chapitre 8
*** Pendant ce temps, sur la piste, à quelques miles de Ponderosa... Henry et Joe arrivent en vue du ranch. Matin frais dans le ciel du Nevada. Personne sur la piste, évidemment. Pas un bruit, deux oiseaux de proie qui tournoient dans l'immensité bleu-gris de la plaine caillouteuse et désertée. Pas un souffle de vent, et toujours la poussière qui se soulève sous les sabots ferrés des chevaux. Henry et Joe parcourent les derniers yards qui le séparent de l'imposante structure de bois. Ils mettent tous deux pieds à terre; Henry grimace quand sa jambe heurte la selle. Sa blessure a été bien soignée , ça va guérir, mais la douleur est vive.
« Joe, j'ai un pressentiment, regardez, la porte est ouverte ! »
Ni une ni deux, Joe dégaine; à l'affut...
« Je vais passer par le côté... » chuchote-t-il, à demi-penché.
Henry n'est pas armé. Il boitille, mais parvient à se mettre à l'abri près de l'abri à bois, de l'autre côté du ranch. Joe tente le tout pour le tout. Il tire un coup de feu. Au moins savoir à qui ils ont à faire et si la maison est vide. Son tir fait exploser les carreaux de la fenêtre, Joe attend, pas de riposte. Il fait signe à Henry de s'avancer. Henry sort de sa cachette et se dirige vers sa maison. Il monte lentement les marches de bois qui craque sous ses bottines. De sa main, il pousse la porte peinte à la chaux.
« Mère ! »
Pas de réponse. Une réelle inquiétude s'empare de lui maintenant. Il explore chaque pièce : la salle de séjour, la cuisine, le sellier , tout est impeccablement rangé. Sa chambre également et la pièce qui suit, pas encore terminée, qu'il destine à devenir la nursery. Rien n'a été déplacé. C'est très étrange ! Et sa mère qui ne répond pas. Pour sûr, il a du se passer quelque chose. Il ressort de sa chambre. Dans sa poitrine, son coeur fait des bonds à n'en plus finir. La seule chambre qu'il n'a pas explorée, c'est celle de sa mère. Il ferme les yeux, essaie de chasser les images sombres qui déjà s'y amoncellent. En fils bien élevé, il frappe à la porte, espérant encore que la voix dure et tranchante de sa mère lui répondra. Non, faux espoir; seul le silence. Henry pose la main sur la poignée en laiton et porcelaine fleurie. Retenant son souffle, il avance le pied et pousse la porte. La pièce est plongée dans une semi-obscurité; un des volets est fermé; l'autre entrebaillé.. dans un mouvement suspendu, interrompu. Le lit n'est pas défait. La lampe posée sur la table de nuit s'est éteinte; réserve d'huile épuisée. Petite mèche noircie.
***à Ponderosa, Joan est dans sa chambre, assise devant la glace de sa coiffeuse. Cheveux noirs tombés en cascade sur ses reins, sur ses épaules. La brosse qui va et vient sur la marée ondulante. Geste mécanique, esprit qui vagabonde bien au-delà de la pièce. Vers les souvenirs, vers l'avant; avant la peine, avant la souffrance. Les yeux perdus dans le reflet misérable de son visage marqué par les larmes et la fureur. Les traits tirés, fatigue d'une nuit sans repos , d'une nuit de larmes. Nuit sans réconfort, nuit de solitude. Paumée, perdue encore, de nouveau. L'anneau à son doigt; la voix de son coeur, des bribes de certitude et un grand flou autour : trahison, abandon, frisson glacé dans le bas de son rein. Un noeud dans la poitrine.
***dans le ranch, il aperçoit, forme noire au sol; il s'avance; le coeur battant à tout rompre dans la poitrine. Terrifié par ce qu'il croit reconnaître. Il se fige, porte la main à sa bouche, mais pas un son ne sort... Sa mère allongée par terre; oui, pas de doute. Il se baisse; pose la main sur son cou, recherchant une pulsation. Rien, il lui prend la main. La main retombe sur le corps sans vie. Il lui soulève la tête ; délicatement. C'est poisseux, il retire sa main. Il y a du sang dessus. Sa mère a une vilaine blessure derrière la tête. C'est fini, il n'y a plus rien à faire. Il ne sait pas quoi faire... Partir ? Rester ? Soulever sa mère et la déposer sur le lit ? Il ne sait pas ! Il s'asseoit sur le lit et se prend la tête à deux mains. Il a les jambes qui tremblent, il est pris d'un tremblement incontrôlable. Il a le coeur au bord des lèvres, il porte ses mains à sa bouche. Il a envie de vomir. Il faut qu'il aille se laver les mains; enlever ce sang qui colle entre ses doigts, sur ses ongles, il se relève; saisi d'horreur, d'effroi. Il porte ses mains à son front, se retourne, bute dans le lit et sort de la chambre. Il s'accroche au montant de la porte ; tellement il est chancelant; il a le souffle court. Il traverse le couloir; descend les escaliers; Brrr patatras. Le voilà qui débaroule dans les marches. Il se relève et repart.
« He Henry, qu'est-ce....
Henry vient de heurter Joe de plein fouet, les yeux ailleurs; l'esprit embué, Henry n'a pas vu le jeune Cartwright et il bute contre lui...
- Qu'est-ce qu'il y a ? »
Henry ne répond pas. Il se retourne et tend la main vers les escaliers; vers l'étage. Il tend sa main droite, sa main tachée de sang...
- Mais Henry, votre main ! »
Henry ne dit rien, il se laisse glisser le long du mur, en une prostration insoutenable. Joe, armé, se précipite à l'étage. La porte ouverte attire son attention, Joe se glisse dans le couloir, arrivé à hauteur de la porte entrouverte, il s'arrête et prend une profonde respiration. Il hésite à entrer, se demandant ce qu'il va trouver. Il voit.
*** Plus tard.
« Henry, venez, on part, shérif » Henry répond machinalement ; son cerveau fonctionne au ralenti. Ses instincts d'homme de loi tardent à refaire surface. Il connait les procédures, enquête; circonstances. Effort violent qu'il doit fournir pour se redonner une composition et sortir de son abattement. Où trouver l'énergie que nécessite l'action ? Comment se mouvoir quand on vient de basculer dans l'horreur la plus ignoble, la plus immonde. Il a le sang de sa mère sur lui, sur les mains.
***Comment est-il monté à cheval ? Comment a-t-il parcouru les miles qui les séparent de Virginia City, il n'en sait strictement rien. Lorsqu'il pénètre dans le bureau de Roy Coffee avec Joe à ses côtés, il a retrouvé un semblant de calme. Un semblant seulement, car il est au bord de s'effondrer. Il y a cette nausée qui lui remonte incessamment aux lèvres; cette vague d'horreur qui menace de le submerger.
« Oh bonjour Joe, monsieur Dexter; qu'est-ce qui vous amène en ville.... »
Joe abrège les salutations.Phrases brèves, sèches; Joe fait comprendre à Roy qu'il doit le suivre.
- On vous expliquera en route, Shériff.... »
*** au ranch, Joan est plongée dans l'eau de son bain. Elle a relevé ses cheveux en un chignon imprécis, quelques épingles fichées ça et là dans la masse de ses mèches brunes. Elle a les yeux clos, elle remue lentement ses jambes dans l'eau mousseuse et savoure la caresse de l'eau chaude. Elle touche une à une les bulles qui frôlent son épaule. Sortie du bain, elle s'enroule dans une serviette. Eau qui dégouline le long de ses jambes et qui s'écrase au sol comme une larme qu'on n'aurait pas su retenir. Douleur de ce qu'on a perdu, douleur de ce qu'on ne peut avoir; chagrin qui s'écoule comme le temps qui... qui quoi ? Temps qui a passé, qui condamne les sentiments ?
***dans le ranch des Dexter Regroupement silencieux autour du corps de la victime. Regards consternés; maladresse des hommes autour de ce corps de femme livide. Henry plongé dans une profonde détresse regarde Roy soulever le corps et le poser sur le lit, sur lequel son adjoint à pris soin de déposer une couverture. Tache de sang sur le plancher; Henry détourne les yeux. Rien, personne ne sait rien de la macabre scène qui s'est déroulée ici. Le froid de l'horreur transperce le pauvre homme de loi. Cloué sur place, oui, cloué sur place en contemplant le sang séché sur le plancher et le corps froid de sa mère. A peine l'a-t-il touchée pour recouvrir sa bottine; ne pas laisser apparaître la cheville ou… Pourquoi ? Décence inavouée, geste tendre envers celle qui n'avait jamais été aimante. Cette fin horrible vient-elle effacer la douleur des années sans amour ? Même une sans coeur ne mérite pas une telle fin. Et c'est ce qui taraude son esprit; tandis que Roy interroge des yeux l'espace de ce huis-clos assourdissant de malaise et de questions en suspens.
« Monsieur Dexter, votre mère était seule à la maison ?
-Oui, euh oui, j'ai passé la nuit à Ponderosa chez les Cartwright. J'ai quitté le ranch vers 22h00. » Joe acquiesce....
« Et ça , qu'est-ce que c'est ?
Roy tient dans sa main un bout de papier...
« je l'ai trouvé dans la main de votre mère. Elle le serrait dans son poing. Un bout de papier déchiré; avec juste écrit dessus : chambre 9, grand hôtel, Virginia City...
- Ma mère ne m'a pas dit qu'elle avait loué une chambre; elle venait de s'installer dans cette pièce, chez nous. Nous sommes allés diner au Grand Hotel, mais elle ne m'a pas dit qu'elle dormait en ville.... »
Annotations
Versions