Chapitre 3 - Échec au roi (partie 2)
Il était un secret bien gardé au sein de l’Ordre du Temple, qui offusquerait les gens, s’ils parvenaient à le découvrir. Les soldats de l’Ordre pouvaient faire usage de magie, s’ils venaient à affronter des magiciens ou autres créatures fantastiques. L’Ordre du Temple était l’organisation religieuse dédiée au dieu Kaelliom. Cette organisation contrôlait et diffusait la foi en Kaelliom dans les quatre royaumes qui le vénéraient.
Combattre le feu par le feu, tel avait été le choix pris après la première Grande Guerre. Celle-ci avait vu l’ennemi utiliser la sorcellerie. Celui-ci n’avait pu être défait sans l’aide des Eldyriens, une nation de mages aussi mystérieux que légendaires. Depuis ce temps-là, le peuple n’avait qu’aversion pour tout ce qui touchait de près ou de loin au surnaturel. Quiconque était suspecté d’être un sorcier se trouvait emprisonner sans délai, voire être exécuté sur-le-champ. La seule magie tolérée était celle qu’utilisaient les guérisseurs pour soigner les cas graves.
La magie enseignée au sein de l’Ordre du Temple était le domaine des runes. Celle-ci était offensive. Il suffisait de dessiner ou de toucher une rune pour déclencher son pouvoir. Toutes les jeunes novices ne pouvaient apprendre cette magie qu’auprès d’un unique enseignant à Temple-Ville, capitale de l’Ordre. Cet instructeur était un homme à l’âge indéchiffrable et inconnu, la plupart les gens lui donnaient une quarantaine d’années. Il avait de longs cheveux châtains, des yeux cuivrés et affichait toujours un air sérieux. Il regardait les nouvelles recrues s’installer bruyamment dans la salle de cours. D’une voix ferme, il demanda le silence qui se fit aussitôt.
— Bonjour tout le monde. Je suis Valdir et je serai votre unique professeur de magie runique. En connaissez-vous d’autres types ? attaqua-t-il de but en blanc.
— Heu… Il y a celle pratiquée par les soigneurs. Et si on va plus loin, il est dit dans les légendes, il y aurait celle des mythiques Eldyriens, répondit un élève.
— Oui, jeune homme. Bien que la magie médicale, ou blanche, fasse partie de la catégorie runique. D’ailleurs, une fois que vous ferez vos premières runes combatives, vous ne pourrez plus pratiquer la médecine de cette manière. En effet, il faut rester « pur » pour soigner, c’est-à-dire ne pas avoir blessé autrui. Comme son nom l’indique, cela consiste à dessiner ou activer une rune pour provoquer un sort. Contrairement à la magie Eldyrienne, dite des éléments (ou élémentaire), que ce peuple déclenche par la pensée. Ce qui la rend rapide et redoutable. Et enfin, toujours selon les mythes, il existe aussi la magie noire.
— Professeur, les Eldyriens existent-ils vraiment ? demanda un élève dubitatif.
— Leur royaume figure bien sur les cartes, non ? répondit-il avec un petit sourire. Néanmoins, pour en être sûr, il faudrait vous y rendre. Selon la légende, seul un cœur pur est à même d’entrer en Eldyrie, qui serait protégée par une barrière magique.
Soudain, Valdir ressentit une intense douleur à la tête, puis une décharge d’énergie traversa son corps, accentuant sa souffrance. Il s’effondra sur le sol, comme foudroyé. Les élèves criaient son nom sans qu’il ne pût répondre. Une vision apparut dans son esprit. Elle le terrifia, jamais pareille chose ne s’était produite auparavant. Il ne voulait pas y croire, comment cela était-il possible ? Une réminiscence probablement due à son ancienne fonction. Celle-ci, comme son passé, n’était connue que du patriarche Faldin et de quelques soldats de confiance. C’était un secret de plus caché par l’Ordre.
Quelques instants plus tard, il ouvrit les yeux et constata qu’il était allongé par terre. Ses élèves, prévenants, avaient glissé une cape roulée en boule sous sa tête. Aidé par deux d’entre eux, il se releva prudemment. Sa tête lui tournait. Il donna congé à ses étudiants et regagna ses appartements d’un pas encore chancelant. Quelque chose de terrible était arrivé et il lui fallait partir sur-le-champ. Une fois à destination chez lui, il prit quelques vêtements à la va-vite et les fourra en désordre dans un sac de voyage. Sa tête le faisait souffrir, telle une enclume frappée par un marteau.
— Il n’est pas nécessaire que tu te rendes vers le lieu que tu as à l’esprit, lui assura une voix.
Valdir n’avait pas sursauté et ne se donna pas la peine de se tourner. Il connaissait le propriétaire de cette voix et pour qu’il s’adresse à lui la situation devait être grave. Et cela confirmait malheureusement sa vision. Il se retourna pour saisir sa cape et le vit qui se tenait au milieu du salon, l’air paisible.
— Bonjour, mon maître, le salua Valdir bien bas. Qui a osé commettre un tel forfait ?
— La partie d’échecs que nous avons entamée avance plus vite que je ne l’avais prévu. Un habile coup a fait échec au roi. Je soupçonnais qu’une telle chose fût en préparation, mais pas aussi tôt. Il a découvert mon atout le plus dangereux et cela l’a mis en colère.
Valdir avait du mal à contenir les sentiments qui explosaient en lui. Face à cette ignominie, la colère, la tristesse et l’inquiétude l’assaillaient. Il voulait absolument faire quelque chose pour aider son aimée et en découdre avec le traître.
— Tu ne peux rien faire pour elle, Valdir. Quant à te battre contre lui, tu perdrais, car il est bien plus puissant que toi. Je te le répète, ce qui s’est passé devait arriver un jour ou l’autre. Tu as une nouvelle mission à accomplir. Tu iras trouver le garçon.
— Ainsi l’heure est venue…
— Il est l’heure qu’il fasse face au destin que je lui ai réservé. Tu auras beaucoup de choses à lui enseigner et peu de temps pour le faire. Va et hâte-toi. Les fenêtres ouvrant sur l’avenir s’assombrissent bien vite. J’ai peur que le danger ne l’assaille.
Il acquiesça et son visiteur disparut comme poussière au vent.
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