Chapitre 29

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***le lendemain au procès. Vers 10h00. On est samedi

"Voilà ce que j'ai à dire, Monsieur le Juge. Je le répète. J'ai agi sur ses ordres."

La stupeur vient de s'abattre sur la salle commune dans laquelle se tient le procès de Marchildon. La séance a été ouverte avec le témoignage de Joe qui a déclaré avoir vu Mme Dexter gisant au sol, sans vie. Joe a ainsi pu attester que feu monsieur Dexter avait demandé à rejoindre son ranch et y avait découvert sa mère. La présence de monsieur Dexter à Ponderosa étant confirmé par Ben, Adam et Hoss; entendus chacun leur tour sur le déroulement des événements.

"Mais la cour ne s'explique pas comment vous êtes entré en contact avec elle."

La réponse de Marchildon est à la hauteur du personnage, insolent et démonstratif :

« Mais qué niaiseux, Mme Dexter mère et moi nous nous sommes connus à San Francisco. Je suis rapidement devenu l'homme dont elle avait besoin. Elle avait entendu parler de mes dons, et moi je suis du genre au plus fort la poche.

- Quel genre de dons avez-vous, monsieur, à part celui de dédaigner l'autorité d'une cour de justice ?

- J'suis plutôt bollé, un gars qu'en a dans la tête; et je m'défends pas trop mal quand il s'agit de contrefaire.

- Vous avez donc rédigé de toute pièce un faux certificat de mariage impliquant feu Mr Dexter ?

- Oui.

- J'ai ici dans le dossier ce faux-document ainsi qu'une lettre qui a été remise à Mme Dexter, l'épouse de la victime... C'est également vous qui l'avez rédigée ?

- Oui.

- Est-ce que l'élimination physique faisait également partie du hum , de votre petit arrangement ?

- ça non, ce n'était pas prévu. Monsieur Dexter est venu se jeter sur moi, j'ai du me défendre. »

Combien sont-ils dans la salle à se dire que décidément la terre engendre bien des fous ? Tous pensent à ce moment que le type est un monstre. Le verdict ne tardera pas à tomber. De toutes façons, ils sont au moins dix prêts à le lyncher si d'ordinaire il devait s'en tirer. Double crime, il a aucune chance de sauver sa peau. Il ne pourra même pas invoquer l'ivresse; seule circonstance atténuante retenue par certains juges lors de précédents procès. Mais ce n'est pas le cas; car ceux qui étaient au saloon et Adam le premier peuvent attester que Marchildon était sain d'esprit et sobre au moment où il a poignardé la victime. Ben tord son chapeau de rage, une rage contenue. Puis il pense à Joan, assise seule sur son banc. Il se lève silencieusement et vient s'asseoir à côté d'elle. Elle est mortifiée. Ce qu'elle vient d'entendre l'a anéantie. Elle ravale courageusement ses larmes mais quel effort, quasiment insurmontable. Elle vient d'entendre qu'une femme a été capable de payer un homme pour détruire le bonheur de son propre fils.. Là tout de suite, elle ne pense pas à elle, mais à Henry; trahi par sa propre mère. C'est inimaginable. Son mari tombé sous une arme bien plus tranchante que celle de la lame d'un couteau. Comment une mère peut-elle être capable de faire une chose pareille à la chair de sa chair ? Joan ne comprend pas; Joan ne réalise pas bien, pas encore. Elle relève doucement la tête lorsque Ben s'approche d'elle. Il passe son bras autour de son épaule; elle se laisse aller un instant contre lui puis se redresse.

***Derrière des barreaux pour quelques heures encore. Dimanche matin. Dehors, les hommes tapent et tapent sur les madriers et les planches , ils érigent ta potence, mon gars; se dit-il. Dernières heures de vie, et du coup, la liberté , elle est dans sa tête. Il est libre de penser, ou de ne pas penser; et il compte bien en jouir de cette dernière liberté. Au procès, il a dit ce qu'il avait à dire et il n'est pas peu fier de sa prestation. Il est surtout content de ne pas endosser seul la responsabilité de ces crimes. Quand bien même il sera seul condamné et pendu, cette vieille greluche est associée à jamais à lui. Franchement, quelle bande, la vieille bourgeoise et le petit gars calligraphe passé de l'autre côté. Jamais on a vu telle association de malfaiteur. Et elle n'aura même pas eu le plaisir de le voir plonger, il l'a refroidie avant. Elle a essayé de se jouer de lui, elle l'a menacé; sans aucun regret qu'il a frappé; une fois, deux fois. Il ne sait plus. Dans la pénombre de la pièce, il n'a sans doute pas bien vu. Mais il se rappelle le bruit : ses cris, les siens, leur accrochage, leur désaccord autour de la somme. Elle avait fixé la prestation à 1000 dollars; il en avait exigé 1500; elle avait dit non et avait menacé de tout révéler. Et là, ça sentait pas bon. Qui l'aurait cru ? Contre la vieille, pas une chance.

Insoumis et rebelle; mais insomnie qui finit par gagner. Angoisse qui monte ; panique de l'animal cloîtré. Le répit de l'aube; oui; mais l'aube sera rideau qui s'ouvrira sur son déclin. A quelle heure ont-ils décidé de lui allonger la nuque; ces pisseux de jurés ? On ne lui a pas donné l'heure.

***à l'hôtel .

Ben est dehors, il fume tranquillement sa pipe. Joan est montée se coucher. Adam et Hoss, passablement remontés après leur père ont préféré disparaître dans leur chambre, pour aller faire une partie de cartes avec Joe.

"M'sieur Cartwright ?

- Ho Corvet, c'est toi. Pas encore couché ?

- Si si j'vais y aller. Demain je dois encore me lever tôt; j'ai du boulot qui m'attend. Mais c'est juste que.

- Allez fiston, approche. »

Ben , toujours appuyé sur la barrière; lance un regard amical au jeune garçon :

"Tu fais du bon travail, je tiens à te féliciter et doublement même. Hoss m'a glissé quelques mots, il paraît que la grange est impeccable. Je suis très fier de toi.

-.."

Corvet est plus touché encore qu'il ne le laisse paraître. Ces compliments lui font chaud au coeur. Décidément ce m'sieur Cartwright est vraiment un homme hors du commun, impressionnant, sévère; mais en même temps capable d'une telle bonté. Voilà bien la première fois qu'il rencontre quelqu'un qui le met face à ses responsabilités et lui montre ses bons côtés après avoir pointé ses erreurs et lui avoir donné une chance de les réparer.

- Monsieur Cartwright, je voulais vous remercier.

- Me remercier; allons fiston mais de quoi ?

- Vous êtes gentil avec moi. »

Son dernier mot s'étouffe dans sa gorge. Il éclate en sanglots et tente de les masquer maladroitement dans sa manche de chemise.

« allez pleure fiston, ça va te faire du bien »

Ben encore une fois, tend les bras, offre une épaule consolatrice; un corps solide et protecteur, comme un refuge insubmersible. Corvet se jette contre la poitrine de son patron et le serre de toute la force de ses bras.

« là la, fiston, ça va aller. Je suis là. »

Corvet renifle et s'essuie les yeux dans sa manche.

« j'sais pas c'qui m'arrive, pardon.

- Ne t'excuse pas, il est peut-être temps ; c'est tout. Tu as l'air d'en avoir gros sur le coeur.

- Je reconnais que j'ai du mal à me confier.

- J'ai cru comprendre ça fiston. Maintenant, n'oublie pas que je suis là. Si tu as besoin de parler, j'aurai toujours du temps pour toi."

Les larmes reprennent de plus belle !

"Vous ne pouvez pas imaginer ce que ça fait d'entendre quelqu'un dire qu'il a du temps pour moi ».

La vie c'est incroyable, se dit Corvet. Au moment où il se sentait si perdu, Mr Cartwright est venu lui tendre la main. C'est plus souvent contre un mur ou un tronc d'arbre qu'il a frotté ses joues que contre la poitrine d'un homme. Longues journées à ravaler son ennui et son chagrin et voilà que cet homme entre dans sa vie et lui dit « j'ai du temps pour toi ».

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