chapitre 10
*** Ranch des Cartwright.. Les habitants de Ponderosa sont couchés. Seul Joe ne parvient pas à trouver le sommeil. Il est dans la cour, appuyé sur la barrière; les yeux plantés au sol, les épaules basses.
« Joe, que fais-tu encore dehors à cette heure-ci ?
- Je peux pas dormir... pa, c'est fou, j'aime pas ça; mais j'ai comme un pressentiment....
- Joe; qu'est-ce qui se passe ?
- J'sais pas trop; une sensation de m'être fait avoir, d'être complice d'un truc atroce. Tout est louche, le faux certificat, le cadavre sur le plancher, j'aime pas ça !
- Joe tu devrais aller te reposer, cesse de ressasser tout ça. Tu as été témoin d'une scène abominable et je crois que tu es sous le choc. On le serait à moins !
- oh pa, j'en ai vu d'autre quand même; j'suis plus un môme. C'est pas le problème. Ce qui me gêne; ce sont les évidences , la façon dont tout ça s'enchaine. Je ne sais pas qui croire, je ne sais pas que penser. Je n'y comprends rien, tout ça me dépasse. Pa, tu crois qu'on peut sonder l'âme d'une personne ? Est-ce qu'un homme peut mentir sur toute la ligne ? Peut-on se composer une double personnalité ?
- Je ne sais pas mon fils, je ne sais pas.
- mais doit-on le croire ?
- ce que je sais fils, c'est que la malhonnêteté ne peut guider une vie tout du long. Un jour ou l'autre toute la supercherie tombe, un jour ou l'autre tout usurpateur tombe le masque. Vient un jour où le mensonge de trop survient et entraîne celui qui le dit dans une chute infernale qui le conduit à sa perte.
- oui mais en attendant, tous ceux qui gravitent autour souffrent !
- oui, c'est certain. Beaucoup de souffrance. Tu vois, Joe, c'est pour ça que je n'ai jamais toléré le mensonge. C'est la pire de toutes les transgressions, à mes yeux. Je n'ai jamais pu accepter cela.
- oui, je sais. Mais, alors, comment alors parviens-tu à accorder du crédit à Henry ?
- Tu parlais tout à l'heure de sonder le coeur de l'homme. Moi c'est le regard que je sonde. Un homme peut mentir, mais il ne peut contrôler son regard. Et ce que je lis dans le regard d'Henry, c'est un ahurissement complet face à tout ce qui lui tombe sur la tête.
- Ah bon ?
- Oui Joe; c'est ce que je vois. Et crois-moi, j'en ai lu des choses dans les yeux des hommes; et je n'ai jamais retrouvé cette lueur qu'il y a dans les yeux d'Henry !
- Quelle lueur ?
- une lueur de bonté. Bonté, oui. Une certaine bonté qui a fait de lui sa faiblesse; je le crainds.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Henry est un homme qui n'est pas en adéquation avec le monde. Il a une vraie gentillesse et ne semble pas mesurer le danger qui règne parfois, de façon insidieuse autour de nous. On pourrait dire de lui qu'il est naïf. Les gens naïfs sont dangereux pour eux-mêmes car ils ne voient pas le monde comme toi et moi.
- J'ai du mal à te suivre, là ; pa...
- Excuse-moi, je vais faire plus simple. Pourquoi tes frères, toi et moi avons-nous une arme en permanence, même quand nous ramenons du bétail ?
- Un homme sans arme a peu de chances de survivre ici, entre les voleurs de chevaux et les bandits de grand chemin qui s'en prennent aux cavaliers. Sans compter les Indiens, enfin, certains renégats.
- Tout à fait. Toi et moi avons dû par la force des choses apprendre à diviser le monde en deux camps, d'un côté le bons et de l'autre les mauvais. Question de survie; et il faut parfois très vite se décider, ne pas condamner trop vite; mais ne pas se laisser endormir !
- C'est ce qui me paraît le plus difficile.
- Tu es jeune Joe, mais ne crois-pas que cela devient plus facile avec les années. On doute toujours, on croit, on ne sait pas... »
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