Chapitre 20
***dans le saloon.
- C'est fini, je suis désolé Joan. Il n'y a plus rien à faire.
- Nonnnnnnnnnnnnnnnnnnnn.... Henry. »
Joan s'écroule sur la poitrine sans vie de son époux. Sa voix se termine en un long sanglot. Elle noie de larme le corps sans vie de son mari. Les regrets. Bonheur détruit, bonheur foudroyant. Corps que l'on a si peu eu le temps d'aimer; corps que l'on voudrait garder contre soi. Corps sans vie de celui qu'on a aimé. Souvenir des derniers mots de Henry qui a dit : « Elle n'a jamais été là pour moi; un ortie à la place des mains. J'sais que j'ai rien demandé; j'ai pas demandé à venir. Est-ce trop demander que d'être aimé ? Est-ce trop attendre de la femme qui nous a mis au monde, hein, je vous le demande ? J'avais besoin de savoir qu'elle m'aimait, j'ai fait ce que j'ai pu,; mais je sais que je suis bancal malgré ma belle situation. » Et puis cette promesse , murmurée dans un dernier souffle
« je n'ai épousé personne à part vous, et je n'ai pas tué ma mère ». Ultime confession d'un homme qui était en train de quitter la vie et qui voulait être lavé de tous soupçons. Paul a pris soin d'enlever ses instruments. L'homme a qui il a prélevé un peu de sang au moyen d'une seringue se tient à l'écart. Paul l'a rassuré en lui disant qu'il n'y était pour rien; que ce genre de complications arrivaient quatre fois sur cinq. Il demande un verre d'eau, après avoir plongé ses avant-bras dans la cuvette d'eau fraiche qu'on lui tendait. Puis il sort, besoin de changer d'air. Il se frotte les tempes, un mal de tête lancinant, l'agitation sans relâche des dernières minutes. Un acharnement qui se solde par la mort d'un patient. Il aura tout tenté mais la blessure était trop importante; et puis cette ultime tentative pour repousser le spectre de la mort. Un coup de poker, un pile ou face qui a mal tourné. Le front lui brûle, l'épuisement le guette, une douleur lui scie la tête. Il se laisse tomber bras en avant sur la barrière devant le saloon, il plante sa tête dans ses mains ; ne plus rien voir, chasser de son esprit les 1001 pensées de honte, de tristesse, d'impuissance qui se déchainent dans son crâne.
****dans le bureau du shérif;.
Ben lance sur la table la feuille ; puis ; mettant la main dans la poche de son veston, en sort un carré froissé.
- Tenez shérif; regardez; ici, les quelques mots que j'ai fait écrire à Edmond et ici, la lettre que Joan a reçu : ne dit-on pas «le bandit a signé son forfait ». Je ne l'accuse pas de meurtre, pas pour l'instant,; mais il est l'auteur de cette lettre, ça ne fait aucun doute. Regardez, la même écriture penchée vers la gauche. les mêmes lettres mal formées, comme saccadées. Il y a de l'aggressivité dans cette écriture, c'est flagrant.
- Troublant, en effet, Ben. C'est un premier lien entre notre gars et la famille Dexter.
- Les autres liens, nous les connaîtrons plus tard; il les livrera au juge. C'est lui qui a poignardé Henry.
- Le juge arrive dans trois jours. Il a été prévenu pour Henry, commente Dayve.
- Comment ça, pour Henry Dexter, demande Adam.
- Mon assistant Larson Clark croit , enfin croyait à la culpabilité de Mr Dexter. Il le croit coupable d'homicide sur sa mère.
- SUR SA MERE, ALLONS DONC, s'écrie Adam.
Joe se rapproche de son frère; et avoue :
- Tu sais Adam; moi aussi j'ai eu des doutes. Je dis « j'ai eu » car il me semble que le pauvre Henry ne va pas assister à son procès. Il sera cité mais comme victime, et pas comme témoin.
- C'est moi qui témoignerai !" conclue Adam, mâchoires d'acier et regard de braise. C'est moi qui l'ai vu s'écrouler avec le couteau dans l'abdomen.
-Et Edmond n'a pas le moindre remord, ajoute Ben.
-En tout cas, ce geste change tout. Effectivement. Mais il reste l'homicide commis sur Mme Dexter mère.
-Shérif, j'ai confiance dans le procès. On saura beaucoup de choses à ce moment. Hein, qu'est-ce qu'il y a , Hoss ?
-Deux gars viennent de rentrer dans le saloon. Je ferais bien d'aller jeter un coup d'oeil.
Hoss sort de l'office.
- je reviens.
Hoss saute les trois marches et parcourt à grandes enjambées les quelques mètres qui séparent le saloon de l'office de Roy Coffee. Il reconnaît aussitôt la stature du docteur, il s'approche.
- Docteur, que se passe-t-il ? C'est Henry ?
Paul Martin remue la tête en signe d'acquiescement. Hoss lui touche l'épaule et se rue à l'intérieur du saloon. Il pousse le rideau et s'arrête devant la table sur laquelle git Henry, immobile, que la mort a déjà commencé à figer. Hoss s'avance, enlève son chapeau et pose sa main sur le bras de Joan, celle-ci se redresse et s'appuie contre la poitrine de celui qu'elle considère comme un frère.
- Joan, je suis désolé.
Joan n'a pas besoin d'en entendre plus. Les bras de Hoss sont un grand réconfort. Ce colosse est l'incarnation de Honaw , l'animal totem de sa tribu. Elle sait qu'elle n'est pas seule : les Cartwright sont là près d'elle et sauront la soutenir.
*******Dans le bureau du shérif.
"Hoss ne revient pas. Il a dû se passer quelque chose, » lance Ben en regardant la porte que son fils avait fermé derrière lui.
- Je crois que nous ferions bien d'y aller. »
Adam décroise ses bras et se tourne vers la porte, suivi de son frère et de son père. Ils sortent et courent vers le saloon. Ils poussent les portes battantes et se précipitent vers Joan. Ben s'approche doucement. Joan est penchée sur son mari; leurs mains sont unies, en une ultime caresse. Il s'approche encore, lève lentement sa main, se retient, avance encore la main et la pose sur l'épaule de Joan. Elle ne réagit pas; toute entière à son chagrin. Il exerce une toute légère pression sur le haut de son épaule et la tourne vers elle. Avec des gestes d'infinie tendresse, il l'écarte du corps de son mari et l'emmène un peu à l'écart, il l'enveloppe dans ses bras pour qu'elle essuie ses larmes sur sa chemise. Hoss est là, assis sur une chaise, la tête enfouie dans ses mains. Adam s'avance, son chapeau à la main, il se dirige vers le corps étendu sur la table. Joe le suit. Ils vont aider Hanks Patterson, le fossoyeur.
***********Nuit du 25 au 26 mars 1857 à Virginia City. Henry a été placé dans un cercueil de pin. Joe et Hoss ont voulu assister Ned. Henry n'a personne ici et à part les Cartwright, les Dexter n'avaient pas beaucoup d'amis. Maintenant le défunt repose dans l'office de Ned Patterson. Toute la famille Cartwright dort au Grand Hotel, Ben y a pris des chambres pour lui , pour ses fils et pour Joan. Joan dort profondément, Paul lui a fait une piqure. Il a dit à Ben que bien qu'étant très courageuse, il craignait de la voir s'écrouler. Edmund ne dort pas; il fait les cent pas dans sa cellule. Son repas est encore là, il n'a pas touché au plateau. La viande paraissait appétissante, mais il n'a rien mangé. Même pas un bout de pain. Tout juste a-t-il bu un peu d'eau , trempant ses lèvres dans la louche que Dayve a laissé à sa disposition. Edmund est troublé de ces attentions, un repas, de l'eau. Assurément, on veut le garder en forme jusqu'au procès. Bah, autant en finir vite de cette foutue mascarade. Puisque personne ne va venir les écarter, ces fichus barreaux, puisque personne ne va le sortir de sa cage. Mais bien évidemment, le shérif ne lui a pas laissé sa ceinture. Il n'a pas de drap, chialeux de shérif, il va pas courir le moindre risque. Un prisonnier est prêt à tout pour échapper à la justice. Il n'a pas réussi à s'enfuir, arrêté par cette balle, que ce pissou de Cartwright lui a tiré dans la jambe. Le docteur a même pris le temps de lui nettoyer le mollet, éraflé par la balle. Murs vides devant lui, murs crasseux. Dans un coin, des traits minuscules, barrés par paquet de cinq par un ancien condamné. Dans l'autre coin, un trou, une latrine sommaire vers laquelle il faut pourtant bien aller, se soulager. Le soulagement vient d'un souvenir ; souvenir d'un môme qui courait après les oiseaux dans la cour d'une ferme paumée dans la plaine, souvenir d'enfance, quand il rêvait de plus tard. Lui, il aurait aimé naviguer, remonter le Saint-Laurent en barque. Et puis faire sa vie avec une sauvageonne des bords de rives, une de ces petites filles aux jambes griffées par les broussailles; les bras rougis d'avoir brassé l'eau fraîche de la rivière à la recherche des grenouilles. Il en avait croisé quelques unes , il avait grimpé dans les arbres avec les plus audacieuses; qu'il était parvenu à entraîner dans son antre mystérieux ; un immense buis dont les branches tombaient au sol et lui fournissait un abri connu que par lui. Il s'y était caché tant de fois pour échapper aux colères du père, il y avait dissimulé ses peines, ses rêves, ses chagrins de mômes, et ses fantômes, ses angoisses. Le "Bonhomme Sept Heure", il en avait tellement peur; c'est sa grand-mère qui lui avait raconté l'histoire de ce personnage affreux utilisé pour faire peur aux enfants qui refusaient d'aller se coucher. Et Edmond avait longtemps eu peur de la nuit. Et qui sait si aujourd'hui il n'en avait pas encore peur. La nuit, que la nuit est longue quand on ne dort pas. Heureusement, les souvenirs sont légions et lui tiennent compagnie. Et puis vient la lueur, la lueur rougissante du poêle. Roy a froissé trois feuilles de journal et les bourre dans la gueule noircie du fourneau qui trône dans le coin du bureau, en face de la cellule. Edmond voit le dos du shériff, il est accroupi et jette du petit bois dans l'âtre. Craquement de l'allumette, légère flamme, fragile flamme qui s'élève au bout de sa main.
"Bon dieu, c'est pas possible, ce feu.
- Hey shériff, il fait frette. Comme j'suis pas du genre à m'pogner le cul, j'pourrai peut-être te donner la main ?
- Mais bien sûr, c'est ça. Je ne suis pas né de la dernière pluie, ne me prenez pas pour un débutant.
- Oh mais j'ai pas l'intention de t'enfirouaper.
- Fermez-là, je comprends rien à votre charabia et ne comptez-pas sur moi pour vous faire sortir de là. Vous ne sortirez que pour entendre la sentence qui sera rendue à votre procès.
- le procès, le procès, z'avez qu'ça à la bouche, pis astheure watch un coup ton feu, l'est en train de s'éteindre."
De colère, Roy ferme la porte sur le bavardage de Marchildon et rallume son feu tranquillement sans se soucier de l'autre qui va se geler dans sa cellule. Si seulement..Et puis qu'il se taise; juste se taire. Mais non, il tambourine maintenant contre les barreaux. Roy persiste à ne pas entendre; mais il ne tient pas. A bout de nerfs, il pousse la porte avec fracas.
- OH, t'as bientôt fini ? T'as décidé de m'emmerder ce matin ?
- Et mon café ? J'ai quand même droit à un bol de café ?
- C'est pas l'heure.
- Comment ça c'est pas l'heure, et c'est quoi la combine pour avoir du café astheure ?
- Qué combine. Pas de combine, pas de passe-droit. T'attendras... Non mais. Et t'avise pas de faire du rafus, encore, sans quoi moi je vais t'endormir.
- Mais non shériff; ça te couterait un bras. Faut qu'j'arrive en état à cte procès, hein ?"
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