chapitre 14
*** pendant ce temps Adam et Edmond galopent sur la piste sablonneuse, ils ne sont plus qu'à quelques encablures de Virginia City. Mais les premières gouttes ne tardent pas à tomber. D'abord une ou deux, puis très vite des trombes d'eau. Adam jette un coup d'oeil à son compagnon et lui dit :
- allez mon gars; on va accélérer; sinon, en guise de bière, on va être trempé comme des soupes.
- Mais c'est quoi ce patelin ? vlà ti pas que t'à l'heure il fallait un carmail tellement le soleil il tapait, pis astheure il pleut à boire debout. J'vas vite en avoir la tête grosse de même
- tu sais que je ne comprends pas un mot sur trois dans tout ce que tu dis; mais j'ai dans l'idée que tu dois bien te marrer. Tes expressions me plaisent bien.
- Que expressions ? t'as m'as l'air bien baveux toi, l'genre du gars qu'en sait ben lourd et qui ricane pas mal des pauves gars comme moi.
- Tu n'y es pas du tout, l'ami. Bord... il n'est pas passé loin celui-là, pas eu le temps de compter jusqu'à quatre entre l'éclair et le ramdam. J'faisais ça avec mon père quand j'étais p'tiot. On couchait dans le chariot et y avait toutes les éclairs qui faisaient comme un grand feu dans le ciel; c'était beau.
- c'est beau, pour sur, mais c'est couillon, alors comme on dit par che moi, déguédine.
- déguédine ? Qu'est-ça veut dire encore ? »
Adam est de plus en plus interloqué en entendant parler son compagnon d'infortune.
"ça veut dire déguédine, faut se bouger quoi, sinon ça va nous descendre tous les Saints du ciel et ça va faire vilain. »
Maintenant les deux hommes sont en plein coeur de la tourmente; la pluie ne cesse de leur tomber dessus, Adam sent l'eau traverser progressivement sa veste de gros drap. La piste est boueuse et à chaque galop de leurs chevaux, les deux cavaliers se couvrent encore un peu plus de boue.
- faudrait-y pas qu'on bêche , en plus, c'est vraiment un coup à se fiche le nez par terre. Franchement, je suis tanné, c'est plate , vivement qu'on arrive.
- laisse-moi deviner, t'en a marre ? réplique Adam.
- ben i me semble à moi que c'est pas une vie, ça, on est djammé là pour combien de temps encore ?
- bah j'dirai cinq ou dix minutes. De quoi finir de se faire rincer.
- tu l'as dis, l'ami... »
Adam et Emond sont en vue de Virginia City.
"Et au fait, pourquoi qu'on a toffé tout ça, m'semble qu'c'est pas vraiment le jour àstheure pour faire une balade à cheval ?
- et bien, on partait chercher le médecin.
- le docteur, pis pourquoi faire ?
- quand j't'ai trouvé sur la piste, t'étais dans l'coltard; l'ami.
- ouais, j'sais, tu m'l'as dit.
- oui, mais toi, en revanche, tu m'as pas dit ce qui s'est passé.
- j'ai bêché en bas du cheval , rien de plus. T'as cru que j'm'étais mangé une volée; hein ?
- bah, moi tu sais, ce qui m'importe, c'est que tu sois en état de reprendre le boulot.... Alors on boit ce coup, et on repart. »
- Il mouille à sieaux, et pis, il vente pour écorner les boeufs, on peut pas plutôt s'poser là et passer la nuit ici ?
- dis donc, tu crois quand même pas que je vais te payer l'hôtel, quand même. Je te préviens, si tu couches ici, je le retiens sur ta paie.
- t'es salaud toi,
- ouais; mais c'est comme ça. »
Adam ne le montre pas; mais il est on ne peut plus content d'avoir eu le dernier mot. C'est vrai, il n'est pas encore le patron, mais quand même; sa voix compte auprès des employés et c'est jouissif. C'est comme ça qu'on se construit une personnalité et une aura, quelque part. Certes; Adam n'a pas fait ses armes sur un navire comme a pu le faire son père avant lui. Non, lui, ce sont ses diplômes et son savoir qui lui donnent son statut : ils se comptent sur les cinq doigts de la main les gars de Virginia City qui ont fait des études. Bien trop souvent encore, c'est la richesse de la famille qui compte. Adam sait qu'il n'a pas acheté son diplôme. Quand bien même Ponderosa leur fournit un toit et des revenus plus que décents, cela n'a pas été toujours le cas. Et Adam sait ce que c'est d'avoir faim. Oh il l'a sûrement moins ressenti que son père qui , il le sait, s'est si souvent privé pour nourrir son fils. Mais Adam n'a pas eu de la viande tous les jours dans son écuelle. C'était plus souvent une miche de pain trempé dans un bouillon un peu trop clair et quelques fruits de saison glanés par ci par là.
**********Dans la grange. Joan est toujours lovée contre Ben. Soudain elle pousse un cri et commence à se débattre.
« Hey, mais, lâche-moi. Cochise, lâche ma robe. »
Les cris se mêlent aux rires. Joan tourne, agite les bras, mais l'animal ne lâche pas. Ben donne une tape sur les naseaux de la bête pour lui faire lâcher prise.
« Votre tissu fleuri semble du goût de notre demoiselle.
- Cochise est une demoiselle ?
- Oui.
- Remarquez, avec une robe aussi magnifique, ce ne peut être qu'une demoiselle. En tout cas, ils font bien la paire. Cette jument est une charmeuse née, tout comme Little Joe. Ils se sont bien trouvés, en tout cas.
- Oui , c'est vrai. Je n'avais jamais pensé à ça.
- Nous autres, les Indiens, pensons que l'homme et l'animal ne se rencontrent jamais par hasard. Il y a des âmes qui se cherchent , et qui ne demandent qu'à s'unir.
- Et qu'en est-il des humains ?
- Un guerrier, dès l’instant où il a pris rang parmi les hommes, où on l’a reconnu capable d’élever une famille, peut prendre une compagne, jeune, aimable, une qui a de l'adresse à écorcher un buffle, à coudre des mocassins, et à préparer les aliments. Comme on ne fait la cour qu'à la dérobée; le jeune homme se cache sous sa couverture afin de ne pas être reconnu. Il attend la jeune fille quand elle va chercher de l'eau à la rivière.
- donc pas de chaperon dans vos cercles sociaux.
- pas de chaperon, non. Mais tout est caché et ils expriment beaucoup de choses avec cette couverture. Ainsi la jeune Indienne, par un mouvement de tête; fait tomber la couverture, elle montre ainsi qu'elle est amoureuse. D'ailleurs, bien souvent, elle a peint en secrêt des dessins vermillons sur son visage.
- Je connais quelqu'un qui s'est fait faire un tatouage de dauphin sur le bras. Un garçon qui a fait faire ça le jour de son mariage.
- La baleine, Ben, est considérée comme le maître de l'océan. Les dauphins sont ses guerriers, il symbolise le guide. Le jeune homme qui s'est fait tatouer ça montre la gratitude qu'il a pour son père et qu'il appelle la bénédiction de son père sur son union. Il espère ainsi être un aussi bon père que l'a été le sien.
La jeune fille finit sa phrase dans un frisson. Elle resserre ses bras autour de son corps.
« Tenez, prenez ma veste. Vous frissonnez. Quel sot je fais de vous laissez ici. Venez, rentrons. Nous serons tout aussi bien à l'intérieur, pour poursuivre cette conversation passionnante;. Vous me raconterez la suite, promis ?
-Promis. »
Et il l'embrasse sur la main, avant de l'entraîner vers le ranch, en l'entourant de ses bras.
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