La naissance de la légende

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 Le jeune homme avait enfin tout ce dont il désirait. Il était reconnu de tous les siens comme le héros qui avait sauvé le village des griffes du loup. Tous les villageois chantaient ses louanges et lui offraient des cadeaux pour bien se faire voir. Et que dire de la gente féminine, puisque chaque famille voyait désormais en lui un parti de choix pour leur fille.

 Oui, le garçon avait atteint son objectif. Et pourtant, après quelques jours, alors qu’il était retourné voir Friner, il décida qu’il lui en fallait plus. Un seul et unique village l’adorait. S’il voulait passer dans la postérité, c’était du monde entier qu’il devait se faire connaitre ! Aussi, le lendemain, il quitta sa maison, prétextant qu’on le demandait ailleurs.

 Et c’est ainsi qu’il répéta la même mascarade dans tous les villages qui croisaient sa route. S’il avait d’abord gardé le même plan, il décida d’un peu varier au fur et à mesure que son histoire le précédait. Car, au fil des attaques de Friner, les troubadours furent de plus en plus nombreux à chanter ses louanges plus loin, si bien qu’il n’avait qu’à courir dans un village pour qu’on comprenne que le terrible loup arrivait derrière lui. Il était un peu devenu annonciateur du malheur, mais aussi sauveur puisque c’était toujours lui qui parvenait à faire fuir Friner.

 Cependant, Friner n’était plus seul. Sans que le garçon ne comprenne comment, de nouveaux loups l’accompagnaient désormais, de toutes les tailles. Il y en avait des petits, des gros, et même quelques géants. Mais ce n’était rien comparé à la taille du loup originel. Friner était désormais presque aussi grand qu’une petite maisonnée. Qu’à cela ne tienne, Friner n’en était que plus effrayant, cela ne pouvait qu’arranger le garçon dans ses plans. Tant qu’aux autres loups, si certains quittaient la meute pour s’installer, tous obéissaient docilement à leur Roi.

 C’est ainsi que le garçon devint un véritable héros de son temps, adulé de tous, mais aussi craint, car son arrivée ne pouvait que signifier celles des hordes de loups sanguinaires. Les cadeaux étaient de plus en plus nombreux, or, bijoux, bêtes, esclaves,… pourtant, la soif d’admiration du garçon ne semblait jamais pouvoir se tarir.

 Puis vint le jour où, comme à son habitude, il arriva dans un village, désormais sur le dos de son cheval, en criant à l’arrivée du loup. Tout le monde se cacha, et les loups déferlèrent de partout, inondant les rues, avant de se réfugier dans les bois. Tous, sauf Friner lui-même, qui resta sur la place publique.

 Tous les curieux étaient à leur fenêtre, et les plus courageux laissaient même leur porte entrouverte. C’était exactement ce que souhaitait le garçon, qui savait qu’ils étaient observés. Il rejoignit Friner et commença à l’insulter pour feindre son hostilité, comme de convenu. Puis, pour enhardir les foules, il demanda à ce qu’on crie son nom, ce que tous les curieux observateurs firent de plein gré.

 Et puis, alors que le garçon fermait les yeux, s’extasiant de se sentir ainsi admiré et aimé de la populace, Friner ouvrit sa gueule et, avant que son maitre ne puisse réagir, le dévora, d’une seule bouchée, avant de partir dans les bois pour sonner l’heure à sa meute gigantesque de se répartir partout sur la Terre des Murmures, désormais libres.

 Ainsi se termine brutalement l’histoire pathétique d’un jeune garçon aveuglé par ses rêves de grandeur et de célébrité. Qu’importe les moyens, fi des morts et des blessés, tant que cela puisse servir ses propres intérêts. Mais le garçon avait fait une terrible erreur s’il avait pensé que la chair, humaine ou non, était seule à nourrir le Roi des loups. Car c’était de son orgueil et de ses jalousies que se nourrissait le Colosse pour grandir et donner naissance à toutes ces bêtes qui, aujourd’hui encore, règnent sur les forêts du monde.

 Pour ce garçon, seules les actions définissent l’être que l’on est ou a été. Si ce n’est pas faux, ce n’en est pas nécessairement vrai pour autant. Disons plutôt que ce sont les intentions cachées qui nous définissent, au-delà de nos actes. Toute bonne action peut cacher une hypocrite vérité qui viendra, tranchante comme des crocs, ensanglanter votre image si elle vient un jour à être révélée.

 Si l’histoire de ce garçon s’achève ici, celle de Friner et de sa descendance s’étalera encore sur de nombreux siècles. Mais, ayant ainsi été éduqué dans la tromperie et le mensonge, vous ne serez pas surpris d’apprendre que le Roi des loups ne sera jamais doux comme un agneau.

 Comme il est ironique de voir comme un berger fut à l’origine du plus grand ennemi de tous ceux d’aujourd’hui. Mais, derrière le monstre décrit, n’oubliez pas aussi que l’homme se plait à exagérer les traits les plus sombres de chacun pour complaire ses histoires. Croire que tous les loups sont du même acabit que celui dont nous avons dépeint aujourd’hui les origines, ne serait-ce pas, comme ces naïfs villageois, tomber de nouveau dans le piège de ce garçon ?

 Qu’importe ce qu’on raconte sur vous ou sur les autres. Le seul bon jugement, si tant est qu’il y en est, est celui qui évolue avec le temps.

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