chapitre 9
*** plus tard, Hank Peterson, le fossoyeur, arrive au ranch des Dexters. Il vient chercher le corps de Mme Dexter. Henry assiste à la levée du corps. Il n'arrive pas à poser la main sur celle qui n'est plus. Sentiments figés ; éteints en lui. Insensibilité, protection ? Elle n'a pas su aimer. Il est atterré par l'horreur du geste, par le danger débarqué dans sa vie.. Quelqu'un a fracassé le crane de sa mère; coup porté avec suffisamment de force et de détermination pour provoquer la mort instantanément. Qui ? Qui peut faire une chose pareille à une vieille dame ? Et puis pourquoi ? Rien n'a disparu dans la pièce. Bijoux sur la table; bourse bien en évidence sur le lit; broche précieuse épinglée sur la cape de velours. On n'assomme pas quelqu'un sans un motif crapuleux; ne rien lui prendre, à part la vie; cela dépasse l'entendement ; surtout dans ces contrées où la richesse attire les convoitises. Le plancher craque sous le poids des personnes qui entrent. Les Cartwright prévenus par Joe pénètrent dans la pièce; mine contrite et chapeau à la main. Ben, suivi de Adam et de Hoss.Et puis Joan... Sans un mot ils avancent. Joan, pâle, dans sa longue jupe gris-bleutée et son chemisier blanc fermé par huit gros boutons de nacre. Ben qui a passé une veste sur sa chemise de lin couleur crème. Joan ose le geste que Henry n'espérait plus. Elle pose sa main gantée sur l'épaule de son mari. Henry frissonne, ce geste l'apaise. Elle incarne à ce moment la bonté et la tendresse. Comment ne pas évoquer la maternité, elle est là auprès de lui; elle le console; elle vient soigner une vilaine blessure. Elle ne parle pas mais le langage de ses yeux est sans équivoque; limpide, il signifie je suis là, je suis avec toi, je suis là pour toi. Ben s'avance aussi, ne pouvant détacher son regard de ce petit bout de femme; qui au delà de sa propre peine, offre du réconfort à celui qui lui a fait mal. Elle est la femme à qui on a menti. Elle voit différemment, elle réinvente l'amour, en en faisant l'amour tendresse, l'amour compagnie, l'amour soutien. Elle ne veut plus rien savoir, ne veut plus penser à ce papier. Pardonné ? Aurait-elle pardonné ? Ben n'en sait rien. Il ne peut pas en savoir plus. Elle est là dans un geste tendre; comme une parenthèse dans un chapitre pénible. Comme une respiration différente dans ce moment d'égarement où se perdent les souffles de deux vies unies.
***même jour, en fin d'après-midi. Virginia city, derrière la maison chapelle, réservée au culte, un espace ombragé par des pins dans lequel reposent tous ceux qui ont cessé de vivre.Hoss et Joe, pelle à la main, terminent de creuser une fosse pour le cercueil de la défunte. Ils ont pris soin d'ôter leur veste; qu'ils ont laissé dans le chariot. Henry arrive. Redingote noire, pantalon rayé, chemise claire à fines rayures blanches et grises, gilet gris cintré sur lequel pend une chaîne en argent, la chaîne d'une montre rentrée dans la petite poche sur la droite du vêtement. Ses yeux sont gonflés, cernés, un peu vide aussi. Vestiges des nuits sans sommeil et de l'alcool des derniers jours. Les larmes ? Pas vraiment, Henry n'en a pas versé : ni sur son mariage détruit, ni sur la dépouille de sa mère. Elles sont sans doute toutes là , sous ses paupières; vont-elles s'écouler ? Derniers coups de pelle, poussière qui s'envole au dessus du monticule sous lequel repose Mme Dexter. Joan qui dépose des fleurs; bouquet de marguerites ; chaque pétale comme une larme blanche sur un coeur en or. Et Henry qui s'avance; avec dans ses mains un panneau de bois sur lequel sont gravés ces simples mots :
Ici repose Eugénie Sue Dexter, décédée le 23 mars 1857.
« Hoss, Joe, allez remettre les pelles dans le chariot »; murmure Ben à ses deux fils, en sortant de sa poche sa bible; avant de commencer à lire.
" Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le soleil. Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir ... Il y a aussi un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser ... Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre."
Henry joint ses mains devant lui, tandis qu'Adam dresse le panneau , au bout de la tombe. Les coups de son maillet troublent le silence quelques instants. Puis le calme revient. Adam frotte ses mains l'une contre l'autre et rejoint ses frères.
***un peu plus tard.
« Regardez Joan, comme elle est tendre avec Henry.... Elle semble avoir tout oublié...
- Adam, ce sont des circonstances exceptionnelles;. C'est normal qu'elle soit là...
- Je sais Hoss;
- peut-être que la mort de cette pauvre femme aura servi à quelque chose...
- J'en suis pas si sûr; réplique Joe... Faut pas oublier que Henry est toujours dans la même panade; et en plus; Roy mène son enquête.. Sa mère a quand même été assassinée....Et...
- Et quoi, Joe; tu ne sous-entends quand même pas que Henry aurait pu tuer sa mère ….
- Bah euh, non; mais; c'est quand même louche cette mort...
- Tu sais bien qu'Henry était avec nous...
- Oui ; mais on ne sait pas depuis combien de temps elle était dans cette chambre..
- Ecoute Joe, c'est toi qui était avec lui … Il t'a donné l'impression d'être un meurtrier ?
- euh non, il ;.....il a rien dit; il a juste montré la chambre.. Mais... j'crois qu'il nous a montré qu'il savait bien mentir et jouer la comédie... »
***Quelqu'un s'approche d'Henry et de Joan. Un homme qui marche lentement , et qui se découvre devant le couple recueilli. Ned Peterson s’approche et présente ses condoléances. Joan répond par un signe de tête. Elle porte une petite voilette noire sur sa robe de moire; noire également. Elle tient dans ses mains le bouquet de marguerites qu'elle allait s'apprêter à déposer sur la tombe de cette belle-mère qu'elle ne connaissait pas.
« Je tenais à être présent; Mr.. J'ai eu l'occasion d'échanger quelques mots avec votre mère; quelle femme charmante... Vraiment, quel drame affreux... Mais qui a pu faire une chose pareille; une dame d'une telle qualité.. Le shériff n'avait pas mentionné la trace de quelques bandes de desperados.. Il n'a pas de piste... » Henry fait non de la tête. Il fixe la tombe; sans vraiment écouter les paroles de Ned.
« Vous savez, Mr Dexter je garderai toujours en mémoire l'image de votre mère... Charmante, je la revois encore me demandant de lui indiquer l'Hôtel le plus proche , elle souhaitait y réserver une chambre, ; « je ne tiens pas à déranger mon fils et sa jeune épouse ! » a-t-elle insisté.
Henry ne peut s'empêcher de hausser les épaules en un rire nerveux; qui se perd en contracture. Décidément, sa mère savait se montrer charmante et gagner les coeurs de ceux qu'elle rencontrait. Dommage qu'elle n'ait pas mis ses dons et son charisme au service de sa relation avec son époux et son fils. Après avoir salué Ben et ses fils ; Ned repart. Il repose son chapeau et prend la direction de son office qu'il avait momentané femé; le temps de venir jusqu'au cimetière. Joan se retourne et se dirige vers le chariot. Henry, la voyant s'éloigner; la rattrape en deux grandes enjambées.
« Joan, attendez.. Où allez-vous ?
-Benjamin et ses fils m'attendent... Je rentre avec eux... J'ai besoin d'être seule. »
-Ne me laissez pas; Joan; je ne veux pas être seul dans cette maison, avec le sang de ma mère sur le planc... »
Henry ne peut terminer sa phrase. Les sanglots s'étouffent dans sa gorge. Et il s'effondre en pleurs , tenant toujours la main de sa femme; dans la sienne. Elle pose sa main sur son épaule. Henry appuie sa tête contre la poitrine de son épouse et laisse le chagrin l'envahir.
« Je comprends; prenez une chambre à l'hôtel et essayez de dormir. Je vous promets de réfléchir et nous nous reparlerons. » Joan rejoint Ben, et les garçons. Elle tourne une dernière fois les yeux vers son époux. Le chariot disparaît.
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