Lorsque nous nous décollons enfin, je lis sur son visage une entière satisfaction. Ses bras enlacés autour de mon cou, elle est béate de bonheur, et moi aussi. Nos trois invités sont restés figés toute la durée de nos retrouvailles, entre passion et extase. Nicolas a la bouche grande ouverte et nous fusille littéralement du regard.

- Non, c’est impossible… crache-t-il enfin. Natalia Johansson ! Ce n’est PAS - POSSIBLE !!

- En vérité, Nicolas, je ne te demande pas ton avis ni ton approbation, lui assène Natalia avec assurance. Je te le redis : J’aime Alex, un point c’est tout. Et je veux vivre avec lui désormais. Au grand jour, sans plus jamais me cacher. Parce que je n’en ai pas honte, au contraire ! J’aime cet homme fantastique et adorable, qui prend soin de moi depuis des mois, dans l’anonymat le plus total. Et j’assumerai ma relation que ça te plaise ou non.

- Tu ne peux pas faire ça !!!

- J’vais m’gêner, tiens !!

Sur ces mots, elle m’attrape par le bras et me tire en dehors de la loge, devant les yeux ébahit de son manager pétrifié. Alors que nous marchons d’un pas cadencé vers le hangar, j’entends derrière nous le médecin dire à Nicolas « Bon. Bin… Je repasserais plus tard, hein ! », ce qui me fait doucement sourire. L’agent d’artistes grogne un coup puis se met à nous courir après en nous sommant de nous arrêter, suivi par Claudio qui ne sait plus trop quoi faire.

Malheureusement pour Nicolas, nous arrivons à destination avant qu’il ne nous rattrape. Dans la pièce, tout est encore en bazar et un léger brouillard de poussière flotte encore. Les techniciens et mécaniciens regardent l’amas de débris avec dépit et incompréhension, les mains sur les hanches. Les employés s’époussètent entre eux, certains ont le regard dans le vide, groggy et encore sous le choc de l’accident. Alors qu’on entend Nicolas appeler sa protégée dans notre dos, Natalia se retourne vivement puis me lance un rapide coup d’œil, et se précipite en me tirant par la main vers le tas de ferraille encore fumant. Elle grimpe tant bien que mal, ne lâchant pourtant pas une seconde mes doigts entrelacés dans les siens, et se redresse enfin face à l’assemblée, en me tirant à ses côtés d’un geste vif.

- EXCUSEZ-MOI !! lance-t-elle à la foule. S’IL VOUS PLAIT !

Les chuchotements diminuent à mesure que le personnel s’aperçoit de sa présence et se retourne vers elle, perplexe et intrigué.

- J’ai quelque chose à vous dire, leur dit-elle, après avoir enfin capté l’attention de tous.

Dans l’encadrement de la double porte, Nicolas se fige et devient blanc comme un linge. Il tente de s’avancer pour intervenir avant le moment fatidique, mais Claudio le stoppe net d’un revers de bras. Stupéfait, Nicolas relève la tête vers lui, mais l’air menaçant du gorille baraqué réduit au néant sa volonté de protester. Tous les regards sont tournés vers nous.

- Aheum… toussote-t-elle. Voilà… Euh… Je voulais vous dire… Enfin, vous communiquer une information importante.

La totalité de la pièce est en haleine, dans l’attente de la révélation. Légèrement stressée, alors qu’elle en a pourtant l’habitude de part son métier, Natalia semble soudain décontenancée par l’attention qui lui est portée. Elle se retourne vers moi, comme pour se redonner courage, puis prend une bouffée d’air avant d’annoncer :

- Alex et moi, on est en couple. Enfin… On sort ensemble, quoi.

L’assistance est médusée. Certains se regardent, incrédules, et les chuchotements reprennent de plus belle. J’aperçois Sophie dans le coin à droite, qui se fige et écarquille les yeux, en panique. Elle me fixe intensément d’un air interrogateur, et je lui fais signe que tout va bien. Puis, par-dessus le brouhaha incessant, une voix forte s’élève.

- Et qu’est-ce qui nous prouve que c’est pas encore des conneries tout ça ?

C’est Jason, les sourcils froncés, qui me fixe également d’un œil mauvais, les bras croisés en signe de défi. Après tout ce que j’ai pu lui faire gober, pas étonnant qu’il doute des dires de Natalia ! Celle-ci cherche des yeux l’origine de l’interpellation, puis nos regards se croisent et elle comprend immédiatement le pourquoi de cette question.

- Parce que c’est la vérité, finit-elle par lui répondre calmement.

- J’ai déjà entendu ce discours, et désolé mais je n’y crois plus, insiste Jason.

Natalia se retourne brusquement vers moi, passe ses bras autour de mon cou et m’embrasse de nouveau langoureusement. Jason tombe des nus, et observe autour de lui pour vérifier que tout le monde a bien vu la même chose que lui. Un vent de scandale plane désormais dans le hangar. Puis il se tourne vers Sophie, et lui lance :

- Alors là… Ou t’es cocue, ou j’ai loupé un truc, ma p’tite !

Sophie se décompose sur place, et ses yeux oscillent entre Jason et nous à une vitesse folle pendant que son visage s’empourpre.

- Elle n’est pas cocue, intervient Natalia. Elle ne l’a jamais été à vrai dire, puisqu’elle n’a jamais été en couple avec Alex.

- QUOI ?! s’offusque Jason. C’est quoi ce bordel ?!

- Leur histoire d’amour n’a jamais existée, c’était une diversion pour que personne ne soupçonne une quelconque romance entre nous, explique-t-elle, devant les yeux ébahis de tous les employés suspendus à ses lèvres. Sophie a été mise dans la confidence et nous a servi d’alibi pour couvrir notre relation.

Puis, se tournant vers ma complice, elle ajoute :

- Je suis désolée de révéler cette supercherie comme ça, Sophie. Je me doute bien que cela te met dans une situation délicate. Tout ceci n’était absolument pas prémédité, je t’assure ! Mais aujourd’hui, je n’en peux plus de cette situation, et je me dois de dire la vérité. Donc non, Sophie et Alex ne sont pas ensemble. Et oui, c’est moi sa véritable relation. Je suis belle et bien amoureuse de lui. Et apparemment, lui aussi. Enfin… J’espère ! s’exclame-t-elle en rigolant.

Je lui souris d’un air entendu, confirmant ces propos.

- Bref, nous nous aimons. On se voit en douce depuis des mois, pour tout vous dire. Et je ne me suis jamais sentie aussi bien avec quelqu’un ! Cet accident m’aura au moins permis de comprendre ça, et d’admettre mes sentiments pour lui. Alors aujourd’hui, je n’ai plus envie de cacher mon bonheur. Parce que, moi aussi, j’ai le droit d’être heureuse avec l’homme que j’aime, comme n’importe lequel d’entre vous ! Je veux pouvoir vivre mon histoire d’amour au grand jour, comme tout le monde, parce qu’elle est belle et que j’y crois ! Je me fiche du quand-dira-t-on, je me fiche de nos différences, des règles que l’on nous impose soi-disant pour notre image – n’est-ce pas Nicolas ? – De ce règlement ridicule qui nous interdit toute relation intime avec une personne d’un autre milieu social que le nôtre – merci Emma de m’avoir ouvert les yeux sur ce point, d’ailleurs – ! Tout ce que je sais, c’est que je l’aime vraiment, et que je ne peux plus me passer de lui. J’ai pourtant essayé, je vous assure ! Mais à l’évidence je n’y arrive pas… Je suis amoureuse de lui, et il me le rend bien. Oui, je suis vraiment comblée avec lui ! Et je pense que cela devrait être le seul et unique argument valable en ce qui vous concerne, pour me laisser vivre ma relation comme je l’entends.

Le silence dans la pièce est impressionnant… Tous écoutent attentivement Natalia, presque religieusement. Jason a les yeux grands ouverts, Emma un petit sourire en coin, visiblement satisfaite de cette révélation. Sophie scrute les réactions autour d’elle d’un air inquiet. Mais aucun ne bronche pendant tout son discours.

- Alors voilà… reprend Naty après un court instant. Maintenant que vous savez, nous vous demandons juste de ne pas nous blâmer, et d’avoir un peu d’indulgence au sujet de ce petit mensonge que nous avons dû vous faire croire. Et je vous demanderai également de ne pas divulguer d’informations à notre sujet, s’il-vous-plait. Car la notoriété ne connait pas la discrétion, malheureusement pour nous deux, et comme Alex n’est pas coutumier de cette facette de la célébrité, je voudrais que nous puissions… Enfin non, qu’IL puisse garder un semblant de vie privée, comme il peut l’avoir à l’heure actuelle – Sauf quand Jason est dans le coin, évidemment…

Une légère vague de gloussement traverse la pièce, et Jason ferme aussitôt la bouche d’un air renfrogné, me fusillant du regard.

- Lol ! Non mais sans rire, ajoute-t-elle avec le sourire. J’aimerai vraiment que vous ayez au moins ce respect pour nous. D’autant que cela risque de faire des vagues auprès des médias si cela s’ébruite. Je vous le demande en tant que femme, et non en tant qu’actrice. Soyez compréhensifs par rapport à notre désir de rester discrets, s’il-vous-plait. Je voudrais pouvoir vivre mon histoire d’amour en toute tranquillité, et j’espère que vous me comprendrez.

Sa déclaration jette un froid. Chacun se jauge d’un air penaud, ne sachant que penser de cette demande. Pour ma part, je sens que je suis rouge écrevisse. Mon cœur est en arrêt, ma respiration suspendue à la suite des évènements. J’appréhende leur réaction, qui tarde beaucoup trop à venir à mon goût.

Finalement, Emma, la collègue et amie de Natalia, est la première à commencer à applaudir, lentement mais franchement, le sourire aux lèvres. Et bientôt, c’est tout le studio qui la suit, nous applaudissant alors avec de plus en plus de vigueur. Certains nous sifflent et scandent des « Hourra ! » enthousiastes. Nicolas regarde autour de lui d’un air ébahit, scrutant les employés qui approuvent par ce geste la relation de son artiste phare avec ce « pauvre petit technicien de bas étages ». Claudio lui jette un regard noir, se mettant également à taper dans ses grosses mains, et il finit par croiser les bras, la mine boudeuse.

Je me retourne vers Natalia, et je lis dans son regard le même soulagement que le mien. Elle me sourit d’un air tendre, et se rapproche de moi pour venir entrelacer ses doigts dans les miens et poser une main sur mon torse délicatement, le regard attendri.

Nous allons enfin pouvoir envisager un avenir ensemble.