chapitre 13

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*** au ranch de Ponderosa. Ben rentre, avec énergie, il pose son chapeau , se débarrasse de son colt et de sa veste.

« pff qu'il fait lourd. Oh la là, ça va péter.

- le ciel va se fâcher. Il vaut mieux être prudent. Je me suis permise d'entrer dans les chambres des garçons, pour y fermer les fenêtres et j'ai aussi rentré les draps du lit de Joe. Comme ça, il dormira au sec ce soir.

- Joan, vous êtes trop bonne. Je ne veux pas que vous fassiez le lit de Joe, il peut le faire tout seul. Ce n'est pas lui rendre service.

- Je sais Ben, mais vous savez; cela ne me dérange pas et puis, cela m'occupe l'esprit.

- Je comprends, mais vous n'êtes pas ici pour vous occuper de l'intendance. Vous me promettez de ne plus faire le lit de ce grand paresseux ?

- Promis Benjamin ». Tendrement, il lui pose une main sur l'épaule et lui adresse un léger sourire.

***Un peu plus tard… L'orage que Ben pressentait s'abat actuellement sur le ranch, un rideau de pluie tombe inlassablement du ciel, de grosses gouttes s'écrasent sur le sol poussiéreux et contre les vitres qu'Hop Sing s'est empressé de fermer.

- Vent êtle tlès folt, Hop Sing pas aimer ça. Vent enlever encole les tuiles sul abli à poules et poules pas pondle pendant tlois jouls. Mistel Hoss va pas êtle content, lui pas aimer êtle plivé d'oeufs poul petit déjeuner.

- oui et bien mister Hoss , il s'en remettra. Tiens, je ferai bien d'aller vérifier la porte de la grange; il me semble qu'elle tape. »

Ben coiffe son chapeau et enfile sa veste avant de se précipiter hors de la maison, direction la grande batisse de bois dans laquelle Buck attend ses congénères.

« Tu vois, Buck, je crains que tes copains ne soient en train de se prendre un bon bain. Adam et Sport auront peut-être eu de la chance et sont à l'abri à Virginia City, mais Hoss et Joe sont sûrement sous la rincée. » Buck, tranquilisé par la voix de son cavalier, semble se calmer. Ben lui flâtte l'encolure; le cheval frémit.

« Je sais que tu n'aimes pas l'orage, mon grand. Mais pense aux autres. Toi au moins tu es au sec, loin de la tourmente. Des éclairs aussi lumineuses que furtives zèbrent le ciel, éclairant un horizon qui a plongé dans l'obscurité avant les premières gouttes. Un fracas assourdissant répond à chaque trainée flamboyante.

« Oh bon sang, il n'est pas tombé loin celui-là. Pourvu que ça ne provoque pas de catastrophe. » Ben connait bien trop de rancher qui ont vu leur bien et leur bétail anéanti par un incendie provoqué par la foudre. La sécheresse met en péril les exploitations et les propriétés et la moindre flamèche est une menace redoutable et redoutée.

***Quelques minutes plus tard, Ben , en trombe, pousse la porte et rentre se mettre à l'abri.

« saleté de temps. Je suis trempé d'avoir été jusqu'à la grange et d'en être revenu.

- oh oh, d'habitude c'est mistel Joe qui fait soltil la polte de ses gonds; mistel Caltwlight jamais faile ça.

- Désolé Hop Sing, c'est exceptionnel; mais je n'ai plus un poil de sec.

- Oh alors Mistel Caltwlight va vite enlever ça et plendle un bon bain. Je clois que Hop Sing va faile chauffer beaucoup de bassines , poul les bains des Caltwlight qui vont tous alliver tlempés comme des soupes. »

Ben achève de faire passer le dernier bouton à travers le trou de la boutonnière et écarte rapidement les pans de sa chemise, qui colle à sa peau. Son torse, sculpté par les travaux pénibles d'une vie bien remplie, luit sous les gouttes d'eau qui ont traversé le tissu couleur crème de sa tenue de travail. Le gros drap de son pantalon; lui, supporte quelques gouttes, il décide de le conserver. Il attrape la serviette blanche que Hop Sing lui tend et commence à s'essuyer le dos et la poitrine. C'est alors qu'il s'arrête, muet de stupeur, en apercevant Joan, dans les escaliers.

« euh pardon, dit-il en se couvrant.

- Oh excusez-moi Ben, je ne voulais pas. Je.…"

Elle fait demi-tour pour remonter vers sa chambre. Heureusement Hop Sing est déjà là pour lui tendre une chemise sèche qu'il s'empresse de boutonner.

- Non non, restez Joan. Me voilà décemment vêtu".

Il dit ça d'un air léger...

« vous ne semblez pas redouter l'orage, ma chère. Je suis surpris, je connais bien des dames qui auraient déjà la tête sous un coussin, en attendant que ça se calme. Je me souviens que Mary n'aimait pas du tout l'orage. Inger, elle , au contraire, adorait ça; je l'ai même vu sortir et danser sous la pluie, les jours d'orage. Et moi j'essayais de faire rentrer Adam. Mais comme il la voyait dehors, il n'avait aucune envie de se mettre à l'abri. Et ils s'avançaient tous les deux sous les gouttières du saint Esprit.

- Mon peuple m'a appris à ne pas redouter les colères du Tout Grand ; nous autres indiens, identifions l'oiseau-tonnerre comme celui qui apporte la pluie; les éclairs surgissent de ses yeux et le tonnerre de ses battements d'aile. D'aprés le mythe, les Oiseaux tonnerre vivent dans la forêt de cédres à l'extrémité ouest de la Terre où ils construisent leurs nids et bourrent leurs pipes avec des aiguilles de cèdre. Lors d'un orage, les oiseaux-tonnerre s'envolent et déclenchent la tempête.

- C'est une très belle vision; Joan. »

- Le monde d’harmonie qui inspire nos croyances religieuses est constitué de la terre, de l’eau, des nuages, du vent, des végétaux, des minéraux et bien sûr des animaux. C'est ainsi que , pour nous , la Voie lactée est le chemin des âmes regagnant l'au-delà et à son extrémité se trouve le pays des morts.

- C'est une jolie façon d'accompagner ainsi ceux qui nous ont quitté. Et quelle preuve de douceur et de paix dans votre croyance, Joan. J'aime beaucoup l'image de la voix lactée; moi j'ai longtemps vu le visage de mes proches disparus dans une étoile.

- Et bien, vous voyez Ben, vous avez l'âme d'un Paiute.

- et moi je crois que si vous êtes si près de la terre et de la nature, Ponderosa est votre déesse à vous, et cela se voit que vous lui portez une dévotion sans borne.

- c'est vrai que Ponderosa occupe une place immense dans mon coeur. C'est la terre de mon rêve.

- On m'a enseigné que le coeur de l'homme éloigné de la nature devient dur. Il faut apprendre à contempler la terre et la nature, et se rappeler que rien ne nous appartient.

- C'est certain, ma chère amie.

- C'est d'ailleurs pour cela que les vieux Indiens se tiennent à même le sol plutôt que de rester séparés des forces de vie. S'asseoir ou s'allonger ainsi leur permet de penser plus profondément, de sentir plus vivement. Ils contemplent alors avec une plus grande clarté les mystères de la vie et se sentent plus proches de toutes les forces vivantes qui les entourent

- ça je l'ai compris, en m'asseyant avec votre chef , le jour où vous m'avez été remise.

- oui , cette position vise à gommer les différences; beaucoup de conflits éclatent quand l'homme veut paraître supérieur... Soif de grandeur, en oubliant que seul le Grand Esprit est Grandeur et Supériorité ; aucun animal, aucun être sur terre n'est supérieur, car l'Homme Rouge sait que toute chose partage le même souffle; la bête, l'arbre et l'homme. Ils partagent tous le même souffle.

- quelle sagesse. C'est vrai que nous aurions beaucoup à apprendre de votre peuple, j'en suis intimement convaincu. Au lieu de ça, l'homme blanc ne cesse de chercher la querelle. Cela me rappelle une pièce qu'Adam m'a emmené voir quand il était étudiant, ça s'appelait « Nathan le Sage » d'un auteur Prussien, mais je ne sais plus le nom... L'histoire se passait à Jérusalem. »

Et Ben de raconter que les personnages appartenant à des religions différentes, s'apercevront qu'ils partagent bien plus que leur antagonisme religieux.... Un marchand juif Nathan apprenant au retour d’un voyage d’affaires que sa fille adoptive, Recha, a été sauvée du feu par un chevalier de l'ordre du Temple. Ce chrétien est lui-même un rescapé, seul survivant d’un groupe de chevaliers de l’ordre mis à mort par les Sarrazins.

« Ce Nathan connu pour sa sagesse répondant à une question par une histoire, « la parabole de l'anneau » ajouta Ben pour terminer.

- un anneau , comme c'est curieux; le cercle est un des signes le plus représenté chez les Hommes Rouges, car la vie , la nature s'inscrit dans un cercle; on parle du cycle de la vie.

- Oui c'est vrai. Et l'Homme Blanc, d'ailleurs, s'est tenu pendant bien longtemps éloigné de cette idée.

- pourquoi ?

- parce que l'homme blanc a cru que la terre était plate.

- Plate ? mais c'est stupide. Tout est rond dans la vie ; la tête de l'homme, les fruits de la terre, le ventre de la femme féconde, le sommet d'une colline. Comment ont-il pu se tromper à se point ?

- Ceux qui y croyaient y croyaient dur comme fer et ont été jusqu'à condamner à mort ceux qui pensaient autrement, reprend Ben, l'air sombre et songeur.

- voilà ce que fait l'homme blanc. Mon peuple dit qu'il n'y a qu'une seule façon d'adorer et de servir le Grand Esprit. S'il n'y a qu'une religion, pourquoi le peuple blanc est-il si partagé à son sujet? Votre religion est écrite dans un livre, vous le lisez souvent, alors pourquoi n'êtes-vous pas tous d'accord, si vous pouvez tous lire le livre?

- ah Joan, vous soulevez là une question bien épineuse. On pourrait y passer la nuit, je ne suis pas sûr qu'on arriverait à trouver un quart de demi de réponse ; conclut Ben , en lui tendant un café.

- Tenez ma chère,

- merci, Ben. Et alors donc; cette parabole. Pardonnez-moi, je vous ai interrompu.

- Un homme se fait faire un anneau qui détient le pouvoir de susciter l’amour pour celui qui le porte et qu’il lègue à son fils préféré en lui enjoignant de faire de même. »

L’anneau se transmit ainsi de père en fils jusqu’au jour où il parvint à un père également attaché à ses trois enfants. Se voyant mourir, il fit faire deux anneaux neufs par un orfèvre, et remit un anneau en secret à chacun de ses fils. Le père mort, les trois fils se disputèrent l’héritage, chacun persuadé de détenir l’anneau véritable. Ne trouvant pas de compromis possible, puisque chacun détenait la vérité de la bouche de son père et qu’il ne pouvait donc la remettre en question sans accuser ce père bien-aimé de lui avoir menti, les frères demandèrent au juge un arbitrage. Le juge remarqua que l’anneau avait la réputation de susciter l’amour de Dieu et des hommes, et qu’il suffisait d’attendre pour voir quel anneau serait efficace, à moins que le père n’ait fait fabriquer trois anneaux neufs et que l’anneau originel ne soit perdu. Il invita donc les frères à travailler pour l’avenir en s’efforçant de rendre les générations à venir le plus vertueuses possible.

- c'est une très belle légende, peut-on appeler cela comme cela ?

- Je crois que oui. La légende est portée par celles et ceux qui y croient et qui n'iraient jamais l'imposer aux autres.

- C'est ce que s'efforce de faire l'Homme Rouge, il interpelle et enseigne, mais ne cherche pas à imposer... Tout le monde doit trouver le bon chemin. Nul le peut le voir, c’est pour cela qu’il est difficile à trouver. Personne ne peut le montrer. Chacun doit le découvrir par lui.

Joan laisse sa phrase en suspend en voyant Ben poser sa tasse et marcher vers la porte.

- excusez-moi, mais j'ai entendu le galop d'un cheval.

Ben est déjà dehors pour aller cueillir sa progéniture. Il ne peut pas s'en empêcher; il faut qu'il aille accueillir ses fils quand ceux-ci reviennent au bercail.

- Rentrez à l'intérieur, je m'occupe des chevaux.

-Merci pa ».

Hoss et Joe lui abandonnent les rènes avec plaisir, ils sont ruisselant, dégoulinant, et n'aspirent qu'à une seule chose, plonger dans un bon bain chaud.

Ben conduit les chevaux à la grange; il attache leur longe à la barrière et entreprend de bouchonner Chubb.

" Je vais vous aider. "

C'est Joan qui est là derrière lui; elle prend de la paille sèche et se met à frotter Cochise.

- merci Joan.

- Je ne devrai pas le dire, mais j'apprécie votre compagnie. Tout est simple avec vous et j'ai, ce qui n'est pas négligeable, le sentiment que rien ne peut m'atteindre ici. Ponderosa me donne une force que je ne soupçonnais même pas.

- Souhaitons qu'il en soit toujours ainsi, ici et ailleurs. Hum, Joan, pardon de me montrer curieux, mais que comptez-vous faire en ce qui concerne Henry ? Envisagez-vous de retourner vivre auprès de lui ?

- Franchement, je ne sais pas. Je n'en ai pas très envie. Je crois que je vais demander réparation. Je dois pouvoir obtenir une annulation de mon mariage, quand même. Je me suis rendue compte de quelque chose, ce pourrait presque être risible. Je suis une ancienne Paîute; j'ai été élevée par un peuple qui autorise les siens à multiplier les épouses et l' homme blanc, pour lequel j'ai fait de nombreux sacrifices, se marie deux fois.

- C'est ma foi très juste.

- quant à retourner vivre là-bas, je ne crois pas que j'y parviendrai. Dormir dans une maison dans laquelle un crime a été commis; je ne pourrai pas. Voyez-vous, Ben, mon peuple est habitué à vivre au grand air, dans des tentes qui se transportent facilement, ce qui nous donne une grande liberté... Nous nous déplaçons au gré de nos besoins , et nous savons qu'en cas de danger, nous pouvons faire place nette en moins de trente minutes. Moi je suis condamnée à vivre dans une immense boite, sans air et qui est cloué au sol. Je ne peux pas déplacer mon habitation pour aller ailleurs; et je ne peux pas effacer les traces de l'ignominie qui y a été commise.

- Je comprends , je comprends... Sachez que je ne vous chasse pas. Vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le désirez. "

Joan s'approche encore, laisse tomber la paille par terre et se blottit contre Ben.

- Oh Ben, je prends juste un peu de votre tendresse; comme un cataplasme sur un coeur blessé.

Il la tient contre lui, et lui caresse lentement les cheveux. Il n'oubliait pas ce moment où il avait dû la repousser, ce moment où elle lui avait déclaré sa flamme, lors de cette soirée où il avait invité de potentiels jeunes hommes, bon partis pour elle. Et qu'elle lui avait tendrement affirmé qu'elle l'aimait lui. Il n'avait pas pu la laisser continuer à nourrir de tels espoirs, et il l'avait dissuadé de poursuivre une telle rêverie. Elle était ainsi partie pour San Francisco. Et quand il voit aujourd'hui, la situation dramatique de la jeune femme, il a pour elle toujours autant d'affection, teintée d'un peu de regrêts. Il sait au fond de lui la nature des sentiments qu'il a eus pour elle et qu'il garde pour lui.

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