Chapitre 5

8 minutes de lecture

***21 mars 1857 samedi matin. Virginia City, 10h32, à l'annonce de l'arrivée de la diligence en provenance de San Francisco, un vieux sommeille sur une chaise; son chapeau crasseux posé négligemment sur le nez. A ses côtés; un jeune égrenne, en sourdine, une rengaine sur un petit harmonica qu'il a tiré de la poche de sa chemise. Il fait déjà lourd. La diligence s'immobilise devant l'office de Ned. La porte s'ouvre. Sur le marche-pied on voit apparaître un soulier, noir, fin, un modèle précieux et raffiné. Une silhouette gracile se dessine. Robe longue; ample; empesée. Un costume de ville en soie couleur rose cendrée réhaussé d'arabesques en velours qui dessinent sur la manche une boucle et des résilles sur le noeud du chapeau que la voyageuse porte sur ses cheveux bouclés remontés en chignon. Un visage avenant, souriant. Quelques rides au coin des yeux. A ses oreilles deux gouttes en or scintillent et ondulent. Ses mains ? Elles sont cachées par des gants en dentelle noire; une dentelle fine, soyeuse.

*** Dans la maison vide. Le jour se lève sur le visage sans repos d'Henry. Il n'a pas dormi, c'était le chaos dans sa tête. A ses pieds, un verre vide. Et une bouteille; vide aussi. Il ne se rappelle pas l'avoir bue. Mais il est dans le brouillard et ce qu'il a fait n'a aucune espèce importance. C'est quoi cette vie qui bascule en quelques heures. Qui vacille. A propos de vaciller, il se rend compte qu'il a la démarche bien mal assurée. Il est submergé ; submergé par la fatigue, par l'arrière-goût pateux dans sa bouche. Bref, il est à mille lieux du fringant avocat qu'il était encore il y a peu. Mais non, ils ont dû se tromper. Tromper... Comme les mots sonnent doublement maintenant. C'est anodin de dire qu'on s'est trompé... Tromperie, duperie… Il grimpe à l'étage, ouvre la porte de sa chambre. Qu'espère-t-il ? Y trouver Joan, sans doute... Il pose le regard sur la coiffeuse devant laquelle elle était encore assise il y a peu de temps, prenant soin de sa coiffure. L'image que lui renvoie la glace lui fait peur. Il a une mine de papier chiffonné.

***à Virginia City. La femme; maintenant descendue de la diligence, se dirige vers l'office. Elle a la démarche assurée, la démarche élégante d'une dame de haut rang. Distinguée, manifestement quelqu'un d'illustre naissance.

- Bonjour mon brave. Pourriez-vous me fournir un renseignement ?, demande-t-elle, d’une voix douce et maniérée. - Avec plaisir, Madame. Permettez-moi de me présenter. Ned Galagher, pour vous servir, répond le télégraphiste en portant sa main à sa casquette.

- je suis Eugénie Sue Dexter. Et je viens rendre visite à mon fils, Henry. Savez-vous où je peux le trouver ?

- Lui et son épouse habitent un ranch à la sortie de Virginia City. Une voiture peut vous y conduire.

-Merci … Et pouvez-vous m'indiquer où se trouve l'hôtel. Je désirerai m'installer quelques jours et voyez-vous, je ne tiens pas à déranger mon fils et sa jeune épouse.

- C'est tout à votre honneur, madame ! »

*** La voiture conduite par un des employés de Ned emmène l'élégante Mme Dexter sur les pistes poussiéreuses. Ils ont laissé derrière eux les boutiques de Virginia City, l'office du shériff, le Grand Hôtel, qui n'a de grand que le nom pour une personne arrivée de San Francisco. Mme Dexter ouvre son ombrelle pour protéger son visage de la poussière et du soleil.

- Sommes-nous bientôt arrivés ?

- Madame; il faut compter une bonne heure pour arriver au ranch de votre fils.

- C'est donc vrai ce qu'on m'a dit. Mon fils vit dans un ranch.

- Oui, la maison et les terres appartenaient à feu Jonathan Handricks. Les héritiers ont accepté de vendre à un étranger car les Cartwright se sont portés garant.

- Qui sont les Cartwright ?

- Les Cartwright sont les plus riches propriétaires de tout le territoire ; madame. Ils possèdent 600.000 acres de terre. Ponderosa, cela ne vous dit rien ?

- Non, qu'est-ce que c'est ?

- C'est le nom de leur domaine. Une étendue de forêts à n'en plus finir et des pins qui se dressent fièrement. C'est Ponderosa quoi...

- Et ces Cartwright sont d'honnêtes citoyens ? »

Mme Dexter ne semble pas relever l'expression du conducteur. Pourtant il est choqué.

- Madame !

- Je me renseigne, voilà tout. Nul besoin de vous offusquer de la sorte.. Je suppose que votre réaction équivaut à une réponse. Alors ces Cartwright sont honnêtes; et ne vont pas nuire à la réputation de mon cher Henry.

- Les Cartwright sont des citoyens droits, honnêtes, loyaux et très estimés à Virginia City. Oh nombreux sont ceux qui les détestent; vous pensez une telle richesse fait forcément des envieux.

- Oui, bien sûr. Et pardonnez ma curiosité; mais d'où leur vient cette richesse ? Car ce sont de nouveaux riches, n'est-ce pas ?

- Oh à vrai dire, je ne sais pas. Ben Cartwright était marin avant de venir s'installer ici avec ses trois fils. Il a édifié Ponderosa.

- il doit y mener grand train je présume.

- Non, je ne dirai pas ça... Les soirées qu'il donne avec ses fils sont certes les plus réussies, mais je ne pense pas qu'il soit un tel homme... Pour lui ne comptent que ses fils et son domaine... Voilà tout ce que je sais, madame...

- Merci mon brave.. Et pardonnez-moi de m'être montrée aussi curieuse. Mais voyez-vous, je ne m'attendais pas à devoir faire encore du chemin pour rejoindre mon fils. Le trajet depuis San Francisco est long et je suis éreintée...

- Je comprends Madame. Nous serons bientôt arrivés et vous pourrez alors vous reposer...

***Après une vingtaine de minutes; la voiture parvient en haut d'une colline..

« Voilà le ranch des Dexter.

- Je m'attendais à quelque chose de plus; voyons, euh, de moins modeste.... Quelque chose de plus luxueux...

- Mr Dexter a très bien compris que l'impératif par chez nous est d'avoir un toit et des murs solides. La sécurité passe avant le confort. »

L'employé de Ned aide l'élégante passagère à descendre et porte ses valises.

- Merci mon brave...

Elle lui tend une liasse de billets verts. L'employé porte sa main à son chapeau, remercie avant de s'eclipser pour remonter en voiture et s'en retourner. Restée seule, Mme Dexter soulève le bas de sa robe, pose délicatement ses pieds chaussés d'élégants escarpins sur le chemin poussiéreux et se dirige vers la porte. Elle lève sa main gantée et attrape la fine cordelette reliée à la clochette de bronze suspendue au-dessus de sa tête. Avant même qu'elle n'ai fait sonner la cloche, la porte s'ouvre.

- Joan , c'est toi... Ah bonjour mère; MERE ?

- Bonjour Henry. Ferme la bouche s'il te plait; on dirait un poisson mort. Est-ce ainsi que tu accueilles ta chère mère ? Qu'est-ce que c'est que cette tenue ? Tu as l'air d'un vagabond ! Et de plus, tu empestes l'alcool ! Ma parole, mais tu es ivre ?

- Mère que faites-vous ici ?

- as-tu l'intention de me laisser me déshydrater sur le perron ou bien comptes-tu me faire entrer dans cette.... heu maison ?

- pardonnez-moi mère, entrez...

Henry, encore tout à sa surprise; attrape le sac et la malle de sa mère. Il pose le tout dans le corridor et jette un regard à sa mère...

-Prenez un fauteuil, mère...

- Un fauteuil, ah oui....

- Mère, pourquoi n'avez-vous pas envoyé un télégramme; je serai venu vous chercher à l'arrivée de la diligence...

- C'est un peu fort ? Monsieur mon fils veut qu'on lui envoie un télégramme....

- Mère, c'est pas c'que je voulai dire !!

- mais quelle horreur, Henry, tu manges tes mots; maintenant ? Où est passée ta belle éloquence.... Je t'ai fait donner des cours de langue et de conversation... Est-ce ainsi que tu me remercies de ce que j'ai fait pour toi ? Moi qui me suis saignée aux quatre veines pour ton éducation...

- Oh mère, vous n'allez pas recommencer... S'il vous plait..

- je ne méritais pas ça, henry; non pas du tout....

-Oh non mère, ne pleurez pas; je vous en prie.. Je vous ai dit que j'étais désolé..

-Bien, tu es un brave garçon. Voudrais-tu me donner un verre d'eau, mon fils ? Ces routes poussiéreuses et défoncées m'ont donné soif..

- Mais bien sûr Mère. »

Henry s'exécute. Il donne à sa mère un grand verre d'eau fraîche, qu'il prend à la pompe. C''est bien la dernière personne qu'il avait envie de voir. Non, question compréhension et soutien, ce n'est sûrement pas sa mère qui va les lui apporter. D'ailleurs, il a eu une nouvelle démonstration de ce qu'elle est. Déjà des critiques et des récriminations.

- Ta charmante épouse n'est pas à la maison ?

- Non, elle s'est humm absentée.

Par où commencer ? Quel désordre dans sa tête ! Comment lui annoncer ça ? Lui dire, ce serait reconnaître son erreur, dire le mal qu'il a fait.... Et il n'en est pas capable pour l'instant... Quel enfer....

- Mère, puis-je vous montrer votre chambre ?

- Tu veux te débarrasser de moi , c'est ça; je t'ennuie ?

- Mère, mais non, enfin; veuillez cesser de toujours transformer ce que je dis;. C'est agaçant !

- tu hausses le ton avec moi, jeune homme ?

- Pardon mère; mais....

- mais quoi... Bien, je vais te suivre. Mais je n'admets pas qu'on me traite ainsi...."

La montée des marches se fait dans un silence lourd et pesant.... Madame Dexter s'engage dans l'étroit escalier; en prenant soin de ne pas marcher sur sa robe. Elle pose délicatement ses escarpins noirs sur le tapis qui recouvre chaque marche ainsi que les contre-marche. On dirait qu'elle écrase un parasite à chaque pas... Elle soupire, mais ne décroche pas un mot. Henry tient dans sa main droite la malle carrée , matelassée et dans la main gauche un sac de voyage en tissu fleuri. Madame Dexter a gardé à son bras une petite bourse en soie brochée, assortie à sa tenue. Les voilà arrivés à l'étage : Madame Dexter s'efface et laisse passer Henry. Il l'invite à le suivre dans le couloir qui mène aux chambres. "Voilà votre chambre Mère."

Henry la laisse prendre possession de cet espace. C'est la pièce la plus spatieuse; de larges rideau fleuris tombent sur le plancher. Au milieu, le lit : grand, blanc; à barreaux; avec des pommeaux dorés.. A gauche, en entrant, une commode comportant cinq tiroirs fermés par de petites clés en laiton rutilant. Deux tables de nuit en bois vernis, une à droite et une à gauche, recouvertes d'un napperon de dentelles. Posés dessus, deux vases avec des roses rouges apportent gaieté et fraicheur dans la pièce un peu trop blanche. A côté des roses rouges; quelques marguerites blanches. Deux lampes en cuivre sont fixées contre le mur. Le verre un peu entaché de suie laisse apparaître une mèche noircie. Trois oreillers moelleux, un couvre-lit en laine blanche ; voilà pour le linge de lit... Au pied du lit, une table ovale; avec un magnifique bouquet de roses.

- C'est coquet , enfin, je suppose que c'est ce qu'il faut dire. A dire vrai, je ne m'attendais pas à trouver pareil euh raffinement ici. Je suis extrêmement surprise.

- Joanie tient beaucoup à cette chambre.. Elle veut que chaque personne qui y séjourne s'y sente bien. » conclut-il, avec un air de tristesse dans la voix.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire muriel Maubec ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0