L'enfant trop gâtée

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 Les jours suivants, toujours seulement accompagnée de sa plante en pot, la petite Ida retourna au palais du roi de la plaine. Il lui semblait que le château était de plus en plus beau et grand à force qu’elle s’y rendait, et que tout ce qui s’y trouvait était de plus en plus majestueux. À contrario, quand elle retrait chez elle, elle piquait des crises et des colères en constatant avec dégoût que le faste dans lequel elle vivait n’était rien comparé au château des végétaux.

 Puis, à force d’être reçue par le roi de la plaine, l’ennui commença tout doucement à naitre en elle, tel un poison qui parcoure lentement ses veines. Non pas qu’elle trouvait le royaume des fleurs moins merveilleux, au contraire. Mais elle avait de plus en plus l’impression de n’être qu’une étrangère. C’était toujours sa plante en pot qui faisait la conversation avec les nobles plantes, et ce alors qu’elle était si frêle et si chétive en comparaison. C’était à elle que tous s’adressaient. C’était à sa demande que le château se dévoilait tous les matins. C’était elle qui riait aux plaisanteries avant de les communiquer à Ida, à moins qu’elle ne se moque d’elle en secret…

 C’est ainsi qu’un matin, après y avoir réfléchi toute la nuit, la petite Princesse Ida ordonna à sa plante en pot de lui apprendre à parler le langage des plantes.

 — Hélas, répondit la fleur, l’air peiné, c’est impossible.

 — Bien sûr que si, tu le parles bien, toi ! répliqua sauvagement la princesse.

 — Oui, mais chez moi, c’est naturel, répondit la fleur. J’ai quelque chose qui me permet de parler le langage de mes semblables, mais aussi le tient.

 — Et pourquoi moi je ne pourrai pas ? questionna, fâchée, l’enfant.

 — Je ne sais pas… C’est une voix spéciale. C’est inné. On l’a ou on ne l’a pas, je crois…

 — Hé bien, si c’est inné, tu vas voir que je vais l’avoir ! s’écria la princesse, rouge de rage.

 Elle attrapa alors la plante par la tige et tira de toutes ses forces pour l’arracher de la terre de la poterie. La plante cria de peur, la suppliant d’arrêter, mais ne put l’empêcher de la retirer du terreau. Heureusement, la plante était encore entière et sentait ses racines se débattre comme de frêles petites jambes. Mais avant qu’elle ne puisse supplier la princesse d’arrêter, celle-ci la fourra dans sa bouche grande ouverte, et l’avala sans prendre la peine de mâcher.

 La petite Ida, persuadée d’avoir obtenu le don de parler aux plantes, se dirigea immédiatement vers la plaine, alors encore en robe de nuit. Elle arriva essoufflée et dut respirer de grands coups avant de s’essayer à appeler ses amies du royaume des fleurs.

 — C’est moi, la Princesse Ida, s’écria-t-elle après avoir repris son souffle. Faites-moi entrer dans votre royaume !

 Mais rien ne se produisit. La petite Ida déglutit puis relança son appel. Alors, enfin, il lui sembla entendre de nombreuses petites voix murmurer tout autour d’elle, quand, soudain, une autre, plus forte et autoritaire s’éleva.

 — Bonjour Ida, disait-elle. Comment se fait-il que notre amie ne soit pas avec toi ?

 La petite princesse tressaillit de joie. Ça avait fonctionné, elle était capable de parler le langage des fleurs et de le comprendre en retour ! Réjouie, elle annonça simplement.

 — Elle m’a appris votre langage, mais elle a fini par mourir desséchée, hélas, répondit l’enfant. De la négligence de mes servantes qui seront punies pour cela !

 — C’est faux ! s’écria alors la voix de la petite plante en pot depuis la gorge même de la Princesse Ida, qui se figea d’horreur. Elle m’a avalée ! Elle m’a tuée pour obtenir ma voix !

 — MONSTRE ! s’écrièrent alors des millions de petites voix en colère. ASSASSIN !

 — Puisque tu as osé t’en prendre à l’une des nôtres, plus jamais nous ne t’accepterons à nouveau dans notre royaume ! s’écria la grande voix d’un ton dur.

 — Non… Non ! s’écria la petite Ida, paniquée. Vous ne pouvez pas me faire ça ! Je vous ordonne de m’obéir !

 Mais tout ce qu’eut la petite princesse furent de nouvelles insultes et accusations. Pour la première fois, ses ordres étaient sans effet. Le royaume des plantes qu’elle avait tant aimé la rejetait pour ses crimes.

 La petite Ida entra alors dans une colère noire. Elle retourna au château et ordonna aux gardes de s’armer de torches. Elle leur donna ensuite l’ordre de mettre le feu à toute la plaine, ainsi qu’à toutes les plaines voisines, et même aux champs. En effet, partout où elle passait, elle entendait le moindre végétal l’insulter et lui reprocher le meurtre de la petite plante en pot. La princesse ne pouvait supporter ces affronts.

 Ainsi, plusieurs jours durant, les environs d’Autric furent ravagés par le feu. La population, d’abord effrayée, vint à se mettre en colère à son tour. La princesse avait fait brûler toutes leurs cultures ! Ils allaient devoir traverser une période de famine, tout ça à cause de ce qui semblait être un coup de folie de l’enfant.

 Pour finir, cloitrée dans son château, la petite princesse n’apprit qu’au dernier moment que son peuple se révoltait. Elle restait enfermée dans sa chambre et avait ordonné qu’on brûle toutes les plantes du palais. Mais cela ne semblait pas suffire. Elle continuait d’entendre des voix qui lui reprochaient son crime, et, pire, celle de la petite plante en pot qui se moquait d’elle et qu’elle n’arrivait pas à faire taire. Elle ne remarqua pas de suite ces paysans armés de fourches qui pénétraient dans sa chambre pour l’attraper. Quand elle arriva devant l’échafaud, où gisait déjà le corps ensanglanté de son père dépourvu de tête, elle comprit enfin le sort qu’on lui réservait. C’était sa punition pour avoir osé tuer une simple plante en pot.

 On l’obligea à se coucher et à disposer sa tête sur une marque prévue. Elle essaya bien de se débattre, mais on la plaqua brutalement au sol. Lorsque le bourreau lui demanda si elle avait une dernière parole, elle essaya bien de dire quelque chose, de lui ordonner de la libérer. Ils avaient toujours été forcés de lui obéir ! Mais tout ce qui sortit de sa gorge fut la voix de la petite plante en pot, qui cria un simple « Tranchez ! ». Et, comme toujours, le bourreau accéda à sa requête.

 On jeta le corps de la petite Princesse Ida dans une fosse commune, sur les restes de la plaine incendiée qui, autrefois, accueillait le royaume des fleurs qu’elle avait tant admiré. Mais, très bientôt, sortant de son corps comme elles sortent habituellement de terre, une petite fleur blanche émergea, riant aux éclats la stupidité de la petite Princesse Ida. Et, quelques mois plus tard, une nouvelle génération de plantes reprenait le pouvoir sur la plaine, tandis qu’un nouveau seigneur s’installait à Autric.

 Ainsi s’achève l’histoire stupide d’une enfant pourrie gâtée qui, après avoir gouté à tout le luxe possible, semblait impossible à rassasier de nouveau. Pourtant, c’est en découvrant un royaume voisin que ses sens se sont à nouveau mis à la secouer.

 Hélas, quand on a connu pareille vie, la frustration est insupportable. Elle fait alors place à une indicible jalousie, la même qui poussa notre princesse à se comporter comme le monstre qu’elle était, sans se soucier des conséquences avant d’y être confrontée.

 Lorsqu’on ne sait que prendre et jamais rien donner en retour, arrive toujours un moment ou un incident qui provoque la catastrophe.

 On a souvent cette étrange impression que l’herbe du voisin est plus verte que dans notre propre jardin. Mais sachez qu’en vérité, il y a simplement plusieurs teintes de vert.

 Alors, si un jour, vous aussi, vous deviez être invité dans le royaume des fleurs, n’oubliez pas de vous comporter convenablement, et ne vous laissez pas dévorer par la folie et la jalousie. Ce serait dommage de perdre la tête pour quelques pétales…

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