chapitre 6

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*** 21 mars 2857 C'est la nuit..... Henry n'a pas envie de penser. Il vient de redescendre, après avoir laissé la porte se fermer sur sa mère. Il a la gorge serrée. Il a perdu la seule main qu'il souhaitait plus que tout garder pour lui, il a perdu le droit d'aller la chercher. Mère, vous pouvez comprendre que je n'ai pas le coeur à parler, ce soir. Tant pis si vous ne comprenez pas. Je n'attends rien de vous; d'ailleurs. J'ai cessé d'attendre un geste tendre de vous. J'entends votre litanie de reproches, mais j'ai fermé mon coeur.

***22 mars 1857 . Deuxième nuit sans elle; deuxième nuit de déroute, deuxième nuit de traine lancinante. Oh oui, il a diné avec Mère. Quel dîner ! Il aurait voulu disparaître dans la huche à pain , mais non, il a du subir les grâces avec Maman, après avoir été trainé dans le grand Hôtel. Et oui, Mère a tenu à retourner à Virginia City pour diner. Quelle horreur ! Henry a du faire bonne figure, sourire pour mère. Pour ne pas lui gâcher son repas; mais il en abhoré chaque seconde. Mère a tenu à manger une cassolette de gibier et des pommes de terre duchesse. Ainsi qu'un navarin à la framboise. De la crème, du sucré, du croustillant, tout ça avec un champagne léger. Et Henry lui, tout à l'amertume de ce qu'il vit, n'avait rien savouré. Tout lui était resté en travers. La mère venant donner de l'amer à toute cette savoureuse cuisine.

Il faut qu'il sorte de cette spirale; il faut qu'elle l'écoute, il faut qu'il trouve qui a envoyé cette lettre poison, qui a falsifié un document officiel. Qui a semé le doute ? Qui a empoisonné leur amour ? qui a ourdi une telle machination ? Il doit savoir... Mais elle ne veut plus entendre parler de lui. Elle est dans chaque pièce de la maison, dans chaque miroir, dans chaque attention délicate. Mère elle même a paru chanceler, dans sa méchanceté coutumière. Joan a su faire de sa maison un havre chatoyant et chaleureux. Il ne veut plus se noyer dans la boisson, ça ne sert à rien, il lui faut toute sa lucidité pour réfléchir sereinement , efficacement. Il doit parler à Joan... Joan, sa Joan à lui, celle qu'il aime. Joanie, c'est le nom qu'il a dit à sa mère. Mais Joan, c'est à lui, c'est son joyau brut, c'est la sauvageonne qu'elle sait être parfois. Il la revoit à cheval; ne montant jamais en amazone, ah ça sûrement pas. Elle monte comme un homme, elle monte comme un Cartwright. Avec l'élégance en plus. Sur un coup de tête; il décide de galoper jusqu'à Ponderosa. Au moment où il quitte la maison, une voix sèche impérieuse le glace sur place.

« Henry, que fais-tu ?

- Mère, je ne suis plus un enfant ; j'ai passé l'âge de vous demander l'autorisation pour sortir. Et je suis chez moi..

- Oh oui, j'ai bien compris.. Mais je t'interd....

- Pardon, vous m'interdisez ? Non mais et puis quoi...

Henry étouffe un rire mauvais... Il ne manquerait plus que ça, que sa mère lui interdise quoi que ce soit... - Ton père aurait honte de toi, s'il t'entendait parler ainsi....

- Pourquoi aurait-il honte ? Parce que je cours chercher mon épouse et essayer de laver l'affront de cette épouvantable méprise. Allons, donc, Père ne saurait avoir honte de moi..."

Henry part, sans un regard pour sa mère. Personne ne le sait, mais sur la piste qui mène à Ponderosa; il y a un petit oratoire. Petite stèle cachée derrière une colline.. Henry l'avait découverte un jour de balade avec Joan. Un petit monument hors de la piste; un peu à l'écart de toute végétation ou des ranch habités par les voisins des Cartwright... Henry décide de s'y arrêter... oh pas longtemps; juste le temps d'un souffle, d'une halte. Un repos pour sa monture… Il descend de son cheval, et continue à pied, en ayant pris soin d'attacher les rennes de son compagnon à quatre pattes à une branche. Il écarte les hautes herbes et s'approche de la pierre. Il veut s'asseoir à proximité de la pierre. Il sait qu'il serait folie de s'aventurer chez les Cartwright maintenant. Il est conscient qu'il a fui la maison, le bavardage nocif de sa mère lui donne des nausées... Elle n'arrête pas de cracher son venin.… Et soudain, l’attaque est fulgurante. Il sent que quelque chose porte un coup sur sa botte. Il regarde, horrifié, le crotale pendu au bout de sa botte. A ce moment, il ne sait si l'animal est parvenu à transpercer le cuir épais de sa botte. Mais sa pensée est ailleurs.. Que faire ? Bouger ? Secouer son pied ? Essayer de tuer l'animal ? Il n'a pas le choix. Lentement il sort son revolver de son étui et sans hésiter, tire. Sur lui, sur l'animal , sur son pied. Carton réussi, étant donné que la proie n'était qu'à quelques centimètres. Il vient de se sauver la vie, mais une douleur violente irradie son pied. Est-ce la morsure ou la balle ? Il souhaite que ce ne soit que la balle; et non la morsure. De toutes façons, il le saura bien assez tôt. Le crotale ne laisse généralement peu de chance à sa victime. Il décide de se remettre en selle et de rejoindre Ponderosa. Si vraiment il a été mordu, il ne parviendra pas vivant au ranch. Les quelques mètres qui le séparent de son cheval lui semblent inatteignables; il a tellement mal. Il rampe et mord son poing quand la douleur est trop forte. Il se hisse difficilement sur son cheval et parvient à le faire mettre au galop. Sa jambe valide est dans l'étrier tandis que l'autre pend misérablement le long du corps du cheval. Va-t-il parvenir jusqu'au ranch ?

***Pendant ce temps à Ponderosa... Ben a fermé les volets et tiré les rideaux. Mêmes gestes 100 fois répétés chaque jour, chaleureuse routine. Les bruits de la nuit; la vie qui s'assoupit. Place au repos, place aux rêves. La solitude pour lui commence. Joan est montée se coucher. Les garçons sont dans leur chambre; Adam avec un livre; très certainement. Solitude pour Ben, alors oui; le silence ; le lit trop vaste; trop grand, trop froid. Des draps hostiles, sans âme. Des images se bousculent dans sa tête. Il est seul , sur le dos, les mains croisés derrière la tête. Il fixe le plafond; les yeux perdus dans le vague. Il laisse son esprit vagabonder. Il revoit un parc, une rue pavée, des fiacres et des promeneurs élégants. Il marchait vers ce parc, d'un pas décidé. Soudain, un cheval, un cri, de l'agitation. Quelle est cette lady qui montée en amazone lui avait obstrué le passage ? Il ne le savait pas mais il venait de croiser sa future épouse. Oh oui, que de souvenirs heureux. Une aventure si loin… Un flash, un autre éclair... Une lueur pale qui aurait pour nom « ne t'en va pas ». Marie, son épouse, la maman de Joe, qui avait perdu la vie en tombant de cheval, et qui l’avait laissé dans le désarroi.

Ben soupire dans son lit, il tourne la tête vers la table de nuit et s'apprête à souffler sur la lampe lorsqu'un bruit attire son attention. Il tend l'oreille, habitué à guetter et à se montrer vigilent. Le galop d'un cheval, cette fois plus de doute possible; quelqu'un est devant le ranch. Ben est sur ses gardes : l'oreille affutée; les yeux écarquillés. Alors; ami ou ennemi ? Comment savoir ? Il se précipite en bas du lit, attrape au vol son revolver et se rue hors de la chambre. Bien évidemment, il n'est pas le seul à avoir entendu ; les Cartwright sont rompus à ce genre de péripéties; ce sont de fins limiers et leur ouie est si fine, que le murmure du vent dans les feuilles les sort du sommeil. Don particulier ? Non, simplement l'instinct de survie. Et ce n'est pas un vain mot dans ces contrées : Ponderosa est certes un havre de paix mais les hors la loi sont partout; et cette vaste étendue de terre verdoyante est l'objet de bien des convoitises. Les Cartwright le savent.

« pa, qu'est-ce qui se passe ? » Ben descend les marches quatre à quatre, Adam et Joe ainsi que Hoss sont derrière lui. Hoss finit de sauter dans son pantalon, sa chemise de nuit sort sur un côté. Il a une de ces dégaines. Adam est torse nu. Quant à Joe; il a une... serviette autour de la taille.

« Ben quoi, me regardez pas comme ça, je prenais un bain....

- Hey pas si fort, Joan dort...

- Pardon pa...

- Et ton colt , il est où ?

- Dans ma chambre. J'ai préféré choper au vol une serviette avant de songer au colt.. Z'auriez quand même pas voulu que je sorte tout nu avec le revolver dans la main ?

- De quoi effrayer Jessie James en personne ! » fanfaronne Adam, pour le taquiner.

- ahahah, très drôle...

-Assez plaisanté les garçons, on sort maintenant... »

Les trois Cartwright se précipitent sur le perron. Joe reste à l'intérieur...

- HENRY...

Ben accourt le premier, dans cette nuit inondée par une pleine lune magnifique, il n'a aucun mal à reconnaître le cavalier, inerte, qui est affalé sur son cheval...

- Hoss , Adam, venez m'aider... »

Tous les trois descendent l'homme de sa monture....

« Il est …... ?

- J'en sais rien, Hoss; allongeons-le sur le sol... »

Délicatement, ils posent Henry par terre.

-pa, regarde son pied.. Il est en sang....

Adam attrape la botte et tire..

- AIEEEEEEEEEEEEEEEE...

-Content de vous voir en vie, l'ami...

-Adam, Ben, je suis si content de vous voir.. Ainsi je suis en vie.. Dieu merci..

- Henry , que vous est-il arrivé ?

- J'ai été mordu par un crotale. Plus exactement, il a mordu ma botte et y est resté suspendu. Je ne savais pas s'il avait traversé le cuir, alors j'ai pris mon revolver et j'ai tiré une balle.

-Vous vous êtes tiré dessus ? »

Adam le regarde avec un drôle d'air, mélange d'incrédulité et d'admiration. Il n'aurait pas cru l'avocat menteur capable d'un tel geste....

-Si je suis là, c'est que le serpent s'est cassé les dents sur le cuir de ma botte.. Elles m'ont couté une petite fortune, mais dorénavant je ne regretterais jamais mes 25 dollars..

- 25 Dollars pour une paire de bottes; oui je comprends que ça lui soit resté en travers du gosier, au crotale....

-Hoss; c'est pas le moment de faire de l'esprit ! » gronde Ben... « et où alliez-vous comme ça ?»

- J'étais parti pour une balade !

- en pleine nuit ?

- Oui, j'avais besoin d'être seul...

- mais vous êtes seuls à la maison, il me semble. Euh pardonnez-moi ! » se reprend Adam en captant le regard lourd de reproche que lui lance son père.

- Vous avez raison Adam... C'est juste que.... Enfin, bon, ma mère est arrivée aujourd'hui par la diligence et disons que, elle et moi, avons un peu de mal à communiquer.. Alors avec ce qui m'arrive, j'ai tout sauf envie de faire des efforts....

-euh oui, nous comprenons; bien sûr. En attendant, il va falloir soigner ce pied. Dieu merci le serpent vous a épargné; mais la gangrène ne vous loupera pas si vous tardez à désinfecter ce pied. Hop Sing laisse toujours un peu de sa décoction miracle. Allez venez; appuyez-vous sur moi ! » Ben aggripe Henry et le soulève prestement, tandis qu'Adam glisse son épaule en-dessous de son bras pour le soutenir et l'emmener à l'intérieur.

« Bon Joe, tu files te vêtir correctement. Regarde, tu trempes tout le plancher.

- Oui pa.... J'en ai marre de me faire engueuler... Encore et encore.. C'est ma faute si on débarque ici à toute heure de la nuit.. On n'est pas une pension, quand même... »

Joe marmonne tout ce qu'il peut dans sa barbe, enfin façon de parler; question pilosité, tout le monde sait bien que Joe n'est pas le plus fourni. Adam et Ben conduisent le blessé et l'installe sur le canapé... Hoss file en cuisine et revient avec une cuvette en fonte rempli d'un liquide marron.

« Allez-y trempez votre pied là-dedans.... »

Henry s'exécute après avoir laborieusement retiré sa botte et sa chaussette. Le sang se répand dans la cuvette, se mêlant à l'eau sombre qui s'y trouve.

« Et c'est quoi, ce qu'il y là-dedans ?

- cupules de glands, poivre noir , romarin , consoude, sureau noir, et pâquerette pour la petite touche finale... Spécialité de Hop Sing...

- Et bien, en tout as, ça a l'air plus efficace qu’appétissant...

- Personne ne vous a demandé de le boire, répond Joe d'un air sarcastique..

-Tiens, t'es pas encore monté..., réplique Adam, d'un ton sec

Joe se dirige vers les escaliers, en tenant sa serviette serrée contre son bas-ventre. Il a les cheveux trempés et des gouttes d'eau coulent sur son torse.

- En plus je vais me faire engueuler par Hop Sing.... j'en ai plein les oreilles; moi de leurs jérémiades à deux cents... »

Tout à ses récriminations en solo, il ne voit pas que la porte de la chambre de Joan s'est ouverte. C'est tout juste s’il ne la percute pas.

« Oh pardon, Joan.... Oh on vous a réveillé ? Pardon...

- Ne vous excusez-pas.. Dites-moi plutôt ce qu'il se passe....

- Ben, euh ! C’est... »

Joe fait mine de se passer la main dans les cheveux; il est gêné par la question, c'est un fait. In extrémis, il se rappelle qu'il tient sa serviette.

« C'est à dire que …. bah..... Il y a...

- Joe, dites-moi ce qui se passe.. Je veux savoir...

- Votre mari est dans le salon... Il est b...... »

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