Chapitre 32 – L’Après Apocalypse

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Plusieurs minutes s’écoulent, interminables, avant que le déluge ne prenne fin dans le hangar. Le silence s’installe, pesant. La poussière également. Le temps semble s’être arrêter, comme en suspens. Le calme après la tempête.

 Natalia et moi sommes toujours collés l’un à l’autre, emmitouflés dans le matelas de réception. Je sens le souffle chaud de sa respiration dans mon cou, saccadée et rapide. Je ressens les battements de son cœur qui cogne contre sa poitrine à un rythme effréné. Le mien aussi. Scrutant le moindre bruit suspect, en attente d’une nouvelle vague déferlante, ni l’un ni l’autre n’ose bouger. Après quelques instants sans percevoir de mouvement à l’extérieur, je décide de me redresser. Je me décolle lentement de sa nuque, et je peux enfin la regarder en face. Son visage est complètement terrifié, dégoulinant de larmes. Elle semble d’abord perdue, encore sous le choc. Puis elle plonge son regard dans le mien, et j’aperçois dans la profondeur de ses yeux bleu-vert une immense gratitude. Ses mains glissent du matelas jusqu’à venir se poser délicatement sur mon torse.

- Ça va ? je lui demande alors.

Elle me répond par un hochement de tête positif, tout en continuant de me fixer intensément. Je sens ses doigts m’effleurer doucement, son souffle encore court. Elle ne dit rien, mais je sens une énorme émotion l’envahir, comme si elle réalisait soudain. J’ai moi-même du mal à croire que nous soyons encore en vie et indemnes tous les deux. Cependant, retrouver cette proximité avec elle me fait du bien, même s’il n’est absolument pas question d’une quelconque pulsion d’ordre sexuel à l’heure actuelle.

 Après quelques minutes à vérifier que nous sommes toujours entiers, encore dopés par l’adrénaline, j’essaie de me relever, mais le poids de la structure en décomposition nous écrase. Je prends appui des deux mains de part et d’autre de ses épaules et tente de nouveau de soulever notre abri matelassé. Mes membres tremblent sous l’effet de la pression, et lorsqu’elle s’en rend compte, elle appuie ses paumes de mains sur mes pectoraux pour me soutenir. Stimulé par ce contact encourageant, je redonne un coup de force supplémentaire pour nous dégager encore un peu plus. J’aperçois enfin furtivement de la lumière au-dessus des cheveux de Naty. Elle suit mon regard en relevant la tête et le remarque également, puis me regarde d’un air déterminé pour m’indiquer qu’elle a compris ce qu’il nous reste à faire. Elle entreprend de m’aider à soulever l’amas de ferraille qui s’amoncelle par-dessus nos corps jusqu’à ce que j’arrive à trouver un équilibre, les bras tendus, et que l’espace au bout du matelas soit assez important pour lui permettre de bouger. Elle s’extirpe comme elle peut en se contorsionnant, pendant que je maintiens le tout à la force de mes biceps et de mon dos. Si l’on m’avait dit un jour que je ferais une séance de sport de cette manière…

 Elle finit par atteindre l’extrémité du matelas en rampant et, lorsqu’elle peut enfin respirer l’air libre, j’entends au loin une personne crier que nous sommes vivants. Les gens accourent pour sortir Natalia complètement de dessous les décombres et l’aident à se relever. Utilisant mes dernières forces, je rampe à mon tour vers la lumière du jour. Je sens le poids de l’armature métallique reprendre sa place au fur et à mesure de mon avancée, et c’est difficilement que je sors enfin le haut du corps hors de l’épaisse couche de protection qui nous a sauvé la vie. En jetant un œil autour de moi, je constate que tout le monde s’agglutine auprès de Naty, sans me prêter attention. Ils la relèvent, l’examinent, la dépoussièrent, la soutiennent. Elle est entre de bonnes mains. Moi en revanche, je ne suis pas encore totalement sorti d’affaire. Alors que je galère à me glisser entièrement en dehors, les jambes encore coincées sous le matelas, j’entends la voix de Sophie qui se précipite dans ma direction. Elle se laisse littéralement tomber à genoux à mes côtés, attrape mes mains et s’active pour m’extraire enfin en tirant de toutes ses forces sur mes bras, prenant appui sur le gros coussin lorsque celle-ci vient à lui manquer.

Etalés l’un à côté de l’autre sur le sol, Sophie et moi reprenons notre souffle. Elle se redresse en premier, se lève et me tend la main. Je la saisis et elle m’aide à me remettre sur pieds. J’ai le dos en compote et les jambes qui flageolent, mais j’entreprends quand même de m’épousseter en frottant mes habits avec vigueur. Sophie me rattrape de justesse alors que je chancèle.

- Tout va bien ? Tu n’as rien ? me dit-elle d’un air inquiet.

- Oui oui, ça va, t’inquiètes… Je suis juste épuisé…

Lorsque je redresse la tête pour la regarder avec un petit sourire reconnaissant, elle s’aperçoit de ma blessure au visage.

- Oula, mais tu saignes ! Fais voir un peu…

Elle attrape mon visage et passe son pouce sur la plaie, qui m’élance d’un coup.

- Houtch ! Non mais ça va j’te dis, t’inquiètes pas, c’n’est rien !

- Oh ça va, fais pas ton doudouille ! Tu viens de te prendre un mur de métal de vingt mètres sur la cafetière, alors tu vas pas chipoter pour une petite griffure !

Je ris nerveusement à son franc parlé, qui me réchauffe malgré tout le cœur. En effet, Natalia et moi sommes passés par une belle porte. En me retournant pour constater les dégâts, je m’en rends très vite compte : Il y a des morceaux de ferraille et de bois cassés partout au-dessus du matelas, qui est même à certain endroit éventré. Une scène de chaos.


 De son côté, Natalia est assaillie par la foule au petit soin autour d’elle, s’agitant dans tous les sens. Claudio, arrivé au pas de course lorsqu’il s’est aperçu que c’était bien elle que l’on sortait des décombres, a du mal à repousser tous les employés, beaucoup trop proches et tactiles à son goût. Naty paraît agar, encore choquée par l’évènement, et semble ne pas trop comprendre ce qui lui arrive. Elle tente de répondre aux nombreuses questions, qu’elle capte par brides. Subitement, elle revient de nouveau sur terre et se souvient de ma présence. Entourée par toute l’assemblée soulagée de la retrouver en vie et soucieuse de son état de santé, elle me cherche du regard mais n’arrive pas à me voir par-dessus leur tête.

Son manager, après avoir copieusement pris la poudre d’escampette au moment de la catastrophe, sauvant ainsi ses propres fesses, est enfin de retour. Il rejoint l’attroupement en vociférant et en gesticulant de manière exagérée, comme s’il s’était un tant soit peu préoccupée de son artiste phare.

- ALLONS, ALLONS !! Poussez-vous !! Laissez-là respirer voyons !!! clame-t-il à tout va. Claudio, mais faites donc votre job mon vieux !!

Le pauvre garde du corps s’exécute comme il peut, se positionnant finalement entre sa protégée et la foule pour écarter ses gros bras musclés en grand, repoussant la plupart des personnes avec force.

- Ma pauvre Natalia ! reprend son manager une fois arrivée à ses côtés, faisant mine d’être scandalisé. J’espère que tu n’as rien ! Mon Dieu, c’est affreux ce qu’il t’est arrivé, vraiment !! C’est une honte, même !! On verra ça avec la production après d’ailleurs. En attendant, il faut que tu voies un médecin, et vite ! Faut faire constater tout de suite si tu as des séquelles !

- Quoi ?! Non, mais… Attends… tente de se défendre Naty, alors qu’il l’attrape par le bras pour l’emmener vers sa loge.

- Ne t’inquiètes pas, ma chérie, je vais faire venir le meilleur toubib directement dans ta loge. Faut rien laisser passer, hein ! Allez, viens !

- Mais… Attends ! Alex ?

- Dépêches-toi, ma belle ! Il faut s’assurer que tu n’es pas blessée. Ou pire : Plus apte à tourner !!

- Non, mais, écoutes-moi au moins…

Mais rien n’y fait, personne ne semble vouloir l’écouter. Brusquement, elle se dégage de son étreinte d’un revers de main, se fige et hurle :

- STOP !!!

La pièce entière s’arrête nette, stupéfaite, et tout le monde se retourne pour la fixer du regard d’un air ébahit. Sophie et moi relevons la tête, alors que celle-ci m’épongeait la joue avec un mouchoir, également surpris par cette réaction radicale et fortement agacée.

- Non mais c’est quoi ce délire, sérieux ?? Vous vous foutez tous de moi, ou quoi ?? Je vais bien, oui, mais je ne le dois qu’à une seule personne : Alex !

Sur ces mots, elle se retourne et me désigne de la main. Je reste sans voix, et observe l’assemblée un peu gêné. Quand je dis que je n’aime pas être mis en avant…

- C’est grâce à lui si je suis toujours en vie, continue-t-elle. Vous, vous faites tous comme si vous vous étiez seulement inquiété pour moi, alors que personne n’est venu à mon secours quand j’étais coincée là-haut !! LUI, il est venu me sauver, au péril de sa vie d’ailleurs. Le héros, c’est lui ! C’est aussi le seul de nous deux à être blessé, mais aucun de vous ne s’en est préoccupé ! Vous devriez avoir honte de vous, tous autant que vous êtes !!

Les employés se regardent successivement, un peu penaud et effectivement honteux, réalisant qu’ils ne peuvent nier ces dires. Sophie me regarde en coin, quelque peu vexée par cette remarque, alors je lui fais un clin d’œil bienveillant pour lui signifier qu’elle n’est pas concernée. Puis Natalia se retourne de nouveau vers son manager.

- J’accepte de voir ton médecin, si cela peut te rassurer sur mon état de santé. Mais j’exige qu’Alex soit vu également, au même titre que moi.

- Quoi ?!

- Je veux qu’il vienne avec moi dans ma loge, pour qu’il soit ausculté et traité avec autant de respect que n’importe quelle célébrité, moi notamment. Il le mérite amplement, et j’y veillerai.

- Mais enfin, Nat…

- Ce n’est pas une requête, Nicolas. C’est un ordre.

Celui-ci nous dévisage tour à tour, puis baisse la tête d’un air contrarié et tend le bras pour nous indiquer le chemin de la loge, la mâchoire crispée.

- Alex ? Tu viens ? me demande-t-elle gentiment avec un signe de tête.

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