chapitre 21

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***Jeudi 26 mars 1857 chambre d'hôtel; 7.25

Joan remue lentement. Elle bouge la tête sur l'oreiller, de gauche à droite. Elle gémit doucement :

-Henry , henry.

Puis son souffle se fait régulier, l'agitation cesse; et le sommeil reprend ses droits.

- pa, tu crois qu'elle pleure dans son sommeil ?

- Je ne sais pas Hoss. Tout ce que j'espère c'est qu'elle ne va pas se réveiller. Il faut qu'elle dorme le plus possible; aujourd'hui et les jours suivants vont être si pénibles. Cet après-midi l'enterrement d'Henry et après-demain le procès.

- Tu crois qu'elle tiendra, Pa ?

- Je n'en sais rien, fils. Je n'en sais rien.

- Pa; je n'arrête pas de penser à maman. C'est un peu la même chose qui lui est arrivée. Une rencontre malheureuse, un endroit où il ne fallait pas être.

- hum, je présume.

- Mais dis-moi pa, tu n'as pas eu des envies de meutre après … après ça ?

- Je crois que le choc a annhilé chez moi toute émotion, tout ressenti. Et puis, il fallait s'occuper de toi, te trouver une nourrice, et puis continuer, continuer à vivre pour Adam, pour ta mère et pour aller coûte que coûte quérir ce rêve qui brulait en moi.

- Tu l'as trouvée tout de suite, cette nourrice ?

- oui, dans le convoi des pêlerins. Certains arrivaient derrière nous; ils avaient eu vent du risque d'attaque par les indiens et avaient tenté de contourner les Rocheuses; mais sans succès... Alors ils avaient fait demi-tour et nous avaient rejoint … Et c'est Mme Peckamon qui t'a nourri, en même temps que sa petite fille Louisa. Elle t'a nourri pendant 12 mois.

- et après ?

- Mme Peckamon est morte de la fièvre tiphoïde; en chemin.

- Et la petite Louisa ?

- Morte aussi. J'ai craint pour ta vie, mais tu as survécu aux fièvres.

- Comment ?

- Je ne sais pas vraiment, je crois que j'ai beaucoup prié tout le temps où je te tenais serré contre moi, contre ma peau. Je te faisais boire de la tisane à base de saule et de fleurs de bourrache. Et la fièvre est tombée. Et nous avons pu poursuivre notre chemin ».

Discussion pleine d'émotion entre Ben et son fils; conversation murmurée dans le petit matin calme. Ben est appuyé contre le montant du pied du lit, tandis que Hoss est assis à même le sol, les coudes posés sur les genoux; et la tête sur les mains. Ils évoquent de douloureux souvenirs; et on voit dans les yeux de Hoss Cartwright toute l'admiration et la tendresse qu'il a pour son père.

- Tu sais, Pa, parfois je me demande comment tu as réussi une telle aventure. Bien souvent, j'en ai parlé à Adam, et on a parfois du mal à comprendre.

- La chance sourit aux audacieux, fils.

- Arrête pa; tu sais bien que ce ne sont que des paroles. Reconnais quand même que tu as réussi quelque chose d'invraisemblable.

- Mais fils, ce que j'ai fait, d'autres l'ont fait avant. Et d'autres aussi.

- Oui mais beaucoup n'y sont pas parvenu. Et surtout seul avec deux enfants.

- Mais je n'étais pas seul !

- que veux-tu dire ?

- J'étais avec le Très Haut, je le priais tout le temps où tu as été malade. Je le priais de me donner la force d'aller au bout et de te garder toi et ton frère en bonne santé.

- Et tu as prié quand maman a été tuée ?

- Oui, plus que jamais. Je le priais pour qu'il chasse la colère de mon coeur. J'aurais pu devenir fou avec cette colère en moi, et le Seigneur m'a aidé à la faire sortir de moi. Enfin, plus exactement, il m'a permis de transformer cette colère en rage de vivre. Je me suis répété que je devais aller au bout de mon rêve, pour aller bâtir ce havre de paix où plus aucun de mes proches ne serait tué. Je l'ai voulu ce sanctuaire pour mettre les miens à l'abri de la folie et de la méchanceté. Ce sanctuaire, c'est Ponderosa.

- Je sais Pa, et pourtant Marie est morte.

- Oui, mais j'ai réussi à éloigner le péril indien de ma famille. Je suis allé à leur rencontre, je leur ai offert secours et assistance et leur amitié m'est précieuse. Marie est morte d'un accident, nul n'est à l'abri d'une malchance et d'un accident. Mettre les siens en sécurité ne veut pas dire supprimer tous les risques. Vivre est le plus grand risque que l'on prend, et c'est ce que nous offrent nos parents, nos mères en nous donnant la vie.

- Oui, et Adam est sans doute celui qui en a le plus souffert. Dis pa, tu te souviens de Jamie et de son père. Tu te souviens comme il lui en voulait, à Jamie d'avoir fait mourir sa mère;

- Oui, et c'est une grave erreur. Aucun enfant n'a demandé à venir , et aucun enfant ne saurait être responsable de la mort de sa mère. John a fait du mal à Jamie.

- Toi tu n'en as jamais voulu à Adam ?

- Non, jamais. J'étais dévasté quand sa maman est morte, mais je me suis raccroché à la vie. Et la vie, c'était Adam , et ce fut toi.

- Et pourquoi ce fut différent après la mort de Marie ?

- Je ne sais pas Hoss. Je sais que vous pourrez tous m'en faire le reproche. Je sais que je ne me suis pas montré à la hauteur à ce moment là.

- Bah, alors n'en parlons plus, pa. Hey pa; regarde ; je crois que Joan se réveille.

- Peut-être avons-nous parlé trop fort ? »

Ben s'approche du lit et prend la main de Joan dans la sienne. Elle émerge doucement et ouvre les yeux.

- Joan.

Elle frotte ses yeux et cherche à se redresser. Ben pose sa main dans son dos.

- Doucement, laissez-moi vous aider.

La voilà maintenant assise contre son oreiller.

- est-ce que vous voulez quelque chose ? Un peu d'eau ?

- Oui Benjamin, je veux bien.

- Tiens Hoss, tu me donnes un verre d'eau.

- Oui pa. »

Elle porte à ses lèvres le verre à demi rempli.

- Merci.

- Comment vous sentez-vous ? Bien reposée ?

- Oui, oui, je ne me suis pas réveillée. Hélas, le sommeil ne m'a pas enlevé les images que j'ai dans la tête … Et ne m'a pas ramené mon époux.

- Non, bien sûr je sais. Rien de ce que je vais vous dire ne pourra atténuer votre peine. Néanmoins n'oubliez pas que mes fils et moi sommes là pour vous.

En disant ça, Ben pose sa main sur le bras de la jeune femme.

- Il faudra manger un peu, Paul a dit que vous pouviez prendre un petit déjeuner. Vous vous sentez bien ? Vous n'avez pas de vertiges ?

- Non, juste un peu barbouillée.

- Je pense que ce sont les effets du laudanum. Vous allez prendre votre petit déjeuner au lit; Hoss, tu veux bien aller chercher un plateau. Et profites-en pour vérifier si tes frères sont réveillés. L'un de vous devra retourner à Ponderosa, Hop Sing a le droit de savoir ce qui se passe avant qu'il ne décide de ficher le camp. Et puis, il faudra nous ramener du linge .

- très bien pa. Je suis prêt à y aller.

- Merci fils ».

Hoss sort de la pièce. Joan repousse le couvre-lit; elle veut se lever.

« Doucement Joan. Je vous ai dit que vous pouviez déjeuner au lit.

- Non, Ben, je vais me lever. Pouvez-vous me donner mes bottines ? » Ben met un genou à terre et glisse le pied de Joan dans le soulier de cuir ; un pied fin, recouvert d'un bas noir. Joan s'empresse de laisser tomber le bas de sa robe pour dissimuler ses chevilles; sitôt que Ben a terminé de fermer la deuxième bottine.

- Merci Benjamin ».

Elle touche son bras, le regarde tendrement, marque une pause avant d'éclater en sanglots. Ses épaules chevrotent, elle cache ses jolis yeux noirs dans ses fines mains qui tremblent un peu trop. Ben la fait asseoir sur la chaise et lui donne un verre d'eau.

- Voulez-vous que j'appelle Paul ?

- Non , Ben, ça va aller. Je ne veux plus de piqure. Dormir ne servirait à rien, si c'est pour se réveiller deux heures plus tard avec la même douleur. Je préfère faire face, essayer du moins de faire face."

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