L'alerte du garçon
Il cacha Friner dans sa besace et, toujours armé de la fourche de son père, rentra au village. Là-bas, on faisait déjà la fête, car le missionnaire avait occis la salamandra. On lui proposa de se joindre aux festivités, mais il refusa, jaloux et colérique face à cette occasion manquée. Puis, se terrant chez lui, il cacha le petit loup.
Il s’occupa du jeune animal tous les jours qui suivirent. S’il aurait été plus simple de le nourrir en le faisant brouter comme ses autres bêtes, les paroles de l’inconnu restaient dans les oreilles du garçon. S’il voulait en faire une créature imposante et effrayante, il allait devoir le nourrir avec de la viande. Aussi se priva-t-il lui-même de jambon pour sustenter son protégé. Le louveteau semblait toujours affamé, jamais rassasié, et le garçon dut, à plusieurs reprises, voler dans les provisions de ses parents pour répondre à sa faim.
Plus le temps passait et plus Friner grandissait. Un jour qu’il avait atteint la taille d’un advouquetin, le garçon décida de lui trouver une nouvelle cachette. Il attendit que ses parents soient partis, puis accompagna son protégé jusqu’à la grotte où il l’avait trouvé. Et, tous les jours, il allait le nourrir, lui apportant ce qu’il trouvait. Se faisant, Friner continuait de grandir, si bien que, pour répondre à ses besoins, le garçon décida de tuer un de ses propres advouquetins, dont il ne s’occupait que bien peu désormais.
L’offrande plaisant au premier loup, le jeune homme décida de poursuivre. Il était ébahi, mais aussi un peu fier, de voir à quelle vitesse Friner grandissait chaque jour. Il était déjà plus grand qu’un domroch lorsque ses parents remarquèrent que la taille du troupeau avait diminué de moitié.
— Mais enfin, que diable s’est-il passé ? lui demandèrent-ils, effarés face à ce constat.
— Je crains, mes bons parents, qu’une bête sauvage ne s’introduise chez nous la nuit pour les dévorer, mentit l’enfant, feignant l’inquiétude.
— Allons donc, une salamandra, comme la dernière fois ?
— Ne vous inquiétez pas, je suis déjà sur l’affaire ! Je pense même avoir des pistes pour cesser ce massacre.
Sachant que ce grossier mensonge ne tiendrait guère longtemps, voilà que le jeune garçon était désormais pressé de passer à l’action. Il allait falloir agir vite s’il ne voulait pas que ses efforts soient réduits à néant. Heureusement pour lui, Friner semblait comprendre ses paroles, et il se contenta d’hocher le museau quand il lui expliqua son plan d’attaque.
Ainsi, le soir venu, le jeune garçon dévala dans son village en criant à tous de rester terrés dans leurs maisons respectives, annonçant l’arrivée d’une bête effroyable. Ainsi alertée, la plupart des villageois décida d’écouter les conseils de l’enfant, tandis que quelques hommes prirent cela à la rigolade. Mal leur en prit…
Lorsque Friner débarqua en ville, le garçon eut l’impression qu’il avait encore grandi. Le premier loup hurla avant de dévaler dans les rues en courant. Incrédules, deux hommes restèrent dehors malgré les cris, et tombèrent nez à nez avec le monstre. L’animal bondit et ne laissa des deux badauds que quelques lambeaux de chair et de tissus sanguinolents. Il tua aussi tous les animaux qui croisèrent sa route, avant de partir du village après son effroyable carnage.
Lorsque les habitants constatèrent les dégâts, un mouvement de panique prit le dessus. Tout le monde avait désormais peur de cet animal, que le garçon avait appelé « loup ». On n’en avait jamais vus auparavant, puisque c’était le premier, et les restes de ses victimes en disaient long sur les dangers qu’il représentait. Il semblait bien plus dangereux encore que ne l’avait été la salamandra quelques mois auparavant.
Comme prévu, le village remercia allégrement le garçon qui les avait prévenus du danger. Mieux, on lui attribua aussitôt le titre d’expert quant à la créature mystérieuse. Le garçon baratina comme à son habitude, puis proposa de mener la chasse contre l’animal. On l’écouta attentivement et on s’arma pour affronter la bête.
Le garçon mena les troupes jusqu’à la grotte où Friner les attendait. Aussitôt, un combat s’engagea, mais aucune des armes que les villageois avaient emportées ne semblait pouvoir blesser le loup, qui paraissait encore plus immense que lors de l’attaque du village. Puis, après moult blessures et quelques morts, le garçon se décida à intervenir. Il approcha le loup et fit semblant de le blesser. L’animal, bon acteur, singea la détresse tandis que le garçon lui ordonnait de partir et de ne jamais revenir. Le loup s’exécuta sous le regard médusé des survivants, puis, encore une fois, on acclama le garçon.
Annotations