend soudain vie à l’idée qu’elle se souvient encore que j’existe et qu’elle ait à priori besoin de moi. Malheureusement, lorsque celle-ci m’aperçoit enfin au loin et qu’elle essaie de venir à ma rencontre, elle est alpaguée pour revoir le scénario et les diverses consignes de sécurité avec les équipes techniques. Et lorsque c’est moi qui l’aperçois et que je tente une approche, c’est une nouvelle directive à mettre en place ou un nouveau pépin technique qui me tombe dessus. Bref, les planètes ne sont apparemment pas alignées et le destin ne nous permet pas de se revoir avant le début du tournage.

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