chapitre 4
***Loin du ranch.
Le feu dans la cheminée, le silence dans la maison trop vide, trop grande; trop vaste. Henry termine son deuxième verre de whisky, la tête baissée, il arpente la grande pièce, l'esprit torturé et les yeux figés sur les lattes du plancher. Il se souvient de Joan les astiquant avec énergie. Finalement, cette maison sans Joan, c'est trop moche. Il se demande ce qu'il fabrique ici, attendant quoi ? Il sait que Joan ne retournera pas à la maison. Il sait qu'il l'a perdue, il le sait depuis l'instant où elle s'est détournée de lui pour se réfugier dans le ranch, avec ceux qui ne lui feront jamais de mal. Il a un goût d'inachevé dans la bouche, un sentiment d'injustice qui lui file la nausée. A moins que ce ne soit le whisky. Il a l'estomac vide, il n'a rien mangé ce soir. Il a bu, plus que de raison, plus qu'il ne boit d'habitude. Il n'est pas très porté sur l'alcool, c'est pourquoi le whisky le rend malade ce soir. Dormir ? Il devrait y songer ? Mais franchement, aller se jeter dans un lit froid, seul sur son oreiller, il n'en a pas très envie. Il finira peut-être par s'écrouler ivre de fatigue, ivre de lassitude dans un des fauteuils à côté du feu, quand il aura jeté une énième bûche dans le feu. Il entretiendra le feu aussi longtemps qu'il restera ici, à défaut d'avoir su entretenir le feu de leur union, il veillera sur le dernier foyer qu'il lui reste. L'autre, il est mort... Bien mort. Mort comme leurs projets de voyage : Henry voulait emmener Joan en Europe; lui faire découvrir Venise et Paris. Et puis Vienne. Oui, il voulait faire tout ça. Et au-lieu de cela il se retrouvait accusé, malmené et abandonné, pour quelque chose qu'il n'avait pas fait. Il ouvre la porte en grand; il laisse entrer un peu d'air frais dans la pièce. Il frissonne, il appuie son dos contre la porte; lève les yeux au ciel et inspire lentement. Il a la tête qui tourne, il ne sent pas bien; il a envie de vomir. Il porte sa main à sa bouche; il se force à respirer. Il prend de grandes inspirations pour parvenir à contenir ses renvois nauséeux. Il rentre à nouveau, se dirige vers la cuisine et prend un peu d'eau dans le seau. Il s'asperge le visage et la nuque. L'eau fraîche lui fait du bien. Il regarde les gouttes passer sur ses doigts, il chope le linge qui traîne sur le tabouret et enfouit son visage dedans. Oh que ça fait mal; oui, ça fait mal de tomber ainsi. Il est tombé de haut; tombé de son piedestal. Il a chuté; humainement, moralement; il est à terre; vaincu par des mots. C'est à peine croyable. Mais maintenant il commence à comprendre , il paraît que celui qui porte le fer, périra par le fer. Et lui, il va périr par les mots, les mots qu'il porte chaque jour. Les mots sont son quotidien, son arme et ce qu'il maîtrise le plus. Et il a été mis à terre par eux... Cela devrait faire sens en lui... Quelqu'un a cherché à lui nuire; quelqu'un qui le connait bien... Oui, c'est ça; quelqu'un a ourdi un plan diabolique pour détruire son bonheur et l'atteindre profondément. Et ce quelqu'un, il doit forcément trouver qui il est !
***au ranch de Ponderosa
Chambre du haut. Cheveux détachés; sur les reins, Joan est seule. Ses yeux trop clairs sont tournés vers le lit. La solitude, c'est maintenant; cela fait longtemps; la solitude, c'était l'année dernière. Avant Ben, avant sa folle transformation à Ponderosa; avant de rencontrer Henry. Du jour où elle avait senti les yeux du fils du chef se poser sur elle, tout avait changé. Elle avait tout perdu. Le chef s’était débarassée d’elle. Il avait même menacé de la tuer. C’était pour cela que Ben Cartwright l’avait recueillie.
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