Chapitre 18

8 minutes de lecture

*** à Ponderosa

Ben s'arrête devant la porte de la chambre de Joan. Elle va savoir, il va lui dire. Et déjà il sait qu'il hait ce qu'il s'apprête à faire. Il doit le faire mais il en déteste chaque seconde. Porteur de mauvaises nouvelles; être celui qui infligera obligatoirement une immense douleur. Que dire ? Comment le dire? Il faut le faire; allons, Ben se secoue intérieurement, tant pis s'il a le mauvais rôle, personne ne va le seconder. Il doit y aller. Il inspire un grand coup, expire lentement, ferme les yeux, lève la main et tape contre le bois de la porte.

"Entrez."

Joan lui tourne le dos, elle plie du linge. Il la voit vaquer à ses occupations, pendre une robe. La ceinture de satin rose glisse. Aussitôt il s'avance pour la ramasser, elle en fait de même; leurs mains se frôlent; ils se sourient. Il lui tend le bout de tissu, elle le prend et le remercie du bout des lèvres. Leurs yeux se croisent, encore une fois.

"Joan, j'ai quelque chose à vous dire. Venez".

Il la prend par la main et la conduit vers le lit... Elle s'y assoit, il prend une chaise et se place devant elle.

"Joan, il s'est passé quelque chose de grave au saloon.

- Adam ?

- Non, Adam va bien. Il est en bas. Il est très choqué, mais il est parvenu à nous expliquer. J'ai cru comprendre qu'Henry est gravement blessé.

- OH NON, …...... est-il ?

- Je ne sais pas; Joan. Adam a juste dit qu'il était très blessé.

- Mais que lui est-il arrivé ? Une chute de cheval ? Un accident ?

- Il reçu un coup de couteau au cours d'une bagarre au saloon...

- Un coup de couteau ; Henry ? Il doit y avoir une erreur, ça ne se peut pas; pas Henry. Henry n'est pas bagarreur.

- D'après Adam, il y a eu un accrochage entre lui et Edmond.

- Edmond ? Est-ce que je le connais cet Edmond ?

- Oui, il travaille pour nous. C'est lui qu'Adam ramenait en ville.

- Benjamin, je veux aller en ville, je veux aller au chevet de Henry. Il le faut, emmenez-moi, je vous en prie... Benjamin.

- tout ce que vous voudrez Joan. Nous partons sur le champ".

Joan attrape au vol sa cape de velours noir et son chapeau violine ainsi que ses gants et sort de la chambre, précédant Ben qui referme la porte derrière lui. Il lui passe la main autour de la taille et l'entraîne doucement dans le couloir qui mène aux escaliers. Elle se laisse aller; elle pose sa tête sur son épaule, lui faisant ainsi comprendre qu'elle a besoin de soutien et de réconfort. Il se met face à elle et la prend dans ses bras. Les larmes ne tardent pas.

"venez, allons-y, nous avons une longue route devant nous et Adam avait l'air de dire que c'était très sérieux."

Joan sort de sa poche un délicat mouchoir de coton blanc et tamponne ses yeux rougis. En bas des escaliers, Ben croise le regard de ses fils. Joe s'avance et prend Joan dans ses bras, avant de l'embrasser sur la joue.

"Joan, n'oubliez pas que nous sommes là... "

- Merci Joe. Merci d'être là.

- Je reste là avec Adam".

A ces mots, Adam se redresse.

"Non, Joe, je vais en ville. Je dois parler à Roy.

- Adam, est-ce bien raisonnable ?

- Pa, je ne suis pas blessé, tout va bien. C'est dit, je viens avec vous.

- Bien, je n'insiste pas; fils. Hoss, tu veux atteler la voiture. Qui monte avec Joan et moi ? Adam ? Joe ?

- Non, pa; on y va à cheval. Monte seulement avec Joan.

- Doucement les garçons, pas d'imprudence. L'orage a détrempé la piste, n'allez pas tomber ; nous n'avons pas besoin de ça en ce moment.

- Promis Pa."

Puis se tournant vers Adam :

"Adam tu es sûr que ça !"

-PAAA;" répond-il agacé.

"Bon bon, très bien."

Hoss, Joe et Adam galopent dans la plaine noyée de brume et de pluie, tous les trois encadrent le buggy qui file; emportant Ben et Joan vers Virginia City, vers une nouvelle épreuve, vers des heures difficiles. Joan serre ses mains gantées autour de sa capeline ; il ne pleut plus, mais l'air est vif et lui pique les joues. Une foule de pensées se bouscule dans sa tête, tout défile à vive allure devant ses yeux : le paysage, les arbres, les buissons, les dernières semaines, sa vie. Et tout défile sans qu'elle n'ait prise sur le temps; elle subit les évènements,; mais ne comprend pas tout, ça lui tombe dessus. Henry gravement blessé, voilà une fin tragique pour un mariage qui a volé en éclat. Est-ce que ça compte ou est-ce que ça ne compte plus ? Elle ne sait pas.

"Ben, dîtes-moi qu'on va arriver à temps.

- je ne peux pas vous le promettre, Joan, ça ne dépend pas de moi.

- je veux lui parler, j'espère en avoir le temps.

- je ne peux rien faire de plus pour vous, Joan, Il ne vous reste plus que la prière."

Et Joan joint ses mains et élève son regard vers le ciel : la petite voix solennel empreinte de sincérité murmure :

Oh grand esprit dont j'entends la voix dans le vent et dont le souffle donne vie à tout l'univers, entends ma prière. Je suis ton enfant de lumière. J'ai besoin de la force de ton amour pour discerner le vrai du faux et chasser les ténèbres qui embrouillent mon esprit. Donne-moi la sagesse pour pardonner, fait que mes yeux et que mon coeur voient clair en l'homme à qui j'ai uni ma vie. Je demande la force non pas pour dominer, mais pour combattre un ennemi terrible : le doute. Fais que mes mains soient instrument de guérison pour éloigner la mort de celui à qui j'appartiens; afin que nous puissions parler et éclaircir notre horizon. Et s'il vous plaisait de le rappeler, laissez-nous le temps de nous regarder, laissez-nous le temps de nous parler, afin que nous nous quittions sereinement.

Elle a à ce moment une telle majesté que Ben en a le souffle coupé : elle dégage tellement de force et de courage. Il imagine la communion qu'elle partage avec ce Grand Esprit dont elle parle avec tellement de sentiments; c'est quelque chose qu'il conçoit, puisqu'il a lui aussi l'habitude d'adresser des prières au Très Haut. Il espère que Joan sera entendue; lui-même en a adressé tant lorsque Marie luttait contre la mort. Il sait qu'il n'a pas été entendu,; mais il sait aussi qu'il a eu le temps; il a eu le temps de la serrer contre lui, ils ont eu le temps de se dire adieu; il a pu l'embrasser une dernière fois avant que la mort ne fige pour toujours son dernier sourire. Il ose espérer que Joan aura la même chance, si Henry devait ne pas se remettre de ses blessures. Alors oui; pourvu qu'ils arrivent à temps.

*****que le temps dure longtemps lorsque l'urgence se fait sentir. Ce buggy se traine, Joan voit passer des branches, et des branches.

"J'ai l'impression de ne pas avancer; j'ai l'impression qu'on va au ralenti. Alors qu'en même temps, tout s'est accéléré. Je n'ai aucune prise sur ce qui se passe et ça me fait peur.

-Nous y sommes presque; Joan. Il nous reste quelques miles; encore une quarantaine de minutes et vous serez auprès de lui.

-merci Benjamin.

-Moi aussi j'ai hâte d'y être. J'ai besoin de comprendre ce qui s'est passé. Cet homme qui a tiré nous doit des explications; il travaillait pour moi, après tout."

Enfin Ben stoppe les chevaux, devant le saloon. Une foule de curieux s'est amassée devant les portes à battants. Les nouvelles vont très vite ici, comme partout. Et l'annonce de la bagarre au saloon au cours de laquelle un homme avait été blessé ne pouvait qu'attirer les habitants de Virgninia City pour qui tout ce qui sortait de l'ordinaire était bon à prendre. Hoss joue des coudes pour faire dégager les badauds et les commères.

"Vous n'avez rien d'autre à faire," leur lance Ben.

Joan défait le crochet de sa cape et la lance à Joe. Elle se précipite vers le fond de la pièce, là où Paul s'est installé. Henry git maintenant sur une table ; qu'on a débarrassée à la hâte.... C'est avec d'infinies précautions qu'ils l'ont soulevé et qu'ils l'ont allongé sur le dessus de la table.

"Docteur, comment va-t-il ?

- Il a perdu énormément de sang. Mais il est toujours avec nous.

- Oh merci docteur.

Elle l'embrasse de gratitude et pose sa main sur le bras de son époux. Henry ne réagit pas.

" Il est si pâle.

- C'est à cause de la perte de sang. Pour l'instant il est stabilisé, j'ai pu stopper l'hémorragie mais il est très faible. Et je n'exclue pas la venue prochaine d'une infection. Son pronostic vital est doublement engagé ».

Joan encaisse les paroles du docteur; ses larmes roulent doucement sur ses joues, elle ne quitte pas des yeux son époux et lui caresse tendrement le visage.

- Pourrai-je rester seule avec lui ?

- Bien sûr Mrs Dexter....

Les hommes présents quittent la pièce et Ben tire le rideau qui sépare la salle principale de l'arrière-salle où Paul s'est installé avec le blessé; le préservant des regards des curieux qui sont toujours aussi nombreux devant les portes.

- Hoss, Joe, dégagez cette bande de fouineurs sans gêne et indiscrets. Sinon je vais leur foncer dans le lard. Oh et puis tenez, je vais sortir avec vous, je dois parler à Roy."

Ben sort, accompagné d'Adam. La foule s'est dispersée sous la menace de Hoss et de Joe, et maintenant, la rue est presque vide.

"Faut pas rêver, pa; ils vont revenir. Ils ne peuvent pas s'en empêcher.

- Bah, assister à la mort d'un autre doit les rassurer sur leur propre sort... C'est pas leur tour.

- Oui mais leur tour viendra;

- Oui Joe; nous tous y passeront.

- Le plus tard possible, j'espère.

- ça Joe, seul le Tout Grand peut le dire. Efforçons-nous de vivre chaque jour, nul ne sait si ce ne sera pas le dernier. Et dernière chose les garçons, ne jamais oublier de dire à ceux qu'on aime qu'on les aime. Après c'est trop tard. L'important est de pouvoir se parler.

- Tu crois que Joan aura le temps de parler avec Henry ?

- Je l'espère. Quelque chose me dit qu'ils auront le temps.

- Tu penses qu'Henry va s'en sortir ?

- Je n'en sais rien, Hoss. Je voudrai le croire; mais sa blessure est très grave. Trop grave, peut-être. Maintenant ce qu'il importe, c'est de faire la lumière sur ce qui s'est passé. J'ai dans l'idée que nous n'allons pas tarder à comprendre.

- Tu sais Pa; j'ai déjà compris pas mal de choses. Marchildon avait sur lui quelque chose qui appartenait à Henry ou à la mère d'Henry. J'ai dans l'idée qu'il est allé au ranch des Dexters et manifestement pas pour prendre le thé.

- Tu as sans doute raison, Adam. Mais nous voilà devant l'office de Roy.

- Bonjour Roy.

- Oh bonjour Ben, bonjour les gars. Adam, tu vas bien ?

- Oui oui shériff.

- Ben, tu as vu Henry Dexter, comment va-t-il ?

- toujours entre la vie et la mort, peut-être plus proche de la mort que de la vie.

- J'ai pu interroger Marchildon. Ce qu'il raconte n'est pas clair.

- A t-il dit quelque chose à propos du bracelet ?

- le bracelet; oh; je ne lui ai pas demandé.

- J'ai vu la tête d'Henry quand il a aperçu ce qui était tombé de la poche de Marchildon. Marchildon était chez Henry Dexter, c'est sûr.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire muriel Maubec ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0