La paysanne et l'écureuil

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La paysanne et le blobouille

Inspiré du conte « La Fille du Roi et la Grenouille » des frères Grimm.

 Il y a bien longtemps, dans une petite région sans grande valeur du Denimope, existait un petit village tout ce qu’il y avait de plus commun à l’époque. Les villageois y vivaient essentiellement de leurs cultures et de leurs élevages, travaillant toute l’année dans le seul but de se nourrir et de se chauffer. Les paysans se levaient le matin, travaillaient toute la journée et se couchaient, éreintés, le soir venu. Telle était leur vie, sans péripétie aucune.

 Vint un jour où un couple de paysans eut une fille. L’enfant, chétive, fut couvée par ses parents qui la chérissaient. Ayant décidé de lui épargner les travers du travail manuel, ils ne l’initièrent qu’au strict minimum de la vie de la ferme. Ainsi, sa vie était très différente de celle des autres villageois.

 La petite paysanne se levait le matin alors que les domrochs avaient déjà été trais. Elle prenait son petit-déjeuner, seule, puis rejoignait ses parents pour les aider à nourrir les volailles et les porcs. C’était une tâche qu’elle associait plus au plaisir qu’à la corvée, car elle avait ce don peu commun de pouvoir communiquer facilement avec les animaux. Ensuite, ses parents lui laissaient quartier libre.

 Aussi, tous les jours, l’enfant errait telle une âme en peine dans le village, cherchant de la distraction, souvent en vain. Elle n’en voulait pas à ses parents, sachant que ceux-ci désiraient juste la préserver de la dure vie qu’ils avaient eux-mêmes vécue. Mais pour autant, elle ne s’ennuyait pas moins.

 La petite paysanne avait bien essayé de trouver refuge chez les animaux de sa ferme. Mais ceux-ci se montraient méfiants, et l’enfant ne comprit pourquoi que lorsqu’elle vit sa mère plumer un poulet avec lequel elle s’était amusée une après-midi pour le faire cuire le soir venu.

 Aussi, comme presque tous les jours, la petite paysanne était assise, les genoux pliés contre son petit corps, la tête dans les mains et les joues gonflées, s’ennuyant une fois de plus. Rien ne se passait jamais dans le village, et elle aurait beaucoup donné pour se faire de vrais amis, ou pour améliorer son quotidien. Peut-être qu’en soulageant ses parents de leur travail, elle pourrait enfin profiter de leur compagnie ?

 Elle pensait à tout cela quand, soudain, quelque chose sortit de l’ordinaire. Une silhouette venait d’apparaitre un peu plus loin. À cette heure-ci, pourtant, il n’y avait jamais personne, car tout le monde était au champ. La petite paysanne plissa les yeux pour mieux voir ce visiteur, curieuse. Il ne ressemblait à aucun homme du village, ni même à aucun des rares visiteurs de passage qu’elle avait déjà vus. L’homme était grand, et portait un énorme sac sur le dos. Il semblait porter une toge rapiécée, trouée par endroit, ainsi qu’un drôle de chapeau. Plus il se rapprochait et plus de détails apparaissaient. Aussi, la petite paysanne put remarquer, non sans amusement, que son couvre-chef était trop grand pour sa caboche, et cachait ainsi ses yeux. Le visiteur avait de longs cheveux blancs comme la jeune enfant n’en avait jamais observés auparavant. L’intérêt fit cependant vite place à l’appréhension lorsqu’elle se rendit compte que l’homme se dirigeait droit vers elle, un étrange et large sourire au visage.

 Il s’arrêta à ses pieds, comme pour la toiser de toute sa taille, souriant toujours de manière perturbante. La petite paysanne se releva, un peu apeurée, esquissant un mouvement de recul. Cependant, maintenant que quelque chose venait enfin briser le train-train quotidien, elle ne voulait pas fuir. Juste être prête à réagir.

 — Hé bien, jeune enfant, tu ne travailles pas comme le commun des mortels, à cette heure de la journée ? lança l’inconnu en guise de salutation.

 — Non, monsieur, répondit la petite paysanne. Mes parents ne veulent pas que je travaille.

 — Alors pourquoi ne joues-tu pas avec tes amis ?

 — Les autres enfants travaillent, eux.

 — Et pourquoi ne pas te lier avec des animaux, toi qui en est capable mieux que quiconque ?

 — Parce que ça ne dure jamais très longtemps, à la ferme, répondit la paysanne avec un peu de déception dans la voix, ne se rendant pas compte que l’homme en savait déjà long sur elle.

 — Je peux le comprendre, soupira l’homme en penchant la tête sans cesser de sourire de ses dents parfaitement blanches. Mais alors, pourquoi ne pas aller voir plus loin ?

 — Plus loin ? répéta l’enfant, intriguée.

 — Oui. Je viens de passer à l’orée du bois voisin, près du cours d’eau. Il y a là une vaste mare fréquentée par de nombreux animaux. Je suis sûr que tu pourrais t’y faire de nouveaux amis.

 — Vraiment ?! s’étonna la jeune paysanne, un sourire se dessinant sur le visage. Mais je n’en ai jamais vue, avant…

 — Elle doit être récente, dans ce cas, répondit l’homme en haussant les épaules. Tiens, vois donc…

 Il pivota et pointa du doigt un écureuil sur un arbre. Ce dernier leur tournait le dos, et observait vers la forêt, du côté du cours d’eau. Il fallut un moment à la petite paysanne pour le remarquer, et elle ne put s’empêcher de s’extasier, car elle n’en avait encore vus que très peu par le passé.

 — Ce petit animal ne devrait pas tarder à s’y rendre, lança l’homme. Si tu veux trouver ce coin secret, tu devrais le suivre. Qui sait ? Cela devrait briser ta routine !

 L’enfant se mordit les lèvres, sentant l’excitation grandir en elle. Lorsque l’écureuil sauta au sol, elle s’élança pour le suivre. Après avoir fait quelques mètres, elle se retourna pour remercier l’inconnu pour ses indications d’un signe de main. Mais il n’était déjà plus là. Ne prenant pas le temps de s’étonner, la petite paysanne porta son attention sur le rongeur afin de ne pas le perdre de vue, bien trop contente de fuir sa monotone vie quotidienne.

 La paysanne courait après l’écureuil. Si celui-ci n’avait pas accéléré, il n’en était pas moins plus rapide qu’elle. Aussi crût-elle un instant qu’elle allait le perdre de vue. Pour éviter cela, elle lui cria de s’arrêter et l’animal, surpris d’être ainsi interpellé, s’arrêta. Il la regarda se rapprocher, circonspect, mais pas effrayé. Quand elle arriva à sa hauteur, elle s’arrêta pour reprendre son souffle, et l’écureuil éclata de rire.

 — Pourquoi une petite fille d’homme tient-elle tant à me suivre ? demanda-t-il ensuite, l’air curieux.

 — On m’a dit que tu te rendais près d’une mare secrète, où plusieurs animaux se donnent rendez-vous, expliqua la paysanne. Je voulais voir ça de mes yeux et vous rencontrer.

 — Si ce n’est que ça, allons-y ensemble, répondit l’écureuil. Je te ferai les présentations.

 Sans prévenir, il grimpa sur ses épaules. La petite sursauta, mais sourit en voyant que l’animal était si amical. Il lui montra d’un signe de tête la direction à emprunter, et ils reprirent la route d’un pas moins pressé.

 Il leur fallut un bon moment avant d’arriver sur place, mais quel spectacle s’offrit aux yeux de l’enfant. L’inconnu n’avait pas menti. Il y avait une belle mare, reliée au cours d’eau par un mince filet d’eau, tout proche des fourrées du bois. De grands roseaux Saluts semblaient lui faire des signes de main, secoués qu’ils étaient par la brise légère. Plusieurs nénuphars aux belles fleurs roses parsemaient le point d’eau. Lorsqu’ils arrivèrent, un grand oiseau avait la tête plongée dans l’eau, comme s’il y cherchait quelque chose. Tout autour, la paysanne reconnut plusieurs terriers, de différentes tailles, au milieu des trèfles et des fleurs multicolores. Des papillons et des libellules voltigeaient de partout, et on entendait le chant des oiseaux égayer la scène.

 Le décor émerveillait la paysanne, qui était habituée aux mornes surfaces cultivées de la propriété de ses parents et aux tristes maisons du village. C’était la première fois qu’elle s’en éloignait autant, ignorant que de tels trésors se cachaient à deux pas de chez elle. Très vite, elle aperçut tout un petit monde de souris et campagnols, et même de quelques lapins, qui semblaient en pleine discussion près de la rive. Ce qui ressemblait à une boule couverte de pustules observait les mammifères débattre d’un air absent, à moitié plongée dans l’eau.

 — Voici la mare que tu recherchais ! s’écria l’écureuil d’un ton réjouis.

 Comme il lui parlait, les autres animaux semblaient soudain prendre conscience de la présence de la petite paysanne. Mais quelque chose d’autre attira leur attention. Relevant soudain la tête, l’oiseau qui pêchait dévoila son grand bec parsemé de trous et dont s’échappait ainsi l’eau de la mare. Le pélifiltrer sursauta et fit un pas maladroit en arrière, avant de se retenir de tomber en battant des ailes. Il s’envola ensuite d’un air paniqué, sous les railleries des petits animaux.

 — Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda la petite paysanne, amusée par cette fuite inopinée.

 — C’est que Pélifiltrer a peur de vous, les hommes, répondit un dodu lapin en se trémoussant, observant l’enfant avec méfiance.

 — Ha bon ? s’étonna une souris aux grandes oreilles.

 — Mais oui, Crécerelle nous l’a déjà fait savoir ! lança l’écureuil en roulant des yeux. Mais tu te cachais encore quand elle nous l’a annoncé. Peu importe. Cette jeune fille d’homme voulait voir notre belle mare de plus près.

 Le tumulte de conversation qui s’en suivit eut tôt fait de perdre la petite paysanne. Chaque animal y allait de son commentaire sur la nouvelle venue, manifestant tantôt méfiance, tantôt intérêt. Seule la boule dans sa mare, qui la fixait de ses petits yeux noirs sans bouger, restait encore muette comme une carpe. Finalement, l’écureuil se fit entendre haut et fort pour que cesse ce tintamarre.

 — Silence ! Quelle image donnez-vous de notre compagnie ? Vous feriez mieux de vous présenter, c’est pour nous rencontrer qu’elle est venue jusqu’ici !

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